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Trump relance Keynes


Trump relance Keynes

Le tohu-bohu qui a accompagné l’élection de Donald Trump ne facilite pas la compréhension de tous les enjeux, y compris économiques. De multiples questions se posent : mettra-t-il les dirigeants de Pékin au défi de réévaluer leur monnaie alors que les exportations chinoises se tassent ? Jettera-t-il aux orties les traités de libre-échange, dont le fameux Tafta ? Au moment où l’Amérique esquisse un tournant protectionniste, les derniers défenseurs du libre-échange inconditionnel sont à Pékin, dont les entreprises restent avantagées par leurs coûts salariaux, mais aussi à Bruxelles, malgré les dommages infligés aux économies européennes par une concurrence déloyale et faussée.

Restons prudents. Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent. La formule, imputée à Henri Queuille et Charles Pasqua, devrait figurer en exergue de tous les programmes électoraux. Il n’est pas sûr que l’administration Trump passe à l’acte sur ce terrain fondamental, aux plans économique et idéologique. Et c’est pourquoi sans doute les Bourses américaines n’ont pas sanctionné le vote du 8 novembre. Bien au contraire.

Mais il est un domaine où les nouveaux dirigeants devraient rompre avec la routine. Cela fait des lustres que le soin de piloter l’économie est confié, de façon primordiale, à la banque centrale. C’est la banque centrale qui a jugulé l’inflation à deux chiffres en 1980. C’est la banque centrale qui a relancé l’activité à chaque nouvelle récession. C’est la banque centrale qui a sauvé le système de crédit en faillite, après l’implosion de Lehman Brothers, en abaissant de manière drastique les taux du crédit pour revaloriser les créances détenues par les banques. C’est elle qui tente depuis deux ans une difficile opération de « reflation » pour combattre la déflation rampante issue de la grande récession.

Or, dans le bric-à-brac qu’est le programme du candidat Trump, il y a un point essentiel : la politique monétaire ne sera pas l’alpha et l’oméga de la politique de contrôle du système. Et, en plus des orientations protectionnistes, il n’est pas impossible qu’on voie émerger une nouvelle conception des recettes et des dépenses fédérales.

Taxer les riches, détaxer les entreprises

Ainsi, pour la première fois depuis les années 1970, il est question de surtaxer les revenus des riches. Le principe est incontestable. Barack Obama n’a pas infléchi la trajectoire suivie depuis l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan : les revenus des classes aisées et riches sont les seuls à s’accroître. En ce moment même, l’augmentation des salaires est concentrée sur le dixième supérieur. Augmenter la contribution des plus riches ne relève pas de la démagogie. Le milliardaire Trump pourrait bien être celui qui voudra et pourra le faire.

Il est question aussi de détaxer les entreprises. La chose paraît incongrue. Sur le papier, elles subissent une taxe sur les bénéfices de 34 %. Dans la réalité, la grande masse des entreprises cotées acquittent un impôt bien moindre. Les grands groupes pratiquent ouvertement l’optimisation fiscale, en exploitant toutes les niches et en délocalisant leurs profits dans des paradis fiscaux comme l’Irlande ou Singapour. Les promoteurs constructeurs, tels que Donald Trump, sont exonérés dans les faits ! La réduction prévue à 15 % du taux d’imposition n’aurait d’impact véritable que pour les PME.

Un accroissement tous azimuts des dépenses

Les médias français ne l’ont guère remarqué : le programme du président républicain élu se situe à l’opposé exact des programmes des candidats républicains français ![1. Nous y reviendrons : en France, pour la première fois depuis la guerre, les programmes des candidats qui pourraient être élus, sauf accident, sont franchement récessifs.]

En premier lieu, Donald Trump affirme sa volonté de protéger[access capability= »lire_inedits »] les dépenses de santé financées sur fonds publics, à l’encontre des intentions affichées par son parti. Ne pourrait-il pas, alors, profiter de l’échec de l’Obamacare, invraisemblablement coûteux pour les assurés[2. Pour faire simple, les jeunes ne s’assurent pas : les vieux et les malades cotisent pour les vieux et les malades], pour passer à un système d’assurance maladie à l’européenne ? Venant d’un homme aussi inattendu et imprévisible, ce tournant révolutionnaire n’est pas à exclure entièrement.

Deuxièmement, comme sa rivale Hillary Clinton, Donald Trump a annoncé un grand programme d’infrastructures. Nul besoin de Keynes pour le justifier. Les infrastructures américaines, totalement obsolètes, souffrent de la comparaison avec celles de nombreux pays asiatiques. Il faut refaire les routes et les autoroutes, les aéroports, installer enfin des lignes de TGV. Les dépenses nécessaires pourraient atteindre 10 000 milliards de dollars sur les dix prochaines années, soit 5 points de PIB annuels.

En revanche, les dépenses militaires seraient réduites. Le nouveau président demande à ses alliés de mettre la main à la poche pour assurer leur sécurité[3. Encore un point d’opposition avec Les Républicains français qui mijotent des réductions massives de dépenses militaires.]. Reste à savoir s’il mettra ses menaces à exécution. Il lui faudra pour cela imposer ses vues à un Congrès républicain qui a toujours épousé celles du complexe militaro-industriel. On pourrait donc assister à un accroissement de l’investissement public, et du déficit, dont les conseillers de Trump espèrent limiter l’impact en recourant à des partenariats public-privé assez flous pour l’instant.

En route vers l’inconnu

Le brutal avènement de Donald Trump a été comparé par certains à celui de Ronald Reagan. Mais les situations diffèrent encore plus que les personnalités. Ronald Reagan s’est installé alors que la puissance américaine bénéficiait du déclin géopolitique de l’Union soviétique, qu’elle ne souffrait pas encore de la concurrence dévastatrice de la Chine et que son économie, purgée de l’inflation, sortait de la récession. Donald Trump doit affronter de multiples défis : lobbies économiques et financiers à l’intérieur, puissances émergentes à l’extérieur. De plus, l’économie américaine aborde la fin de son cycle classique[4. De huit ans. Rappelons que la reprise date du printemps 2009] : une récession technique est dans les tuyaux. Par-dessus tout, des risques majeurs menacent le système économique mondial : la crise de l’euro n’est pas surmontée, la Chine est une poudrière économique.

Si la relance produit plus de déficit que d’activité et d’emplois, le crédit de la nouvelle administration sera entamé. Les marchés financiers marqueront leur désaffection, le dollar pourrait être menacé. Autant dire que la réussite du président républicain dépend très largement du succès de sa politique keynésienne.[/access]



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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