Prostitution: pas de pitié pour les ratés!


Prostitution: pas de pitié pour les ratés!
Olivier Donnars/NurPhoto

La loi de pénalisation des clients de prostituées est passée. Quelle catastrophe, cette prise en otage des bas-fonds par les intégristes un peu ridicules de l’abolition. On a su leur opposer seulement les jet-setteurs décomplexés friands d’Ukrainiennes sans papiers. Horrible.

Moi je m’interroge. Pas sur « le client gros pervers et répugnant » des uns ou « le client superfriqué et cool » des autres. Je m’interroge à propos du « client désespéré », du raté intégral de la vie, qu’aucune femme ne veut toucher, parce qu’il est moche et/ou pauvre, et/ou peut-être vieux. En gros, toute cette loi aurait dû être pensée à l’aune du client houellebecquien, le seul véritable, le seul client réel. Elle aurait dû être pensée pragmatiquement, selon les possibilités réelles de protection et d’émancipation des prostituées. La loi n’a pas vocation à rêver. Mais pour cela, il faut dépasser le hiatus sexué et se préoccuper de l’espèce humaine, de ses malheurs et du sordide qui l’accompagne sans aucune pause.

Cette loi sera une loi de plus contre les petites racailles de banlieue qui veulent se faire sucer pour la première fois au Bois, une loi contre les petits vieux soignés mais totalement seuls qui pour 25 euros se disent que, s’ils arrivent à bander, ils ont la possibilité de re-toucher, de re-pénétrer le corps d’une femme avant de crever en boule dans leur F1 et d’être découverts momifiés huit ans plus tard. C’est une loi contre tous les hommes qui ne savent pas parler et qui s’offrent des jambes écartées sans bla-bla aléatoire, sans déployer le moindre effort, dont ils n’ont de toute façon plus la force. C’est une loi contre tous ceux qui n’ont ni l’argent, ni la patience, ni le goût de l’incertitude qui consiste à inviter cinq fois une femme au cinéma ou ailleurs, dans l’espoir de pouvoir apercevoir de vrais seins avant la saint-glinglin.[access capability= »lire_inedits »]

Cette loi va aggraver la clandestinité de la prostitution dans des proportions qui mettront plus encore les prostituées en situation d’esclavage et en danger de mort. Car la vraie solution, ce serait la réglementation, la Sécurité sociale, l’accompagnement des prostituées et le démantèlement permanent des filières de proxénétisme. La solution n’est pas nette, pas totale, elle exige beaucoup de modestie et un mépris solide de l’hypocrisie et du puritanisme.

Mais avec cette loi de pénalisation du client, la morale sera contente. Les ligues de vertu féminine aussi. Combien de femmes pourtant passeraient leur soirée au bordel si on leur concoctait des rangées de priapes pas bégueules ? Je me marre. Il faut croire que quelque chose d’anthropologique conditionne ici les comportements, crée cette dissymétrie. La suprématie de forces animales, fondamentales, est intellectuellement insupportable à beaucoup, et toujours impensée.

La prochaine étape sera-t-elle l’interdiction de la sodomie et de la fellation, car « dégradantes pour la femme » ?

Comment ne pas voir, ne pas deviner, qu’en entravant ainsi cet exutoire à la misère intime qu’est la prostitution, sans aucune chance de l’abolir dans les faits, on fera surgir une brutalité folle au cœur gris de la société ? Je ne parle même pas de l’immixtion de l’État au cœur de nos libertés et pratiques sexuelles, personne ne comprend plus le b.a.-ba de la moindre philosophie politique. La prochaine étape du gouvernement sera-t-elle l’interdiction de la sodomie et de la fellation, car « dégradantes pour la femme » ? À coup sûr. C’est la logique empruntée. Est-ce que se faire sucer, c’est dégrader ? Pour l’oie lambda évadée d’une pseudo-bourgeoisie coincée, peut-être, mais pour beaucoup de femmes, de l’aristocrate funky à la prolo très coquine, en passant par la fille de profs lectrice de Bataille, non, pas du tout, c’est bon de sucer.

Vous avez délégué un droit de regard sur votre sexualité à l’État simplement parce que vous pensez que « ces pratiques-là » ne sont pas dignes, qu’elles ne vous concernent pas directement d’ailleurs, ou sont inavouables. Vous trouvez toute cette tartuferie rassérénante, à défaut d’être utile. Vous y voyez la victoire d’un genre de féminisme, qui vous permet de détourner les yeux de tous ces beaux couples, le vôtre aussi peut-être, où l’argent, et c’est bien naturel, joue un rôle prépondérant, qu’il s’agisse de celui de Monsieur ou de celui de Madame. Vous applaudissez, au fond, à la manière de puceaux romantiques, à une loi qui prescrit en creux, pour se grimper dessus, un Amour réciproque. Vous êtes fous ?

Je ne vais pas aux putes (j’y suis allé trois fois dans ma vie, à chaque fois dans des conditions différentes et tellement existentielles. Ce serait trop long à décrire, et inaudible pour les certitudes d’airain qui traînent de partout). C’est nul comme expérience, déprimant et radicalement morne, mais c’est tout sauf « insignifiant ». Supprimer cette possibilité mentale, cette solution ultime à l’égarement, à la détresse impérieuse parfois de la sexualité masculine, c’est exposer toute la société à des mouvements tectoniques, fondamentaux, dont personne ne peut prédire la forme que prendront les éruptions.

Et quid des handicapés et des services érotiques à la personne ? Pas de jouissance pour les mecs (et les filles aussi) en fauteuil ? Pourquoi le débat en est-il à pénaliser le client au lieu d’une proposition de loi sur l’assistance érotique aux handicapés, sur le modèle suisse, qui serait tellement plus « humaine », véritablement humaine ? Si les gens baisaient mieux, si les gens baisaient plus, si les gens baisaient joyeusement, ces débats n’auraient pas lieu. Hélas, notre darwinisme nous impose la sélection des partenaires, et à ce jeu il y a des perdants, beaucoup de perdants. Les priver de toute illusion, alors même qu’on n’empêchera jamais certaines femmes de se proposer comme leurre, est une folie.

Si personne ne souhaite pour sa fille la prostitution, personne ne souhaite pour son fils d’être client de prostituées. Est-ce vraiment clair pour tout le monde ? Est-ce une raison pour essayer de nier aussi grotesquement la quantité incroyable de chagrin, de dénuement et d’infortune qui s’échange fébrilement à la lueur des lampadaires ?[/access]

Mai 2016 #35

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Psyché du «surmusulman»
Article suivant Au FigaroVox, on débat à plusieurs voix

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération