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Social, aristocratique et sensuel


Depuis son premier long métrage, Peaux de vache tourné en 1988, en passant par Travolta et moi (1994) tourné pour une série de télévision d’Arte pour lequel elle reçut le Léopard d’or dans l’excellent festival du film de Locarno – comme quoi, on peut travailler pour la télévision et réaliser des œuvres ambitieuses, inventives et intelligentes – , Saint-Cyr (2000) ; Basse Normandie (2004), jusqu’à ce nouvel opus d’une beauté frondeuse et flamboyante, Sport de filles, Patricia Mazuy s’impose dans le cinéma français comme une cinéaste talentueuse, butée, révolté en quelque vingt cinq ans de carrière. Un cinéaste libre, une résistante à la nouvelle qualité française, au cinéma d’auteur normé pour la plupart asservi aux normes du marché. Avec Patricia Mazuy, je suis convaincu qu’il s’agirait plutôt d’un « cinéma de hauteur », d’un cinéma aristocratique que peuvent atteindre les cinéastes debout.

Autant le dire tout de suite Sport de filles de Patricia Mazuy est un très grand et beau film, un western social flamboyant, un film sensuel et sexuel d’une grande tenue formelle, d’une dignité politique qui ne fait aucune concession, mais qui ne donne aucune leçon. La morale de ce film frontal et majestueux est définie par l’action et les comportements moraux des personnages comme dans les grands westerns de Ford ou de Walsh. La cinéaste donne ici ses lettres de noblesse au cinéma prouvant qu’elle est une directrice d’acteurs et d’actrices formidable.

Tragi-comédie sociale et politique se déroulant dans le monde équestre, le film montre avec une saine virulence l’opposition de deux mondes, celui de l’aristocratie du monde hippique, des propriétaires à celui modeste et rural d’une jeune femme d’origine paysanne, dotée d’un amour sublime pour les chevaux et d’une obstination sans faille dans son désir de les dresser et de les monter. L’action se situe entre un haras normand et un concours de dressage à Francfort. Joséphine De Silène (Josiane Balasko), aristocrate, roide et dominatrice mène son petit monde à la baguette. Il y a Franz Mann (Bruno Ganz, impérial), ancienne gloire des concours hippiques, entraîneur du lieu et les écuyères dont sa propre fille, Alice (Isabel Karajan). La prénommée Gracieuse jouée par une Marina Hands sublime, virée du haras où elle travaillait précédemment, arrive, fière et décidée, pour travailler dans celui de Madame De Siléne. Mais une fois de plus, elle se confronte à la domination de classe. Elle doit obtenir de son père qu’il cède ses terres à sa patronne. Gracieuse ne supporte pas la bassesse et les concessions, elle ne veut pas se soumettre, elle veut être reconnue pour son talent, elle veut prouver aux yeux de tous et particulièrement à ceux de Franz, qu’elle peut être une écuyère à la hauteur. Elle va dompter le cheval qui fait discorde entre Joséphine et la maitresse de Franz, une riche propriétaire anglaise.

Gracieuse est une Jeanne d’Arc moderne, une flibustière révoltée qui par la force de son travail, sa volonté absolue, son impertinence majestueuse, sa grandeur d’âme va imposer l’évidente justesse de son combat. Marina Hands, dans son plus beau rôle au cinéma, donne à ce personnage une dimension princière. Après des jours de travail et d’entrainement en forêt, elle vole un cheval et un van, puis se rend à Francfort dans le but de convaincre Franz qu’elle est une vraie cavalière. Gracieuse, vêtue de son blouson de cuir rouge, ayant chaussé ses nouvelles et superbes bottes de cuir, têtue, sauvage, froide, un peu rêche, un bandeau vert sur son œil blessé, qui la rend encore plus sensuelle, va dans une scène – véritable climax du film – d’une volupté intense, d’une beauté à couper le souffle prouver qu’elle sait dompter un cheval, et emporter l’adhésion sportive et l’amour d’un entraineur devenu un esclave mais qui vient enfin de décider de se rebeller.

La bande musicale signée de John Cale, musicien de génie, ex membre du Velvet Underground, avive les tensions abruptes de ce film merveilleux que je vous conseille vivement d’aller voir toutes affaires cessantes.

Sport de filles, de Patricia Mazuy avec Marina Hands, Josiane Balasko, Bruno Ganz, Isabel Karajan, Amanda Harlech….



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est directeur de cinéma.

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