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Pourquoi Mitt Romney peut gagner


Pourquoi Mitt Romney peut gagner

Mitt Romney Obama USA

Créditant les lecteurs de Causeur d’une capacité mémorielle bien supérieure à celle des poissons rouges, je me garderais d’être aussi péremptoire que Bernard-Henri Lévy assénant dans Le Point sa certitude de la victoire de Barack Obama, le 6 novembre prochain. Les prévisions sont hasardeuses, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir… Mais si on me brûlait la plante des pieds pour m’extorquer un pronostic sur l’issue de la présidentielle américaine, je finirais par lâcher, d’une voix faible et mal assurée : « M…itt…R…oooomney… ». Pourquoi ? Parce qu’une campagne se juge à sa dynamique, et non pas sur la seule analyse des sondages. Et cela d’autant plus que ces enquêtes d’opinion, dans les « swing states »[1. Les « swing states » sont les Etats qui risquent de basculer d’un côté ou d’un autre, et dont la conquête des grands électeurs est indispensable pour gagner l’élection. Les plus convoités sont aujourd’hui la Floride, l’Ohio et l’Iowa.] notamment, ne permettent pas de désigner le futur vainqueur dans chacun de ces Etats clés de manière fiable, car l’écart entre les candidats est si faible qu’il se situe dans la marge d’erreur reconnue par les instituts de sondages.

En revanche, la dynamique d’une campagne de cette ampleur peut s’observer, même de loin, dans les mouvements d’opinion perceptibles dans l’évolution des intentions de vote sur les deux derniers mois, et en lisant les éditorialistes de tous bords. Au sortir de l’été, l’affaire semblait pliée. Mitt Romney ne faisait pas la maille : trop gaffeur, trop riche, trop mormon, trop à droite, trop plombé par le Tea Party, trop tout. De plus, il s’était adjoint un candidat à la vice-présidence, Paul Ryan, dont l’idéologie ultralibérale allait effrayer les classes moyennes durement touchées par la crise.

Mitt Romney laissait dire, et les stratèges démocrates engloutissaient des millions de dollars dans une campagne d’annonce télévisées négatives dépeignant le candidat républicain comme un clône de George W.Bush, dont l’élection à la Maison blanche mettrait à nouveau la planète à feu et à sang, et dont les positions sur le questions dites sociétales – avortement, mariage gay etc. – ramèneraient les Etats-Unis un siècle en arrière. De leur côté, les Républicains tiraient au gros calibre sur le bilan économique d’Obama : chômage hausse vertigineuse, dette en expansion continue, classes moyennes écrasées d’impôts…

Jamais, dans une présidentielle américaine, on n’avait investi autant dans des spots publicitaires visant plutôt à démolir l’adversaire qu’à faire la promotion de son projet pour les quatre ans à venir.
Dans ce contexte, la tactique de Romney, le recentrage après des primaires républicaines remportées sur un discours de droite, s’est révélée payante. Le Romney que les électeurs ont découvert lors du premier face à face avec Obama n’était pas du tout celui que la campagne démocrate leur avait vendu : on avait affaire à un candidat pragmatique, se prévalant de son bilan de gouverneur du Massachussetts, un Etat dominé par les Démocrates, où il est parvenu à travailler avec ses opposants pour le bien de la population. Les stratèges d’Obama avaient pris pour cible le Romney des primaires républicaines et ainsi dépensé des millions de dollars en pure perte… De plus, les torrents de boues déversés dans les spots publicitaires sur le concurrent contribuent à dégoûter l’électeur potentiel de la politique, ce qui, dans la conjoncture actuelle, défavorise le camp démocrate.

Un autre handicap du président sortant est celui de la déception qu’il a provoqué dans la fraction la plus « gauchiste » de son électorat, celle qui s’était mobilisée en 2008 en croyant que le premier président noir des Etats-Unis d’Amérique allait faire une politique de gauche, au sens européen du terme. Il n’a pas fermé Guantanamo, ni soumis Wall Street à une régulation contraignante. On pourra lire, en français, l’argumentaire de ces déçus d’Obama dans le livre que vient de publier John MacArthur, le directeur éditeur du Harpers’ Magazine. Il tire à boulets rouges sur le président sortant, pur produit de la machine politique démocrate de Chicago, selon lui la plus opportuniste, clientéliste et corrompue des Etats-Unis. Certes, cette mouvance de la gauche radicale ne pèse pas beaucoup électoralement, mais elle peut nuire à un candidat démocrate : on se souvient qu’en 2000, lors de la plus serrée des élections présidentielles américaine, Al Gore fut battu sur le fil par George W. Bush, alors que Ralph Nader, candidat de la gauche radicale obtenait 2,74% des suffrages. Si ce dernier n’avait pas été dans la course, Al Gore l’aurait très probablement emporté.

Mais plus que son poids électoral, c’est l’énergie militante de cette gauche radicale qui a permis, en 2008, au candidat Obama d’amener vers les urnes des catégories de la population qui, jusque là, s’abstenaient massivement, dans les classes populaires et les minorités ethniques. Tous les échos que l’on a aujourd’hui en provenance de la « campagne Obama » indiquent que les bénévoles ne cherchent même plus à convaincre les électeurs indécis mais se concentrent sur la mobilisation de ceux qui avaient voté Obama en 2008 et sont tentés, cette année, d’aller à la pêche à la ligne. Mitt Romney, lui, n’a pas ce souci : les plus radicaux de son électorat sont mobilisés à fond. Romney n’est pas le candidat de leur cœur (ils auraient préféré Newt Gringrich ou Rick Santorum), mais leur détestation d’Obama, de sa politique, de tout ce qu’il représente est si forte qu’ils voteraient même pour le diable si ce dernier avait décroché l’investiture républicaine. Romney peut donc tranquillement aller à la pêche aux électeurs centristes, qui feront la décision dans les Etats clés, sans avoir à craindre de perdre trop de voix à droite. Les « victoires » engrangées par Obama lors des deux derniers face à face avec Romney auront sans doute rassuré ceux qui, en France, entretiennent pieusement la flamme obamaniaque. Faut-il leur rappeler que ce n’est pas à Paris qu’on vote, mais à Orlando, Des Moines ou Cleveland. Dans ces chanmantes localités, la politique intransitive (Yes we can !) ne fait plus recette lorsque l’on est confronté à la réalité transitive « I can’t find a job ! ».

*Photo : Dave Delay.



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