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En défense d’Orelsan

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Les principes, c’est les principes, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Un exemple ? Quand j’avais, chez David Abiker, co-interviewé, en compagnie de quelques internautes citoyennes, l’avenante et irritante féministe historique Christiane Fauré, pionnière du MLF et à mes yeux dépositaires de maintes opinions désastreuses, j’avais eu une sorte d’éblouissement attendri vis-à-vis d’elle. Je raconte : après avoir éludé à plusieurs reprises les questions de mes camarades blogueuses (dont l’une s’est ensuite illustrée dans l’affaire Orelsan) afférentes à la maternité, elle avait craché le morceau sur le pourquoi de ses non-réponses en expliquant, je cite de mémoire : « On est là pour le 8 mars, c’est la journée de la femme, pas la fête des mères, je refuse donc de répondre, ce jour-là, à ce genre de questions. » J’avais adoré. J’aime le principiel, et de préférence le principiel scandaleux. J’étais servi. Le « c’est comme ça, et je vous emmerde », est le Smic cérébral de l’homme libre et partant, de la femme aussi, dont nous décréterons qu’elle est en général moins libre que l’homme, mais plus douée pour la liberté. Affirmation à l’emporte-pièce? Peut-être, chéri, peut-être… mais c’est comme ça et je t’emmerde!

Les principes, depuis le début de l’affaire Orelsan, je m’y étais tenu. En privé, comme en public, j’ai toujours refusé qu’on aborde la question du talent ou de l’absence de talent de ce rappeur, pour une raison simple : le combat du moment, c’est la défense au couteau du droit à la parole. Lequel, pour le coup, est menacé au nom du droit des femmes par une horde de harpies liberticides décidées à rétablir la censure au gré de leurs émotions et à progresser dans le classement Wikio d’un même mouvement de reins.

Je m’y serais tenu, à ces foutus principes, si les mêmes dames patronnesses n’avaient poussé le vice jusqu’à manifester mercredi dernier devant le Bataclan, pour qu’on interdise le concert du rappeur supposé gynophobe. Et là je dis stop ! Histoire de bien me faire comprendre, je peux même dire les choses à la manière de :
Mèmère quand tu aboies
pour l’empêcher d’chanter,
c’est quand même un peu moi
que t’essayes de fister.

Passablement énervé, donc, et poussé à cracher ma Valda par Elisabeth, qui estime, cette fofolle, qu’on a le devoir, au moins dans Causeur, de dire ce qu’on pense, je vais donc me lancer. Oui, je pense qu’Orelsan a du talent. Son approche de ce séisme para-nucléaire qu’est la rupture amoureuse est brutale mais subtile, c’est évident. Le mur de la haine d’Orelsan me parle beaucoup plus que le mur des lamentations d’un Brel qui chiale pour qu’on ne le quitte pas, celui que la blogueuse émue verrait bien être l’ombre de son chien. Orelsan, lui, n’est l’ombre de personne, mais l’héritier d’une longue tradition qui, d’Othello à Julien Sorel, dit que la séparation n’est pas un dîner de gala, et que la vraie vie ne ressemble pas toujours à Sex and the City. Sa parole est, en outre, sincère et inventive, et en tout cas poétique. Si, si, poétique : comment pourrait-on qualifier autrement dans le fameux Sale Pute son : « J’ te collerai contre un radiateur en chantant Tostaky. » Fallait y penser, chapeau l’artiste ! Et pour ceux qui n’auraient pas saisi la référence, on en retrouve l’écho dans une autre de ses chansons, Saint-Valentin : « Ferme ta gueule ou tu vas t’faire marie-trintigner. » Il paraît que ce néologisme en a irrité plus d’une, chez les chiennes de gardes, citoyennes et apparentées. Les mêmes qu’on n’a pas vues bouger un poil de cul quand l’assassin, le vrai, de Marie Trintignant a entamé il y a quelques mois, sous les applaudissements nourris de la critique degauche, son come-back de grande conscience universelle. Bref, pour nos blogueuses, vaut mieux buter sa femme à grands coups d’allers-retours dans la tronche qu’oser en faire un néologisme plaisant…

