France-Syrie : Assad ou le grand alibi


France-Syrie : Assad ou le grand alibi

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« Bachar Al-Assad est à l’origine du problème, il ne peut pas faire partie de la solution » c’est ainsi que François Hollande a résumé la position de la France sur la Syrie. Aussitôt faite, cette déclaration a été sévèrement critiquée, y compris dans ces colonnes. Les critiques de la politique syrienne de la France soutiennent que la menace principale étant l’État islamique, il faudrait peu ou prou soutenir le régime de Damas, en tant qu’unique force de résistance à l’E.I mais aussi voir surtout la seule alternative politique fiable quand le tant attendu « jour d’après » arrivera.  Or, sans s’en rendre compte, la plupart des acteurs du débat amalgament ainsi Bachar Al-Assad et le régime syrien. Il est jusqu’au discours diplomatique français pour contribuer à cette confusion, peut-être à dessin.

Car si Bachar Al-Assad est le président de la République arabe syrienne et porte la responsabilité des crimes perpétrés en son nom depuis quatre ans et demi, il est aussi évident que sans la complicité et la collaboration active et zélée de plusieurs centaines de milliers de personnes, ces actes de barbarie auraient été impossibles. En ce sens, il est juste de faire l’amalgame entre Assad et le régime syrien : ce n’est pas Bachar qui pilotait les hélicoptères larguant des barils d’explosifs sur des cibles mal définies en milieu urbain, ni lui qui torturait et assassinait les milliers de victimes prises en photos par César, ce courageux membre des services de sécurité syrien qui a fait défection avec des dizaines de milliers de clichés les plus atroces les uns que les autres.

La Syrie est depuis longtemps dirigée par un système d’une rare cruauté – le massacre de Hama en 1982 en est un exemple – fondé sur le consentement et la participation d’un très grand nombre de personnes. Les différentes forces de l’ordre, les fonctionnaires, les militaires et autres cadres du parti Baas forment une machine d’une épouvantable barbarie. Rappelons-nous le sort des enfants de la ville de Deraa dont la torture et l’assassinat en mars 2011 ont déclenché la guerre civile – même loin du centre, l’ADN du système syrien est reconnaissable dans les actes de ses différents composant à toutes les échelles de l’administration.

Sans demander l’accord d’Assad, ce régime de l’horreur s’est mis spontanément à commettre des atrocités. Face à ce que Michel Seurat appelait « l’Etat de barbarie », se focaliser sur la personne de Bachar n’a pas de sens. Autant faire d’Hitler le seul et unique responsable des crimes allemands perpétrés entre 1933 et 1945. Cependant, comme dans le précédent allemand, on se rend vite compte qu’il est impossible de se débarrasser de la machine étatique, que trop de personnes sont impliquées et qu’en fin de compte certains criminels se révèleront utiles le moment venu. L’exemple le plus récent est l’Iraq où l’épuration de l’armée et le bannissement des membres du Baas est probablement la raison principale de l’échec américain.

C’est pourquoi il est utile aujourd’hui de cultiver, comme le fait la France, le mythe du dictateur monstre sanguinaire : plus on l’accable, plus on focalise les critiques sur sa personne, plus il sera facile de blanchir ses collaborateurs et obligés dont la plus part sont parfaitement inconnus hors la Syrie. Ainsi, la position française peut être formulée en ces termes : « Rien n’est possible avec Bachar Al-Assad pour que tout soit possible avec ceux qui l’ont conseillé et exécuté des ordres dont l’iniquité est flagrante ». Pour préparer le terrain à un compromis avec les assassins et contribuer au « vivre-ensemble » de demain entre les tortionnaires et leurs victimes, il faut imaginer qu’Assad est le seul coupable des exactions présentes.

C’est un fait épouvantable pour tous les Syriens qui, après la guerre, devront croiser à la mairie le fonctionnaire responsable de l’assassinat d’un frère ou du viol d’une sœur, confortablement planqué après l’amnistie générale. Mais puisqu’on ne peut pas faire le procès d’un million de criminels, transformons un seul homme en diable et brûlons-le.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00710482_000031.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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