Un écrivain écrit ce qu’il veut


Un écrivain écrit ce qu’il veut

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Je ne sais pas si Marine Le Pen est bonne à sauter et si par hasard je le pensais, je ne l’écrirais pas comme ça mais, c’est le droit le plus strict, le devoir même, s’il éprouve le besoin de l’écrire, pour Régis Jauffret d’écrire ce qu’il veut écrire car c’est un écrivain. Et les écrivains écrivent ce qu’ils veulent, quand ils veulent et comme ils le veulent. Ils n’ont pas de responsabilité particulière ni de comptes à rendre que ce soit aux yeux de monsieur Rayski, à ceux de Marine Le Pen, de Christiane Taubira ou d’un quelconque pouvoir, d’une quelconque autorité morale, d’un quelconque arbitre du bon goût. À ce rythme-là, Aragon n’aurait pu chanter ni le Guépéou ni « conchier l’armée française dans sa totalité », Genet n’aurait pas pu cracher sur la guerre d’Algérie ni Pasolini sur le fascisme de la consommation. Vous me direz que Pasolini a été assassiné. C’est ce qui arrive aux écrivains qui sont porteurs de mauvaises nouvelles car c’est leur travail. Comme dans l’Antiquité, on tue le messager plutôt que le message. Brasillach a écrit des horreurs, il a été fusillé mais ce que je retiens, c’est que Camus avait signé sa grâce malgré le dégoût que lui inspirait le personnage. Je serai toujours dans le camp de Camus.

Quand monsieur Rayski écrit que Régis Jauffret est « de la merde dans un bas de soie », avec cette éternelle citation de Talleyrand qui peut s’appliquer à peu près à n’importe qui n’importe quand et donc, comme toutes les insultes, ne signifie plus rien, c’est son droit le plus strict également, même si on doute que Monsieur Rayski ait lu un des plus grands textes romanesque paru ces dernières années et qui s’appelle Microfictions (Gallimard 2007).

Pour tout dire, cet appel masqué à la censure sur notre site me choque profondément. Nous nous  faisons ici l’honneur de défendre les indéfendables en matière de littérature et si possible indépendamment de tout opportunisme idéologique. On a parlé ici de Renaud Camus, de Richard Millet, de  Michel Houellebecq le plus sereinement possible et en les envisageant d’abord pour ce qu’ils sont: des écrivains. J’ai beaucoup aimé Renaud Camus, bien avant qu’il ne prenne la tête d’un « combat douteux », comme il est dit dans la Bible, contre Le Grand remplacement. Certaines de ses lignes me choquent profondément, autant que de lire pour le pudique monsieur Rayski, « Marine Le Pen est bonne à sauter ». Pas un instant, pourtant, il ne me viendrait à l’idée de ne pas en parler ou pire, d’inciter à ne pas en parler et de ne pas dire la profonde admiration que j’ai pour des livres comme Roman Roi ou son Journal (au moins jusqu’en 2011).

Faut-il un bureau politique et éditorial, désormais, pour laisser un écrivain publier ce qu’il veut publier ? Monsieur Rayski souhaite-t-il, au nom d’un politiquement correct inversé, qu’on réserve à Régis Jauffret le même sort qu’à Renaud Camus qui n’a plus d’éditeur ? Est-il certain que c’est la seule déclaration de Régis Jauffret qui mérite ses foudres -celle-là remonte à 2011, tout de même. Et puis quelle étrange aporie que de dire qu’il ne faut pas parler d’un écrivain précisément en en parlant ?

Bref, pour terminer,  je me permettrai simplement d’inviter monsieur Rayski à relire le Sartre de Qu’est-ce que la littérature (1948) : « L’art de la prose est solidaire du seul régime où la prose garde un sens : la démocratie. Quand l’une est menacée, l’autre l’est aussi. »

Je ne doute pas, qu’à défaut d’aimer Régis Jauffret, monsieur Rayski soit un démocrate.



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