On trouve d’autres jolies pépites chez Orelsan, parfois noyées, il est vrai, dans une métrique scolaire et parfois mêlées de lieux communs, deux caractéristiques qui, outre les explicit lyrics, nous renvoient ostensiblement à Jean Genet, celui qui écrivait dans le Condamné à mort : « Égorge une rentière en amour pour ta frime. Apparaîtra sur terre un chevalier de fer, impassible et cruel, visible malgré l’heure, Dans le geste imprécis d’une vieille qui pleure. Ne tremble pas surtout, devant son regard clair. » Oui, dans sa jeunesse, Genêt avait un peu les mêmes défauts et endura, en tout cas, les mêmes misères. Sauf qu’à l’époque les vigilantes n’étaient pas des honteuses et s’assumaient sereinement comme ligues de vertu…

Autant dire que je me retrouve pleinement dans les quelques lignes publiées à ce propos par Viriginie Despentes il y a un mois dans les Inrocks : « Je trouve la chanson très bien, efficace, drôle et bien foutue. Dans d’autres communautés, on parlerait, je crois, d’un texte traitant avec une certaine efficacité le désarroi amoureux : je t’aime, tu ne m’aimes pas, je suis désespéré, je vais te niquer ta race. Sur le sujet, on doit pouvoir trouver quelques lignes autrement plus violentes chez Racine ou Shakespeare. Je veux dire : ça serait pas genre un thème classique de la littérature, la déception amoureuse ? Bon, mais on parle d’un gouvernement qui en avait déjà après Madame de La Fayette, donc on finit par se demander s’ils n’ont pas un problème, global, avec le dépit amoureux… »

Ce lien entre Orelsan et la Princesse de Clèves est absolument lumineux. Elle est vraiment assez classe, cette fille. On s’en était déjà un peu aperçu avec Baise moi, et beaucoup avec King Kong Theory. En tous les cas, elle a compris l’essentiel. C’est parce qu’Orelsan parle crûment d’un problème cru – la rupture – que les zélotes d’un monde sans complexité veulent le marie-trintigner.

Facebook ou les larmes de George Orwell

Le centre Simon Wiesenthal s’inquiète d’un phénomène nouveau : Facebook serait devenu un des vecteurs privilégiés de la haine raciale, notamment au travers des groupes de discussions. Le centre Simon Wiesenthal a tort. Facebook et tous les réseaux sociaux en général sont un formidable piège à cons qui aurait fait pleurer de désespoir George Orwell. En effet, les racistes, les abrutis extrémistes, mais aussi les nouveaux esclaves narcissiques de l’économie marchande donnent d’eux-mêmes toutes les informations imaginables sur leurs amis, leurs amours, leurs emmerdes. Les polices du monde entier qui s’embêtaient avec des STIC et des EDWIGE se frottent les mains. La population planétaire entre joyeusement dans la Matrice. Les derniers réfractaires, accusés de saboter des trains, eux, sont en prison.

J’ai deux Eric : mon Zemmour et Naulleau

Le tout-Paris audiovisuel ne bruisse que de cette rumeur : à la rentrée prochaine, le duo infernal Zemmour-Naulleau pourrait être débarqué de « On n’est pas couché ». Priver une émission de divertissement grand public de ce qui en fait tout le sel intellectuel ? La riche idée que voilà ! Parce que c’est quand même grâce à ce duo de surineurs sournois que l’émission mérite son label « service public ». Mine de rien, ils donnent à penser − au moins à ceux qui sont appareillés pour. Qu’ils disparaissent, et il ne restera plus qu’un « Tout le monde en parle » en négatif, si j’ose dire : naïf et bien intentionné – et tout le monde ira se coucher…

Mais qui veut la peau de ces deux animaux (l’hippocampe et le saint-bernard) ? D’après mes sources (Le Parisien, Télécâble-Satellite, Voici et peut-être même Le Monde… à moins que ce ne soit Marie-Claire), le problème d’ennui, c’est tout simplement que les people ne sont plus très chauds pour venir. Ils se le répètent entre eux : « Tu verras, y en a un qui t’épingle comme un papillon, l’autre qui te massacre comme un bébé-phoque, et puis le premier qui revient t’achever… » C’est vrai que ça donne pas envie, la perspective de se faire scanner froidement par Zemmour, puis sadiquement décortiquer par Naulleau – et tout ça en gardant le sourire…

