Voter ou respirer, il faut choisir


Voter ou respirer, il faut choisir

Pollution brouillard belgique

36%, 33% et 17%… Non, ce n’est pas le score d’une triangulaire avec le FN en embuscade lors des dernières élections municipales. 36%, c’est pour les maladies cardiovasculaires, 33% pour les AVC et 17% pour les affections pulmonaires chroniques, le tout formant les causes principales de la mortalité directement imputable à la pollution sur la planète. On a beau avoir eu, au mois de mars, un long épisode avec des pics du même nom, qui ont fait la une des médias, les élections municipales ont assez vite chassé une autre information tombée entre les deux tours : d’après un rapport publié le 25 mars par l’Organisation Mondiale de la Santé, sept millions de personnes sont mortes prématurément en 2012 à cause de la mauvaise qualité de l’air.

Sept millions, ça commence à chiffrer, tout de même. Tenez, à quelques dizaines de milliers près, c’est le nombre d’abstentionnistes au second tour. On ne s’est pas posé la question sous cet angle-là mais si ça se trouve, un abstentionniste s’abstient parce qu’il a peur de sortir de chez lui et de finir étouffé avant d’arriver à l’isoloir. Ou sept millions, si vous préférerez, c’est la population de la Bulgarie. Bon, il y en a sûrement que cela arrangerait, du côté de la Commission Européenne, de voir disparaître la population de la Bulgarie, ou de la Grèce, histoire d’avoir des finances saines. Et il faut reconnaître que les particules fines, ça vaut bien un plan d’austérité mitonné par la Troïka, question bien-être de la population. En même temps, il paraît que la Grèce va pouvoir emprunter de nouveau sur les marchés, c’est vous dire à quel point elle est en bonne santé, la Grèce, même si les mômes asthmatiques d’Athènes en pleine détresse respiratoire à cause du Néfos[1. Nuage brunâtre de pollution composé de dioxyde de souffre, monoxyde de carbone, et ozone qui surplombe la ville d’Athènes, en hiver (en situation anticyclonique stable) ou en été, quand la température dépasse 34°C.] ont plutôt du mal à trouver des hôpitaux ou des dispensaires encore ouverts, après les coupes budgétaires drastiques.

Et puis, rassurons nous, l’OMS donne un autre tiercé dans l’ordre. Les sept millions de morts, on les trouve d’abord dans le Pacifique Ouest avec 2, 8 millions de décès, dans l’Asie du Sud Est avec 2, 3 millions et en Afrique, toujours petite joueuse, avec 600 000. Bref, on meurt de la pollution surtout dans des endroits où l’on est déjà habitué à mourir, soit en s’épuisant au travail dans les usines délocalisées du capitalisme décomplexé, soit à cause de la famine, du SIDA ou des guerres interethniques. Certes, l’Europe et les USA sont également touchés mais l’OMS donne aussi d’autres raisons d’espérer : ce sont en effet surtout les pauvres qui meurent, parce que les pauvres se chauffent n’importe comment, vivent près des décharges ou utilisent des modes de cuisson archaïques car ils ne sont pas assez entrés dans l’histoire. A-t-on idée, même si on est paysanne chinoise, malienne ou creusoise, d’utiliser des fours à bois ou à charbon à l’époque où des énergies douces offrent des alternatives modernes et citoyennes ?

L’OMS remarque ainsi que sur 100 000 décès en Europe chez les faibles revenus, 106 sont dus à la mauvaise qualité de l’air tandis que chez les hauts revenus, ils ne sont plus que 47. Il est vrai que les filtres sont de bien meilleures qualités sur les grosses cylindrées germaniques ou les SUV testostéronés et qu’un petit malus écologique à l’achat est vite oublié alors qu’aller pointer à pied à Pôle Emploi avec la poussette du petit dernier au ras des tuyaux d’échappement, c’est tout de suite plus compliqué pour le bien-être des alvéoles.

L’OMS avait déjà publié un rapport de ce genre en 2008 : on en était alors seulement à 3,4 millions de morts. Les amis prométhéens du progrès ou de la croissance à la papa pour lesquels il y a ni particules fines, ni réchauffement climatique, ni aucun problème de ce genre sauf dans l’esprit malade de quelques fâcheux qui veulent nous renvoyer à l’âge de la bougie et nous faire vivre dans des communautés rurales avec toilettes sèches et riz complet, ces amis prométhéens, donc, feront observer que la méthodologie de l’OMS a changé et que maintenant sont prises en compte les zones rurales. Il n’empêche que les spécialistes remarquent quand même que la progression est inquiétante et dénoncent « les politiques non durables menées dans les secteurs de l’énergie, des transports, de la gestion des déchets et de l’industrie ».

De là à dire qu’il faudrait désormais une planification écologique comme il y avait eu une planification économique dans la France dévastée de l’après-guerre, il n’y aurait qu’un pas. Mais il n’est pas près d’être franchi si on en juge par la façon joyeuse dont on marche à l’abime, persuadé que ça s’arrangera toujours, que l’homme trouvera toujours une solution pour s’en tirer, optimisme dément qui rappelle la phrase de Céline dans le Voyage sur les hommes « plus enragés que les chiens, adorant leur rage ( ce que les chiens ne font pas ), cent , mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! »

*Photo : Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA. AP21540175_000001.



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