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Chine, la muraille de Trump


Chine, la muraille de Trump

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Ce n’était pas une bourde ni une maladresse démontrant l’ignorance du prochain locataire de la Maison-Blanche, contrairement à ce qu’ont expliqué nombre d’éditorialistes américains et français, se gaussant déjà de la diplomatie clownesque de l’animateur télé porté au pouvoir par le peuple américain. C’est bien pour engager un nouveau rapport de forces avec Pékin que Donald Trump a accepté de prendre la présidente de Taïwan au téléphone le 2 décembre dernier. La cohorte des ricaneurs – souvent les premiers à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme en Chine – n’a pu s’empêcher de voir là un affront à la puissance chinoise, et elle s’est émue, pour le coup, de cette rupture avec la realpolitik et d’un risque majeur de bouleversement des équilibres stratégiques internationaux. Fichtre !

La fin du « China first »

Certes, l’événement est sans précédent depuis 1979, d’autant que Donald Trump semble s’écarter du dogme de la « Chine unique » dans un contexte particulièrement tendu entre les deux Chine. Pékin porte en effet un regard méfiant sur Taïwan depuis l’arrivée au pouvoir de la nouvelle présidente indépendantiste Tsai Ing-wen début 2016.

Pour l’anecdote, on notera que le jour du « coup de fil » qui allait faire trembler les équilibres internationaux, le président chinois Xi Jinping recevait Henry Kissinger, théoricien de la realpolitik, artisan du rapprochement entre la Chine de Mao et les États-Unis de Nixon, et accessoirement inspirateur de la politique américaine en Asie depuis quarante ans. Deux semaines plus tôt, le même Kissinger rencontrait Donald Trump à New York. Rien n’a filtré de la conversation entre les deux hommes, sinon que la Chine aurait été au centre de[access capability= »lire_inedits »] l’entretien. De là à en déduire que Trump aurait pu agir avec l’aval du pape de la diplomatie du rapport de forces…

Contrairement aux conclusions de la plupart des commentateurs, Donald Trump n’a nullement évoqué, dans son entretien à Fox News le 11 décembre, une éventuelle reconnaissance de Taïwan. Même chez Trump, parfois, les mots sont pesés : « Je comprends parfaitement la politique d’“une seule Chine”. Mais je ne sais pas pourquoi nous devons être liés par cette politique […], à moins que nous concluions un accord avec la Chine concernant d’autres choses, y compris le commerce », a-t-il déclaré. Une fois président, il n’aurait d’ailleurs pas le pouvoir, seul, de décider de la reconnaissance de Taïwan. L’objectif est donc bien d’obtenir de Pékin des concessions sur le plan commercial.

Le journal chinois Global Times, proche du pouvoir, a compris le message, comme le montre son édito du 12 décembre titré « La logique de la “Chine unique“ n’est pas une arme de négociation ».

La conclusion de l’article est beaucoup plus prudente : « Nous en saurons plus sur la façon dont Donald Trump interprète la politique de “Chine unique“ après sa prise de pouvoir. En attendant, avec lui, la Chine doit se préparer à des relations sino-américaines tout en montagnes russes. Et beaucoup d’autres dans le monde vont probablement devoir aussi boucler leur ceinture de sécurité. »

Le bras de fer ne fait que commencer

Des montagnes russes, en effet. Car les signaux adressés à Pékin sont beaucoup moins uniformes qu’il n’y paraît. Les Chinois sont pleinement satisfaits de l’abandon annoncé du TPP (Trans Pacific Partnership) par Trump, dont ils étaient exclus. Donald Trump a même joué un coup de maître pour rassurer Pékin quelques jours après le fameux « coup de fil », en nommant au poste d’ambassadeur en Chine le gouverneur de l’Iowa, Terry Branstad. Ce « vieil ami » du pays est un proche de Xi Jinping, qu’il a connu dans les années 1980 lorsque celui-ci, alors gouverneur de la province du Hebei, était venu étudier l’agriculture de l’Iowa avec une délégation d’élus chinois. L’agence de presse officielle Xinhua s’est réjouie de cette nomination, la présentant comme « un signal positif émis au milieu d’autres messages plus mitigés que M. Trump a adressés à la Chine ».

Autant de signaux contradictoires qui font office de « stress tests » en temps réel du pouvoir chinois. La fragile croissance chinoise – d’ailleurs largement surévaluée – est largement dépendante des importations américaines, et la solidité du régime fortement liée aux espoirs d’un atterrissage en douceur d’une économie qui tourne désormais au ralenti. En clair, Trump peut prendre le risque de contrarier Pékin.

C’est peu dire que Jean-Marc Ayrault n’a pas eu cette audace : « Attention à la Chine. C’est un grand pays. Il peut y avoir des désaccords avec la Chine mais on ne parle pas comme ça à un partenaire », a commenté notre poltron ministre des Affaires étrangères.

Trump bénéficiera, en outre, d’un large soutien des milieux d’affaires américains, plutôt favorables à la reconnaissance de Taïwan en vue de favoriser la signature de partenariats économiques : certains secteurs sont aujourd’hui inaccessibles aux États-Unis. Et le futur président ne fait que s’inscrire dans la droite ligne diplomatique du Parti républicain qui, dans son programme, appelle à une politique assumée de soutien à Taïwan. En son temps, Condoleezza Rice avait déjà mis en cause le principe de « Chine unique » avant de faire machine arrière…

De l’audace, encore de l’audace

Avec les bonnes manières qu’on lui connaît et un discours très policé, Obama a tenté lui aussi des coups de poker du même genre, annonçant la vente de 6 milliards d’armements à Taïwan en janvier 2010. À l’époque, le ministère de la Défense chinois avait immédiatement suspendu les échanges militaires avec les États-Unis et convoqué l’attaché de la Défense américain en Chine pour lui faire part d’une « protestation solennelle ». En 2015, rebelote. Le même rituel se répète. Sans réelles conséquences. Au point de se demander si cette agitation perpétuelle ne relève pas de la comédie du pouvoir.

En tout cas, le 10 décembre, le Congrès américain, à majorité républicaine, est allé bien plus loin en adoptant, lors du vote du budget de la Défense, une clause d’échanges militaires de haut niveau entre les États-Unis et Taïwan. Le ministre de la Défense chinois a immédiatement réclamé l’abandon de cette clause, au prétexte que « la question de Taïwan concerne la souveraineté et l’intégrité territoriale chinoise ».

À ce jour, la Maison-Blanche n’a pas fait savoir qu’elle s’opposerait au texte contesté.

Il apparaît donc que le rapport de forces que Trump cherche à obtenir ne tranche pas notablement avec la politique asiatique de Barack Obama, qui visait à établir un véritable « containment », tant militaire qu’économique, de l’Empire du Milieu. À la différence près que Trump joue franc-jeu, casse les codes, s’interdit de faire dans la dentelle, préférant l’irritante « Tweet Diplomatie » au discret « téléphone rouge ». Plein de bon sens, Trump s’est d’ailleurs étonné sur Twitter qu’on ne puisse prendre au téléphone la dirigeante d’un pays auquel on livre des missiles Patriot par centaines…

Par le style, Trump – installé dans sa « Trump tower » mais pas encore à la Maison-Blanche, c’est important – s’autorise ainsi un surcroît de liberté inédit dans une relation avec Pékin historiquement fondée sur la pleutrerie des Occidentaux, méthode qui n’a guère montré son efficacité. Il faudra s’y faire. À Pékin comme à Paris…[/access]



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est journaliste.

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