Sous leurs feux croisés, pas de place pour les prisonniers : juste des cadavres et quelques survivants (de nos jours on dit « résilients »). Les invités qui passent à leur(s) question(s) s’y soumettent en tant qu’écrivains, hommes politiques ou artistes – et en ressortent le plus souvent scribouillards, politiciens ou chanteurs de karaoké. Mais c’est là, précisément, que se trouve le « mieux-disant culturel » de l’émission. Avec leur flegme de tueurs à la Tarantino, mine de rien ils animent le débat, au sens où ils lui donnent une âme – au-delà des « bravo » et des « hou » convenus d’une salle qui elle aussi joue son rôle…

Soyons juste ! Suave mari magno… : il est plaisant pour le téléspectateur d’assister, bien calé dans son fauteuil, au naufrage d’un invité qui ne comprend pas ce qui lui arrive ni – pire ! – pourquoi. Maintenant, imaginez que vous ayez mis deux ans à accoucher d’un roman auquel vous accordez une importance toute particulière et plus d’une heure à trouver un éditeur (ou l’inverse) : vous aimeriez, vous, vous faire désosser en deux phrases par le boucher Naulleau ?

Les intellos et autres artistes « en promo » ont plein d’autres écrans télévisuels où aller se faire voir, sans craindre plus que quelques petits coups de patte de chats dégriffés… Quand on a pris l’habitude du copinage artistique, comment ne pas être douloureusement surpris de tomber sur ces rustres, et même pas de Goldoni : carrément méchants !

La liste commence à être longue, des invités qui ont mal supporté la tenaille naullo-zemmourienne. On a vu Catherine Breillat au bord de la crise de nerfs, saint Augustin Legrand égrenant son chapelet de gros mots, Jacques Attali quittant brusquement le plateau et même Roger Karoutchi choqué ! (Il faut dire que Zemmour avait cru déceler des traces d’électoralisme dans son coming out !) Mais il y a pire encore, susurre-t-on dans les milieux bien sussurés… De plus en plus d’invités pressentis déclinent sous les prétextes les plus divers : « débordé », « enrhumé », « en Laponie »… Ainsi Olivia Ruiz et Ségolène Royal, Sophie Davant et Dominique de Villepin − qui apparemment craint plus la confrontation avec le Zemournolo dans les arènes de Ruquier qu’avec les Etats-Unis à la tribune de l’ONU.

Mais c’est, paraît-il, l’incident du 25 avril dernier qui a mis le feu aux poudres. Ce soir-là, Francis Lalanne était venu vendre son « pamphlet poétique », Mise en demeure à Monsieur le président de la République (J.-C. Gawsewitch) et, pour le même prix, si j’ose dire, son nouvel album, Ouvrir son cœur. À dire vrai, le choc était prévisible entre ce méchant Janus qu’on nomme Eric(s) et l’artiste-citoyen en peau de yaourt. Le génie de ce Lalanne-là tient tout entier dans ses cuissardes d’anarchiste dandy et son catogan de bobo-concerné. Pour le reste, manifestement, son ego de géant l’empêche de penser, et accessoirement les autres de parler.

Tout a (mal) commencé avec Zemmour. Sollicité pour donner son avis sur l’opus du barde à queue-de-cheval, il balance avec un bon sourire : « Ça me fait penser à une phrase qu’aimait bien Chirac : « Là, on est en train d’enculer une mouche qui ne nous a rien demandé ! » » Aussitôt Lalanne la prend, cette mouche, et dénonce la grossièreté de cette attaque ad drosophilem.

Mais ce n’est encore qu’une escarmouche entre eux, une mise en bouche pour nous. Le pire est à venir, tant il est vrai qu’en matière de littérature et produits assimilés, le Grand Inquisiteur c’est quand même Naulleau… Et son réquisitoire n’est pas des plus cléments : « délit culturel » et « délire intellectuel », « vers de mirliton » et « niaiseries en stock », assène-t-il avec un bon sourire sadique.

