Frappes russes en Syrie : le jeu trouble de la France


Après un mois de montée en puissance militaire à Lattaquié et Tartous, après les annonces de Vladimir Poutine à la tribune de l’ONU, les premières frappes russes en Syrie ont « surpris les occidentaux ». Les réactions outrées de Laurent Fabius ce matin sur RTL ont fait écho à « la préoccupation » du secrétaire général de l’OTAN. Une sorte de panique semble gagner Paris, comme si l’engagement de Moscou remettait en cause la stratégie française en Syrie. Visiblement, l’intervention russe dérange.

Poutine, en effet, ne se contente pas de frapper Daech. Il frappe aussi Al-Qaïda en Syrie (le Front Al-Nosra) ainsi que ses alliés de « l’armée de la conquête ». Il y a quelques jours, la France a, elle aussi, effectué ses premiers bombardements contre Daech en Syrie. Mais elle se refuse à frapper, comme le font les Etats-Unis et la Russie, d’autres groupes terroristes tout aussi dangereux bien que rivaux : Al-Qaïda en Syrie et les multiples brigades djihadistes qui gravitent autour, en particulier dans la région d’Idleb et de Deraa. Bataillons djihadistes que la diplomatie française persiste à appeler « rebelles », « opposition modérée » et mêmes « résistants ».

Les frappes russes dérangent parce qu’elles mettent en lumière le jeu trouble de la France en Syrie. Et tous les moyens sont bons pour le couvrir d’un écran de fumée oratoire. « Ils ont frappé, pour une bonne part, des résistants et les civils » s’insurge notre ministre de la propagande et des affaires étrangères. Petit-fils de résistante de la première heure, mon sang n’a fait qu’un tour. Ces salauds de russes massacreraient des civils et des « résistants » ? Ce souvenir résonne singulièrement dans le cœur des Français et on ne peut le manipuler sans faire attention. Mais la diabolisation de Vladimir Poutine n’a plus aucune limite ; amalgamer Jean Moulin à des djihadistes sans scrupules, il fallait le faire. Laurent Fabius l’a fait.

Les frappes russes brisent le mythe assez répandu en France d’une guerre à trois où Daech et Bachar Al-Assad se battraient contre des rebelles dont l’opposition démocratique serait la garante du futur radieux de la Syrie. Cette vision écarte le fait qu’une majorité de sunnites se rapprochent du régime pour échapper à la terreur et à la guerre djihadiste. Non seulement celle de Daech mais surtout celle d’Al-Qaïda en Syrie. Les leçons des interventions occidentales en Irak et en Libye sont pourtant claires : non seulement il faudra se débarrasser de Daech mais aussi de tous les groupes djihadistes qui sèment le chaos et la guerre civile. Ceux que Laurent Fabius appelle « les résistants » sont des criminels qui pourraient eux aussi comparaître devant la CPI, mais ils sont soutenus par nos alliés démocratiques turcs, saoudiens ou qataris. Et peut-être encore par la France.

Autre point qui gêne Paris : l’intervention russe en Syrie est légale. Elle s’effectue à la demande du seul gouvernement syrien reconnu par l’ONU, celui de Bachar Al-Assad, chef d’État syrien depuis 1999. Violer la souveraineté syrienne et invoquer comme l’a fait la France une hypothétique légitime défense s’apparente à un détournement de procédure assez énorme. Surtout si l’on considère que, dans le même temps, la Justice française accorde une permission à un de ses djihadistes fiché « S » et jamais rentré à la prison de Meaux.

Il y a ces derniers jours un aveuglement, une peur et une haine de la Russie qui confinent au ridicule. La Russie veut participer à la coalition antiterroriste en Syrie tout en soutenant le régime de Bachar Al-Assad. L’Occident refuse mais n’a plus le monopole de la lutte anti-djihadiste et, vu son bilan depuis quinze ans, pourrait difficilement reprocher à la Russie de reprendre la main.



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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