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Tant qu’il y aura des films

"Pas de vagues" de Teddy Lussi-Modeste / "La Nouvelle femme" de Léa Todorov / "CE2" de Jacques Douillon (ANNULE)


Tant qu’il y aura des films
"Pas de vagues", un film de Teddy Lussi-Modeste. © France 3 Cinéma

Que se passe-t-il donc ? Le cinéma aurait-il soudain décidé de s’intéresser sérieusement au sujet de l’éducation via des films de fiction, certes inégaux, mais qui dépassent les caricatures et les clichés habituels ?


Harcelé

Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste, sortie le 27 mars.

« Il y a quelques années, dans le collège où j’étais professeur, la conseillère principale d’éducation me tend un jour une lettre écrite par l’une de mes élèves. La jeune fille m’y accuse de la regarder en touchant ma ceinture. Elle a 13 ans. Les choses s’emballent. Un de ses grands frères me menace de mort. Un autre l’emmène porter plainte contre moi. Je refuse de me mettre en arrêt, car j’y vois bêtement un aveu de culpabilité. Je sors chaque jour du collège en me demandant si on va me casser les jambes. Je vis dans la peur et la honte– la culpabilité aussi : je ne veux pas que les collègues qui m’escortent jusqu’au métro soient agressés par ma faute. » C’est en ces termes nets et précis que le scénariste et cinéaste Teddy Lussi-Modeste explique la genèse de son film Pas de vagues, inspiré par sa propre histoire au sein de l’Éducation nationale. Au siècle dernier, le film se serait (bizarrement) appelé Les Risques du métier avec André Cayatte à la réalisation et Jacques Brel dans le rôle de l’enseignant accusé à tort par une jeune fille en fleur. Un film parfait pour « Les dossiers de l’écran », l’émission phare d’alors.

Celui de Lussi-Modeste s’avère plus tranchant et mordant. Il est vrai qu’entre les assassinats monstrueux de Samuel Paty et de Dominique Bernard, et l’explosion des réseaux sociaux, la situation a changé, l’angélisme n’est plus de mise et enseigner comporte cette fois de vrais risques vitaux. Cerise sur le gâteau, ce cinéaste est toujours enseignant : sa parole et son regard n’en sont que plus pertinents et précieux. Loin, bien loin de la vision plutôt lénifiante que portait sur les profs Thomas Lilti dans son récent Un métier sérieux. Ici, on sent poindre à tout instant l’inquiétude : « Chaque professeur sait désormais qu’il peut être assassiné sur son lieu de travail », comme le rappelle purement et simplement Lussi-Modeste dans le dossier de presse du film.

© France 3 cinéma

En confiant au mignon et gentil François Civil le rôle principal, le cinéaste prenait le risque d’affaiblir son propos et de faire de son héros la victime idéale. Mais l’écueil est évité : on reste loin du niaiseux Cercle des poètes disparus ou du complaisant Entre les murs du tandem Cantet-Bégaudeau. Au fond, la figure centrale est ailleurs : le cinéaste-enseignant ne se prive pas de mettre en cause la direction du collège qui se révèle d’une lâcheté absolue. Un bouc émissaire trop facile ? Pas vraiment, tant il est vrai qu’on sent chez le personnel administratif une crainte globale des parents et des élèves au détriment des enseignants. Comme si, dans la réalité, le constat navré du ministre Chevènement (« Les cahiers au feu, la maîtresse au milieu. ») restait encore et toujours d’actualité. Le film de Lussi-Modeste montre parfaitement cette solitude enseignante au beau milieu d’un environnement hostile, sans rien taire du climat délétère, des pressions, des menaces directes ou non.

Pas de vagues. Ce titre fait explicitement et courageusement référence au hashtag #PasDeVagues né sur les réseaux sociaux en 2018, après la diffusion d’images où l’on voit un élève tenir en joue, avec une arme factice, une enseignante installée devant son ordinateur. Ce mouvement spontané a permis au corps enseignant d’exprimer sa souffrance et son malaise face aux violences et, plus encore, au silence de l’institution. Non dénué d’imperfections secondaires, le film est cependant en parfaite adéquation avec ce qui se passe au quotidien dans les collèges et les lycées. Cette fiction documentée s’avère absolument nécessaire. On ose espérer qu’elle sera vue par le plus grand nombre d’intéressés (profs, élèves, parents et administratifs) comme un implacable miroir tendu.

Béatifiée

La Nouvelle Femme, de Léa Todorov, sorti le 13 mars.

© Geko films Tempesta

Et un biopic de plus, un, et circonstance aggravante, consacré à une figure iconique de l’éducation alternative : Maria Montessori. Sous le titre radicalement modeste de La Nouvelle Femme, la cinéaste Léa Todorov nous livre un film tout droit sorti des studios d’Épinal, haut lieu des images convenues et convenables. Ce « sainte Maria, éduquez-les » déploie durant une heure quarante la pieuse légende d’une pionnière pédagogique en proie, bien évidemment, à une abominable communauté scientifique et éducative à la fois italienne et patriarcale. On reste quand même sidéré par le caractère partisan et unilatéral du propos. Comme si la méthode Montessori allait de soi, comme si elle ne faisait pas l’objet de critiques récurrentes, comme si ses limites n’avaient pas été maintes fois mises en avant. De nos jours, sans réel contrôle, sans cadre breveté et estampillé, les écoles Montessori prospèrent allégrement et ce film ressemble à un étrange dépliant publicitaire sans l’ombre d’un soupçon d’esprit critique.

Pour regarder la bande-annonce :

CE2, de Jacques Doillon sortie le 27 mars.

© Stéphanie Branchu-Arena Films

Drôle d’histoire en vérité… Encore un film sur l’éducation, mais cette fois l’actualité le rattrape autrement, car il est signé Jacques Doillon. Ce dernier est, avec Benoît Jacquot notamment, au cœur des récents développements de MeToo au sein du cinéma français, avec l’actrice Judith Godrèche en accusatrice publique. Ce pseudo-tsunami risque même de faire sombrer le film corps et bien dans un délire de censure rétroactive, d’interdictions en tous genres et de présomption de culpabilité. Et voilà qu’il faut défendre le principe de l’existence de ce CE2, alors même qu’on le juge sans grand intérêt. Doillon tente d’y aborder le sujet de l’éducation sous sa dimension sociale, sans jamais dépasser, hélas, le stade d’une vision très convenue de son sujet : les bobos face aux prolos, les Groseille face aux Le Quesnoy, on connaît la chanson, mais elle n’est décidément pas réaliste. Alors quoi ? Il faut que ce film sorte en salles, malgré l’avis de Nora Hamzawi, son actrice principale, qui en souhaite l’interdiction (fait unique en son genre !). Il le faut. Point barre. Le reste appartient à chaque spectateur.

Pour voir la bande-annonce :

Mars 2024 – Causeur #121

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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