C’en est trop pour le poète engagé, qui dès lors ne cessera de marteler un seul argument : on peut ne pas aimer mon œuvre, mais pas proclamer urbi et orbi qu’elle ne vaut rien. En pratique, la nuance rappelle très nettement l’aphorisme chiraquien sur la mouche et son sort tragique : t’as pas le droit de dire « c’est nul », « c’est pitoyable » ou « c’est n’importe quoi », faut préciser avant : « À mon avis à moi, je pense que… » Zemmour propose bien de porter dorénavant sur la poitrine la pancarte idoine ; mais Lalanne ne rit pas.

Le spectateur, lui, s’amuse bien – y compris à la fin, quand Lalanne dit qu’il ne regrette rien − sauf peut-être de n’avoir pas mis un coup de boule à Naulleau… Avec tout ça, quel avenir donc pour nos Muppets du Ruquier show ? Virés ou pas virés ? En février dernier, Catherine Barma (productrice du programme dont auquel) proclamait à la face du Parisien et d’Aujourd’hui en France réunis : « Les brimer ? Jamais de la vie. » Mais février, en temps médiatique, c’était il y a un siècle ; sans compter que, dans ce monde cruel de l’audiovisuel, il ne faut jamais dire jamais !

On observera d’ailleurs que Mme Barma s’est engagée à « ne pas brimer » ses singes un peu trop savants ; pas à les garder ! Mais au fait, qui est inquiet pour Zemmour et Naulleau ? C’est l’émission qui serait tuée par leur départ.

Post-scriptum à Naulleau : je sors un bon livre en novembre.

Que va voter Ockrent ?

Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a mis fin au suspense insoutenable qu’il avait entretenu à propos de son vote lors des élections européennes. Il votera UMP. Ou peut-être pas, car il n’y a pas de caméras dans l’isoloir et on n’est jamais sûr de rien. D’ailleurs, en 1994, il clamait partout qu’il allait voter pour la liste Tapie alors qu’il figurait sur la liste Rocard ! Dans le VIe arrondissement de Paris, on se perd maintenant en conjecture sur le vote de sa compagne, Christine Ockrent, qui dispose d’un choix beaucoup plus large que son compagnon. De nationalité belge, née à Bruxelles, Mme Ockrent peut voter en France, si elle a pris soin de se faire inscrire sur une liste électorale complémentaire réservée aux ressortissants de l’UE. Sinon, elle peut voter belge, soit dans le collège flamand, soit dans le collège francophone. Notre conseil : donner son suffrage aux listes du Rassemblement Wallonie-France de notre ami Paul-Henry Gendebien, comme ça il n’y aura plus de problème !

Alli, un faux allié ?

D’accord, il est parfaitement immoral de vouloir continuer à s’empiffrer en toute impunité. Mais ce qui assure des ventes record aux magazines féminins d’après-fêtes et d’avant-maillot, n’est-ce pas précisément la perspective de pouvoir enfin pécher par gourmandise sans pneu abdominal ou double menton ? La pilule Alli, inventée précisément pour que les goinfres pathologiques rétifs à tous les traitements et tous les sermons puissent espérer retrouver une taille à peu près normale est exactement la réponse scientifique et la solution idéale à un « phénomène de société » qui n’en finit pas, lui aussi, d’enfler.

Le tollé anti-Alli dans la presse serait donc incompréhensible s’il ne mettait pas en péril l’emploi et la raison d’être de tous les nouveaux métiers qui ont éclos depuis quelques années : gourous minceur, salles d’aquagym, fabricants de substituts de repas, de thé vert et autres gélules de perlimpinpin… Sans oublier les associations qui ne sont pas les dernières à râler contre la pilule-miracle : Allegro Fortissimo, pour ne citer que la plus grosse, qui lutte « contre les discriminations dont sont victimes les personnes de forte corpulence », dont une représentante affirmait encore hier au JT de France 3 que « Alli, ça n’encourage pas à faire des efforts ». Bref, médecins nutritionnistes et militants de la cause obèse entonnent le même couplet : il faut souffrir pour être mince, sinon, c’est trop facile. Tout cela n’est pas sans rappeler qu’il y a moins de cinquante ans, on entendait la même antienne sur l’accouchement sans douleur. Entonnée par les mêmes : médecins, hygiénistes et moralisateurs de tout poil, qui savent mieux que nous ce qui est bon pour nous. Et surtout pour eux.

