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Pour Gaza, Rania paie le prix du sang


Pour Gaza, Rania paie le prix du sang

Alors que les raids aériens de l’armée israélienne se poursuivent contre des installations du Hamas, et que le bilan des victimes dans le bande de Gaza se situe aux alentours de 370 morts, les médias jordaniens ont fait parvenir jusqu’à nous une image assez curieuse : la reine Rania de Jordanie en train de donner son propre sang, à l’hôpital militaire Al-Hussein d’Amman, dans le cadre d’une opération humanitaire en faveur des Palestiniens. La reine, qui est d’origine palestinienne, a d’ailleurs déclaré : « ce serait une honte de se limiter à exprimer sa sympathie avec le peuple de Gaza, car ils n’ont pas besoin qu’on ait pitié d’eux, ils ont besoin de nous pour agir et aider et je sais que nous pouvons faire plus ». Le roi de Jordanie Abdallah II a également fait don de son sang. Ces gouttes de sang seront certainement utiles dès lors que l’opération « plomb fondu » a déjà fait 1700 blessés. Mais ces images révèlent les nouveaux jeux de la propagande et de la communication dans le contexte proche-oriental.

En 2006, quatre ans plus tard, la très people Rania répondait aux questions de l’écrivain(e) Irène Frain dans Paris-Match, alors qu’elle participait au glorieux « Forum des femmes » de Deauville. Pensez-donc, la presse tenait enfin une élégante et belle jet-setteuse du monde arabe, instruite, non-voilée, défendant la veuve et l’orphelin, et tellement solidaire avec les populations palestiniennes opprimées. Autant dire que Rania était parfaitement calibrée pour être une « ambassadrice de charme » du monde arabe auprès de l’Occident. « Le week-end, écrit Irène Frain, Rania et le roi Abdallah adorent préparer eux-mêmes des barbecues pour leurs enfants. Le soir, quand elle n’a pas de devoirs protocolaires, la reine redevient une « simple » jeune femme de son temps, captivée… par Desperate Housewives ». Un barbecue en famille, quand elle ne doit pas faire « ses devoirs »… le tout suivi d’une soirée télé. Une simple life, comme dirait la sociologue Paris Hilton. Irène Frain, dans ce style apologétique « mousse et pampre » dont elle a seule le secret de fabrication, balance : « Rien qu’à entendre ce « Rania » qui sonne déjà comme « reine », chacun, dans l’attente de ce dîner où elle doit prononcer un discours, s’est mis à rêver diadèmes et contes de fées ; et, bien entendu, s’est souvenu de Diana. » La référence est lâchée – Lady Di. On aurait pu attendre la Reine de Saba, les Mille et une nuits, Lawrence d’Arabie, Angélique marquise des anges et le sultan, tout le toutime ! Nan, à l’arrivée il reste seulement Diana, l’amante du palefrenier. Frain est vraiment sous le charme exotique de Rania : « Grâce désarmante, sourire malicieux à la Julia Roberts, cette fille pourrait aisément damer le pion aux plus beaux mannequins du monde. Comment croire qu’elle a 36 ans et qu’elle a mis au monde quatre enfants ? Mais on n’a encore rien vu. » Ok. Bon, arrêtons tout net de nous moquer du style impardonnable de cette femme de lettres impérissable comme des images glam glam glam du photographe new-yorkais Nigel Parry qui accompagnent l’article. Rania y ressemble à une mauvaise doublure de Julia Roberts, à une Californienne aisée se pavanant en sa luxueuse villa de Palm Beach. On en oublierait presque qu’elle a été classée 82ème femme la plus influente du monde, par le magazine Forbes en 2007… devant Luisa Diogo, inconnue présidente du Mozambique, mais derrière Maureen Chiquet, mal connue directrice générale de Chanel…

Reste à comprendre ce qui a poussé cette Lady Di d’Arabie à donner son sang royal pour le peuple palestinien et les caméras de télévision. Geste humanitaire ou acte politique ?

