Quelques mots sur Taïwan


Quelques mots sur Taïwan

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Au gré de mes rencontres, soucieuse de jouer modestement un rôle de passerelle entre des lecteurs français et mes sources formosanes, je recommande souvent de ne pas confondre la Chine avec Taïwan, un pays de 23 millions d’habitants qui vivent sur une île grande comme la Belgique : il s’agit en fait deux pays que sépare une même langue, et pas seulement parce que de 1895 à 1945 Taïwan avait été annexée par le Japon à la suite de la guerre sino-japonaise, perdue par la Chine impériale.

Il n’y a plus d’affrontements militaires comme ceux très violents de 1949 et de 1958 : le rapprochement est évident. Aujourd’hui, deux millions de Taïwanais vivent en Chine. Ils y assurent, dans des usines qui leur appartiennent, 40% (me dit-on) des exportations chinoises : par exemple le groupe taïwanais Foxconn emploie un million d’ouvriers chinois qui fabriquent tous les iPhone et tous les MacBook.

600 vols par semaine relient les principales villes chinoises aux aéroports de Taïwan, et y déversent trois millions de touristes par an, soit le double du nombre de touristes chinois en France (qui est vingt fois plus vaste et trois fois plus peuplée).

En 1978, il y avait moins de dix Français à Taïwan. La France n’a plus de relations diplomatiques avec Taïwan (depuis 1964) mais maintient une copieuse représentation officieuse qui est en relation directe avec le Quai d’Orsay et fête dignement le 14 juillet.

Paris a vendu à Taipei des armes très sophistiquées comme les «Mirage 2000» (et leurs missiles Mica, m’a-t-on expliqué) après avoir vendu la technologie du plutonium (et un peu plus) vers 1975 (un atelier que Washington fera rapidement fermer ne souhaitant pas que Taipei dispose de l’arme nucléaire). Cela est connu, il y a eu des articles dans les journaux, mais on en parle peu : plus sagement, à compter de 1982 et jusqu’en 2010, la France a fourni un tiers des besoins en uranium enrichi des 6 réacteurs électro-nucléaires de l’île. Une soixantaine de magasins Carrefour emploient des milliers de Taïwanais, etc.

Les Taïwanais voyagent sans visa dans la plupart des pays de l’Europe continentale et peuvent résider en France aussi souvent qu’ils le souhaitent, trois mois d’affilée au maximum, dans la limite de 180 jours par an. Les Français bénéficient des mêmes facilités dans l’autre sens.

Les étudiants français sont nombreux à apprendre le chinois à Taïwan où ils apprécient une douceur de vivre inconnue sur le continent, une absence totale de racisme, un régime démocratique avec une liberté totale de la presse, de fréquentes élections, une vie quotidienne agréable, et à bon marché.

Le cinéma taïwanais connaît en France un certain succès, notamment Hou HsiaoHsien, Lee Ang et Tsai MingLiang et on traduit régulièrement quelques romans publiés à Taïwan.

J’aurai l’occasion de reparler de tous ces sujets et de leur corollaire : la pression de plus en plus insistante de Pékin en faveur d’une «unification» qui — comme le mot le laisse deviner — divise de plus en plus les Taïwanais entre eux.

Comme on l’a dit plaisamment : «Ce que beaucoup de Formosans n’aiment pas chez les communistes chinois, c’est qu’ils leur rappellent le KuoMinTang». L’une des origines de cette durable division au sein de la population formosane, c’est la «terreur blanche» que le parti KuoMinTang (autrement appelé «parti nationaliste», réfugié à Taïwan après sa défaite devant les communistes en 1949) a fait peser sur l’île pendant plusieurs années après les terribles et tragiques massacres du printemps 1947. Je ne reviens pas sur ce sujet que j’ai déjà évoqué ailleurs.

Alors, ne parlerai-je pas de la Chine dans mon blog sur le site de Causeur ?

Si, bien évidemment, en particulier parce que je me suis lancée dans le sous-titrage en langue française des films d’un cinéaste indépendant chinois exceptionnel, Hu Jie (Hu est son patronyme) dont j’ai été l’interprète lors de sa récente escale en France.

hu jie

L’un d’eux, Ne pleurez pas sur mon cadavre, raconte le premier meurtre de la Révolution culturelle. Ce film offre une clef pour les Français qui veulent comprendre quelque-chose à la Chine. Tous les Chinois et les Taïwanais en connaissent le sujet, grâce au web, même s’ils n’ont pas tous encore vu ce film de Hu Jie. J’en ai déjà parlé ici.

Mais, aujourd’hui, je voudrai faire une digression sur d’autres personnages que les Chinois (et les Taïwan) connaissent bien mais que les Français ne connaissent pas encore. Le 20 mars dernier, la Cinémathèque française a programmé un autre documentaire de Hu Jie que j’ai sous-titré en français : «Affiches de propagande de la Révolution culturelle».

Je ne raconte pas ici ce film qui sera bientôt en accès libre sur DailyMotion et YouTube dans cette version française. Mais, à la manière de Phil Casoar dans son magnifique album «Les Héros de Budapest» (qu’il vient juste de m’offrir parce que j’ai tiré son portrait, ce dont je le remercie vivement), je vais essayer, à partir d’une seule image de ce film, de raconter une histoire que – là encore – tous les Chinois connaissent mais pratiquement aucun Français.