Sans oublier l’hypocrisie consternante du fabricant, GlaxoSmithKline, qui choisit de lancer son médicament à quelques jours de l’épreuve de l’achat du bikini, et proclame dans sa publicité placardée sur tous les abribus de Paris que son médicament ne s’adresse qu’aux personnes « dont la masse grasse excède 28 % ». J’en connais plus d’une titrant 22 % qui se verraient bien intégrer la catégorie des 18 %, surtout quand la solution est en vente libre… Et ce ne sont pas les mises en garde qui empêcheront les ventes de cartonner avant l’été, surtout, oserons-nous, celles de Roselyne Bachelot.

Qu’on se rassure : si c’est la menace de destruction de certains emplois qui gênent les Pères la Prudence, elle sera largement compensée par l’augmentation du chiffre d’affaires des boulangers, pâtissiers, fromagers, charcutiers et pharmaciens. J’ai failli oublier les restaurateurs et cafetiers, gravement affectés par l’interdiction de fumer, et que devrait réjouir, comme nous tous, cette dépénalisation de fait de acides gras saturés : on va enfin pouvoir concilier maillot et mayo !

Roger Planchon, un géant discret quitte la scène

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Le dramaturge Roger Planchon est mort mardi 12 mai à Paris d’une crise cardiaque, alors qu’il travaillait à la mise en forme d’un spectacle sur Sade. Il était âgé de 77 ans. Dit comme cela, avec la sécheresse des notices nécrologiques des agences de presse, on a du mal à imaginer la tristesse produite par cette nouvelle dans le cœur de ceux à qui Planchon fit découvrir et aimer le théâtre, qui sont fort nombreux, notamment dans la génération à laquelle j’appartiens.

Je l’avoue : ces dernières années, je ne suis pas allé voir ses productions au TNP de Villeurbanne, pourtant assez proche des lieux où je réside habituellement. L’âge et le plaisir de dépenser des sommes folles pour mon seul plaisir esthétique m’attire irrésistiblement vers l’opéra et ses fastes somptuaires. Mais je garderai toujours une gratitude immense à Roger Planchon pour avoir produit un miracle sur le gamin de treize ans que j’étais au mois d’octobre 1956 : le persuader qu’une pièce de théâtre était aussi passionnante qu’un match de football.

Le théâtre de la Comédie, rue des Marroniers à Lyon (moins de cent places), et le stade de Gerland (40 000 places à l’époque) ont été les lieux sacrés des émotions adolescentes d’avant l’amour.

Ce miracle a été porté par sa mise en scène du Cercle de craie causcasien de Bertolt Brecht, conforté par celle des Coréens de Michel Vinaver et parachevé par Rocambole d’après Ponson du Terrail. Avec une conséquence fâcheuse : un ennui mortel transformé en participation au chahut collectif lors des « matinées classiques », que de malheureux acteurs étaient contraints de donner devant un public de potaches travaillés par la testostérone.

Planchon fut le passeur de Bertolt Brecht dans un public français qui ne connaissait alors que le style Comédie-Française ou le théâtre de boulevard, deux genres fort respectables au demeurant, mais qui ne peuvent à eux seul représenter l’immensité du mystère théâtral. On reviendra un jour, j’en suis certain, à Brecht et à ce théâtre du texte ennobli par le travail du metteur en scène dramaturge. Brecht est tombé en disgrâce avec la chute du mur de Berlin, car il était du mauvais côté de la muraille. Planchon ne l’a jamais abandonné, même s’il s’est tourné aussi vers d’autres styles, le théâtre de l’absurde, Beckett et Ionesco.