Il faut dire d’entrée que la petite monarchie (plus peuplée que la Papouasie mais moins que la Suisse) est sacrément concernée par l’instabilité au Proche Orient, prise en sandwich qu’elle est entre l’Iran, l’Irak et Israël.

En tout cas, le soutien de Rania de Jordanie aux Palestiniens n’est pas nouveau. Interviewée par Claire Chazal, dans le Figaro Magazine, en 2002, la photogénique Reine faisait dans le pathos consensuel : « Du point de vue israélien, la réoccupation des territoires et les punitions collectives envers le peuple palestinien sont légitimes. Du point de vue palestinien, les attentats-suicides sont justifiés. » Opinion justifiée par l’égalité des mères devant la maternitude : « Une mère israélienne aime son enfant, une mère palestinienne aime son enfant, une mère française aime son enfant. Le lien entre la mère et l’enfant passe au-dessus de toute notion de nationalité et de religion. » Bref, la Reine nous la jouait United Colors et Mothers sans Frontières.

À la même période, Nice-Matin rapportait : « La reine Rania de Jordanie a participé hier à Amman à une manifestation contre les incursions israéliennes dans les territoires palestiniens, signe du mécontentement croissant du monde arabe et de la pression de la rue que subissent les dirigeants modérés. » Jamais avare de symboles délicats, Rania s’associait alors à des manifs ouvertement anti-israéliennes : « Rania, accompagnée par trois autres membres de la famille royale, a marché juste derrière le premier rang constitué de cinq enfants jordaniens en fauteuil roulant qui portaient des pancartes disant ‘Arrêtez de faire de nos enfants des handicapés’ (…) La reine Rania de Jordanie a prié pour la Palestine hier à Amman » Cinq paralytiques d’un coup. Et sur roulettes. Plus une prière. Les télés ont dû se régaler. On donnerait cher pour revoir ces images. Enfin, Rania y était. C’est le principal. Derrière son image de people moderne calibrée pour le papier glacé, derrière Diana, derrière Julia Roberts, et même Pénélope Cruz… il y a la manifestante, la militante, la palestinienne en prière, la femme engagée qui souffre pour tout un peule…

Le don de sang humanitaire et engagé est une spécialité du royaume hachémite. En 1995, les Jordaniens avaient été invités à donner leur sang en faveur des musulmans bosniaques. Et en 2003, rebelote, le royaume lançait une nouvelle campagne de don du sang en faveur du peuple irakien. « Leurs majestés ont donné leur sang pour les blessés irakiens afin de concrétiser leur soutien au peuple irakien et démontrer les liens fraternels entre les deux pays », indiquait alors l’agence officielle Petra.. » Autant dire que pour une reine de Jordanie, donner son sang va de soi, comme d’aller taper quelques balles au golf de Saint Nom la Bretèche ou faire acte de présence au bal des débutantes. « Le sang donné par les Jordaniens sera rassemblé puis expédié en Irak dans le cadre d’une campagne nationale d’assistance au peuple irakien, lancée par le souverain jordanien, précisait l’AFP. La Jordanie s’apprête également à envoyer un hôpital de campagne en Irak pour fournir des soins médicaux d’urgence à la population. » Autant dire que le show de Lady Rania à l’hôpital Al-Hussein d’Amman s’inscrit dans une vieille habitude jordanienne de compassion sanguine pour les frères et cousins arabes du Proche Orient…

Que dit-elle la souveraine donnant son sang, et invitant son peuple obéissant à donner le sien pour la « cause » palestinienne ? Elle dit qu’il faut se donner… c’est-à-dire « se battre ». Donner son sang, c’est donner plus que son sang, c’est participer au combat des Palestiniens, presque mourir pour la Cause. C’est ce sacrifice que montrent les séquences vidéo qui passeront en boucle sur les networks du monde arabe. Cette goutte de sang royal, c’est la promesse de la victoire des glorieuses troupes palestiniennes aujourd’hui incapables de riposter à une attaque militaire israélienne autrement que par le terrorisme. Pendant que son royal époux joue, une fois encore, une partie difficile sur l’échiquier régional, Lady Di de Jordanie paie le prix du sang.



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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