Il était une fois 2015 (3/3)


Il était une fois 2015 (3/3)

todd sarkozy migrants

Retrouvez les deux premières parties de cette rétrospective ici et .

Perdre (se). Il est dans la nature de l’humain de se perdre. On peut se perdre dans un discours de Michel Rocard. Se perdre dans les yeux de celle que l’on aime. Se perdre en conjectures. On peut aussi, évidemment, se perdre dans les rues d’une grande ville… Le New York Times nous rapportait en novembre l’histoire extraordinaire d’un italien d’une trentaine d’années venu à New-York pour participer au légendaire marathon, qui s’est perdu deux jours dans la « Grosse pomme »… bien après que les derniers concurrents aient franchi la ligne d’arrivée. Gianclaudio Marengo, qui tentait cette expérience sportive en compagnie d’un groupe d’anciens toxicomanes, n’a jamais trouvé la sortie. Perdant de vue ses camarades, perdant ses papiers, perdant les documents lui permettant de s’orienter (comme de retrouver son hôtel dans le Queens), ne parlant pas un mot de la langue de Donald Trump, il a erré dans les rues, arpenté les couloirs du métro, dormi dans un parc – toujours dans sa tenue de marathon-man… – avant qu’un policier, averti de la disparition mystérieuse d’un italien en goguette, ne le raccompagne à son ambassade. Déshydraté, désorienté, le malheureux a été hospitalisé puis embarqué sur un avion. Retour en Europe. Ce qu’il a fait, ce qu’il a vu, ce qu’il a tenté durant ces quelques jours, il l’a gardé pour lui. « Allo, passez-moi Fellini, c’est pour une idée de scénario… »

Sarkozy (Dynastie). Dans la famille Sarkozy vous connaissez le père, cycliste amateur et joggeur professionnel, toujours hyperactif et dilettante, à moins que ce ne soit le contraire ; Pierre le fils rappeur (sous le pseudonyme de DJ Mosey !), Jean le fils politicien à cheveux longs, qui nous avait bien fait rire dans son rôle de candidat surprise à la présidence de l’établissement d’aménagement de La Défense… Il faudra désormais compter avec le petit Louis. On était resté sur l’image d’un gamin d’apparence sage, mais espiègle, qui semblait s’amuser beaucoup du décorum et des ors de l’Elysée. Mais Louis a bien changé. Il a pris du muscle. Il a pris de la masse. Il a même pris du gallon, puisque Paris Match l’a retrouvé – cette année – dans une académie militaire de Pennsylvanie ! Le fils de Cécilia a fait toute une partie de sa scolarité aux Etats-Unis et a envisagé un temps d’entrer dans les Marines US. Le jeune-homme nous apprend que dans cette académie il a été « co-instructeur de tir. (Je tirais) entre 150 et 300 cartouches par semaine. ». Revenant sur sa vie de gamin dans les jupes de son père Président, il se remémore quelques bons souvenirs : « J’ai eu la chance de rencontrer Obama, le Pape m’a béni, quant à George W. Bush, il m’a tout simplement fait un câlin ! » Gare au baiser de Judas ! Quitte à choisir je crois que j’aurais préféré mourir plus tôt et n’avoir jamais à lire une interview de Louis Sarkozy. Il se pourrait pourtant que l’on parle à nouveau beaucoup de cette dynastie dans les années à venir…

Youkounkoun. 2015 a été marquée par l’afflux massif de migrants venus en Europe par les Balkans ou la mer Méditerranée. Cela fait certes des années que des bateaux de migrants, venus d’Afrique ou du Proche-Orient s’échouent, chavirent ou accostent vaille que vaille sur les côtes espagnoles, italiennes ou françaises… mais cette année le mouvement s’est accentué, en raison naturellement de la situation dramatique en Syrie, en Afghanistan et (on l’oublie parfois) dans cette Corée du Nord africaine qu’est l’Érythrée… En 2015, pour le grand public, les flux de migrants sont devenus la « crise migratoire ». Moment fort après des dizaines de chavirages de navires de fortune, et des milliers de morts perdus en mer, l’image du petit Aylan Kurdi, garçonnet syrien d’origine Kurde dont la famille fuyait la guerre civile par bateau, allongé sans vie sur une plage Turque bouleverse la planète entière… La mer a rendu cruellement le corps sur plage. La position de l’enfant, la tête dans le sable, fait en elle-même toute la photo. L’image devient symbole. L’engouement de la presse est immédiat (la photo est publiée massivement en Une des principaux quotidiens mondiaux, alors que l’on en savait bien peu sur l’origine de cette image et les intentions du photographe). L’image devient symbole, et le symbole devient emballement ? Naturellement, le petit Aylan enterré, l’émotion s’est dissipée sur les réseaux sociaux, et partout ailleurs. Cette question des migrants a dominé l’année dans les discussions de bistrots, dans les réunions familiales autour du gigot dominical, a alimenté la campagne des régionales, a nourri le racisme et des peurs diverses (notamment celle, qui s’est avérée hélas justifiée de la présence d’islamistes parmi ces nouveaux arrivants…) Cette crise migratoire a surtout alimenté la connerie humaine, qui d’année en année ne se dément pas. Ainsi, au Danemark, a émergé l’idée d’une confiscation automatique des principaux « biens » de valeur des migrants afin de financer leur accueil – et aussi de dissuader, certainement, de nouvelles arrivées…  Des « biens » incluant l’argent, les objets divers, mais aussi les… bijoux… On ne parle pas là du Youkounkoun ou des bijoux de la Castafiore, mais de simples bijoux de famille… Sans manifestement songer aux relents immondes de spoliation de cette mesure, le gouvernement danois l’a défendu sans complexe, soutenu par le Parti populaire, dont l’un des leaders a déclaré : « C’est juste une petite proposition dans le but de protéger notre démocratie, notre pays et notre culture ». J’sens comme un vide, remets-moi Johnny Kidd…

Zombies (catholiques). Le 10 et le 11 janvier de grandes « marches républicaines » ont réuni dans Paris, et d’innombrables villes françaises, des millions de citoyens révoltés par les attaques terroristes du début d’année contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. Le slogan « Je suis Charlie » a émergé. La Marseillaise a fusé. Les cœurs ont été gros. Les mines fermées. Les sanglots longs des violons de l’hiver ont blessé nos cœurs d’une langueur monotone. Des millions de français se sont dressés contre la barbarie islamiste, contre la violence, contre la bêtise gorgée du pire des ressentiments des faiseurs de morts d’Allah. Il n’en fallait pas moins pour que le petit personnel intellectuel hexagonal s’agite, s’interroge, voire s’insurge… Le cartographe d’extrême-centre-gauche Emmanuel Todd a tiré de ses rêves névrotiques l’idée que les indignés de ces jours-là étaient des catholiques, petit bourgeois, issus de petites villes provinciales moisies…voire islamophobes… Des « Catholiques zombies »©… Le concept est épais comme un sandwich SNCF…  Depuis il y a eu d’autres attaques. Depuis il y a eu le 13 novembre… Les dons de sang ont afflué, massivement – de toute la France. Toute la France. Et Emmanuel Todd a disparu.

Mais il est possible qu’il revienne, au vent mauvais, en 2016…

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00656862_000011.



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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