Planchon n’était ni Vilar, ni Mnouchkine, ces deux porte-étendards flamboyants du théâtre contemporain : il cultivait une discrétion toute provinciale, fidèle à cette région lyonnaise qu’il n’a jamais quittée, à l’Ardèche de ses ancêtres et à un théâtre vraiment populaire, celui qui n’inflige pas au spectateur la punition du non-texte performatif. Qu’il en soit remercié.

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Patrons, remettez-nous ça !

La société new-yorkaise Cellufun, spécialisée dans les jeux vidéo sur téléphone portable, va commercialiser le 11 mai Made off (rafler, en anglais), un jeu inspiré par les exploits de l’escroc le plus célèbre de l’hypercapitalisme en phase terminale, Bernard Madoff. Comme lui, le joueur devra se mettre dans la peau d’un indélicat gestionnaire de fonds se goinfrant avec les portefeuilles de ses clients à hauteur de 50 milliards de dollars. Cellufun étudierait actuellement la possibilité, après Made off, de lancer sur le marché français Med eff, un jeu où il s’agira de fermer le maximum d’usines tout en touchant des indemnités de départ, des stock options et des retraites chapeaux les plus élevées possibles. Il faudra ruser avec des obstacles assez faciles, comme le code de déontologie de Laurence Parisot, ou plus compliqués, comme les séquestrations par des ouvriers en colère avec bourre-pifs afférents.

Dieudonné versus Lévy

On ne sait pas si Hitler a déshonoré l’antisémitisme, mais Dieudonné semble bien parti pour ridiculiser l’antisionisme. À la tête d’un conglomérat de colistiers venus de tous les extrêmes et bien décidés à se réconcilier sur le dos des sionistes, il a exposé son idéologie : une vision du monde qui attribue aux juifs, pardon aux sionistes, tous les malheurs passés, présents et futurs de la planète, de l’esclavage à la grippe porcine en passant par l’apartheid et les ravages du capitalisme. Hollywood a même osé profaner la mémoire de l’esclavage en Amérique avec Autant en emporte le vent.

Hélas, on ne choisit pas ses ennemis. Fidèle à l’esprit de son article, et après être allée au charbon une première fois contre Soral, Elisabeth qui préfère combattre qu’interdire acceptait, à l’invitation de Sébastien Bardos du site fluctuat.net, de débattre avec Dieudonné, le 9 mai au Théâtre de la Main d’Or.

Nous décidons de l’accompagner. Notre amie Michèle Sarfati se joint à nous. Dans le théâtre, se trouvent une dizaine d’amis de Dieudonné. L’accueil est poli, on nous offre à boire, on se serre la main. Pendant que nous fumons une cigarette, Dominique Ducoulombier, l’un des membres de la liste, vient dire son admiration à Elisabeth pour avoir accepté la rencontre. « Vous aurez des problèmes pour ça », pronostique-t-il. Entendez, des problèmes avec le lobby. Manifestement, pour lui nous n’en sommes pas, pas tous les juifs c’est déjà ça. Nous nous prenons même à espérer que la rencontre pourrait avoir lieu. Après tout, nous avons tous (Gil excepté) fréquenté les mêmes écoles – de banlieue. À défaut de parler le même langage, nous avons la même langue.

Elisabeth et Dieudonné prennent place. La discussion s’engage. Nous vous laissons la découvrir.

Nous qui espérions quelques scoops sur le mystérieux lobby sioniste qui a la perversité de faire croire qu’il n’existe pas, nous resterons sur notre faim. Peut-on parler d’un monde commun quand on n’est pas d’accord sur le récit ? Faurisson ou Pétré-Grenouilleau ? « Vous avez vos historiens, j’ai les miens. » Si Elisabeth Lévy défend le droit des « antisionistes » à s’exprimer et participer aux élections, il n’est pas clair que ceux-ci feraient preuve de la même tolérance si d’aventure ils étaient au pouvoir.

Visiblement embarrassé par une pluie de questions pour lesquelles il semble dépourvu de la moindre réponse, l’ancien comique au bord de la noyade envoie comme des bouées de sauvetage ses mimiques éculées, ses blagues faciles et ses grossièretés navrantes.