Un des artistes interviewés par Hu s’appelle Yan ZhengXue. Né en 1944, il rapporte comment – pendant la «révolution culturelle» – il a été torturé pendant trois jours, et condamné à mort, pour avoir oublié de peindre une des deux oreilles du Président Mao en le présentant de trois-quarts sur une gigantesque fresque murale, et pour avoir tracé un trait de repère à travers le visage du «grand timonier».

Finalement, il eut la chance qu’un militaire (qui devait valider sa condamnation à mort) accepte son explication : le trait, léger et provisoire, était rendu nécessaire par les dimensions de la fresque. Yan ne fut donc pas exécuté. Quelques années plus tard, Hu Jie retrouva le peintre Yan à Pékin et le filma devant deux bustes en plâtre qui m’ont intriguée lorsque plan par plan je travaillais au sous-titrage.

Le premier est celui de Lin Zhao, une jeune femme dont je ne parlerai pas aujourd’hui car elle est le sujet d’un film de deux heures sur lequel je reviendrai, en mai prochain, à l’occasion de sa programmation à la Cinémathèque. Lin Zhao fut emprisonnée pendant plusieurs années avant d’être exécutée en 1978 à ShangHai, pour avoir refusé toute autocritique et avoir écrit avec son sang des textes violemment anti-maoïstes.

mao

Le second est celui de Zhang ZhiXin, que l’on aperçoit dans un plan fugace. Zhang n’était pas une dissidente comme Lin Zhao, mais une communiste sincère, partisan de Deng XiaoPing et donc, pour son malheur, critique à l’égard de Madame Mao (Jiang Qing). Elle fut en conséquence arrêtée, longuement torturée, à ShenYang, la grande ville du Nord-Ouest, dans l’ex «Mandchourie», dont le patron politique et militaire était alors Mao YuanXin, neveu de Mao ZeDong.

Les prisonniers de droit commun furent invités à la violer. Il semble que le neveu du président ait fait de la persécution de Zhang ZhiXin l’un de ses caprices. Elle finit folle, coincée dans une cellule où elle ne pouvait se tenir debout, trempant le peu de mantou (pain à la vapeur) qu’on lui donnait pour survivre dans le sang de ses règles. Mao YuanXin, ordonna son exécution en avril 1975 et – pour l’empêcher de crier, on lui coupa la gorge.

Après l’arrestation de Mme Mao et de sa «Bande des quatre», aussitôt après la mort du «grand timonier», son neveu Mao YuanXin fut arrêté et condamné à 18 années de prison.

Revenu au pouvoir avec Deng XiaoPing, Hu YaoBang fit réhabiliter Zhang ZhiXin, mais sans grande explication ni repentance. Dès lors, on condamnera la Révolution culturelle, on réhabilitera ses victimes, mais sans mettre en cause Mao lui-même : une tâche difficile et forcément superficielle. Les quatre millions de morts de la Révolution culturelle ne sont donc pas oubliés, ils ont été en grande partie – pour les plus célèbres – réhabilités. Leurs familles, et de célèbres survivants, ont été plus ou moins indemnisés.

Des milliers de pages sont consacrées à Zhang ZhiXin – héroïne du PCC – sur le web chinois. Il ne s’agit pas de «détails pointus pour spécialistes» mais du coeur de la culture chinoise contemporaine, que nombre de Chinois voudraient voir mieux connue et comprise en Occident. Ils sont cependant un peu pessimistes sur la capacité des Occidentaux à s’intéresser à ces sujets et les comprendre.

Le peintre et sculpteur Yan ZhengXue a proposé que ses statues soient installées sur des sites publics symboliques. On le lui a refusé. Depuis, il a passé trois ans en prison pour harcèlement judiciaire de fonctionnaires sur d’autres sujets.

À la fin du film sur les affiches de propagande de la Révolution culturelle, le vice-président de l’Université de Pékin explique que “Mao a détruit l’agriculture et l’économie chinoises. Mais ce n’est pas très grave – ajoute-t-il – car en quelques années la Chine s’en sortira. Par contre Mao et le maoïsme ont détruit la culture et la sociabilité, la confiance mutuelle et cela il faudra des générations pour y remédier.”

À Taïwan, les massacres de 1947 et la “terreur blanche” ont été épouvantables, mais la société s’en est remise, car l’oppression policière fut le fait d’une minorité contre la majorité qui a depuis retrouvé les libertés démocratiques. En Chine, la Révolution culturelle a été autre chose, comme une guerre civile qui a totalement détruit le lien social, avec des enfants dénonçant ou battant leurs parents (comme le réalisateur Chen KaiGe, qui ne s’en est pas encore remis). Mao demeure au coeur du système malgré ses crimes et bien que le pouvoir soit désormais aux mains des enfants de ceux qu’il a fait torturer. C’est sans doute cette différence qui explique, pour une bonne part, que “l’unification” — entre la Chine encore maoïste schizophrène et Taïwan démocratique — sera très difficile.



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est une photographe taïwanaise installée en France.

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