Avant notre départ, un ancien responsable du FNJ nous offre deux fascicules, le Manifeste pour l’éradication du sionisme et Le lobby pro-israélien et la tyrannie du néo-libéralisme. (Contenant, entre autres délires, la liste des personnalités sionistes médiatiques dans laquelle Alain Finkielkraut suit Alain Afflelou, eh oui, c’est classé par prénoms. Dans la brochure, la liste n’est pas exhaustive, vous êtes invités à la compléter sur ce site…) Ils ont été publiés, précise-t-il, par l’ex-Verte Ginette Skandrani qui justement nous salue. Quel ciment peut bien sceller la réconciliation de ces deux là ?

Plus tard, nous nous demanderons à quel moment de cet « échange » Dieudonné a compris que l’avantage du one man show, c’est qu’on y est tout seul.

En défense de saint Julien le riche

Dans le martyrologe actuel des victimes de l’acharnement politico-judiciaire de la France sarkozyste, notre compassion est invitée à se manifester envers deux Julien : saint Julien le pauvre (Coupat), embastillé depuis plus de six mois par les juges antiterroristes, et saint Julien le riche (Dray), poursuivi par les limiers de Tracfin, la brigade anti-blanchiment du ministère des Finances.

Le premier ne manque pas de supporters, y compris dans ce salon, de pétitionnaires en sa faveur, de rédacteurs de tribunes publiées par les grands journaux. On est bien content pour lui, même si on estime que le sabotage de lignes TGV, crime dont il est accusé, mérite une sanction appropriée si l’on arrive à établir sa culpabilité. Sa sortie du trou faciliterait, de plus, l’utilisation du destop polémique pour renvoyer les théories tarnaciennes au rebut des idées stupides engendrées dans les orgies intellectuelles de la petite bourgeoisie postmoderne et post n’importe quoi.

En revanche, très peu nombreux, à compter sur les doigts d’une seule main d’un menuisier maladroit, sont ceux qui se sont levés publiquement pour dénoncer les misères faites au député de l’Essonne Julien Dray. Au mois de décembre dernier, la France entière a appris, dans les journaux, que l’ancien porte-parole de Ségolène Royal avait eu des comportements financiers peu compatibles avec la transparence et l’honnêteté que l’on est en droit d’attendre des élus de la nation: mouvements d’argent vers son compte personnel en provenance d’associations amies, comme les parrains (sic) de SOS-Racisme ou la FIDL, une organisation lycéenne proche du PS. Etaient également étalées dans la presse, relevés de cartes de crédit à l’appui, les dépenses de luxe effectuées par Julien Dray pour des montres et des stylos d’une valeur représentant, pour certaines pièces, plusieurs années de SMIC. Nul ne s’est offusqué, à l’époque, que ces informations aient été jetées en pâture à la presse, non pas à la suite d’une mise en examen par un juge d’instruction – ce qui est déjà une atteinte grave à la présomption d’innocence devenue, hélas, monnaie courante –, mais sur la base de la seule enquête préliminaire décidée par le Parquet de Paris à la suite du signalement des faits suspectés par Tracfin.

La totalité du rapport (à l’exception de la page de garde où sont nommés les « informateurs ») se retrouve sur le site internet du quotidien L’Est Républicain. Le signal est donné : tout organe de presse qui se respecte entend ajouter sa petite pierre à la lapidation de Julien. On le soupçonne de corruption, d’avoir reçu des chèques suspects d’entrepreneurs de sa circonscription, ou encore d’en avoir fait endosser d’autres pour son compte à un schmattologue[1. On ne dit pas « Je vends des fripes sur les marchés », mais « Je suis docteur en schmattologie ». (Pour ceux qui n’auraient pas poussé assez loin leurs études de yiddish, schmattes signifie tissu et par extension, la fringue. EL] éminent exerçant sur les marchés de Provence.

Au PS, c’est « tous aux abris ! », à la notable exception de Jean-Paul Huchon, président de la Région Ile-de-France, dont Dray est un des vice-présidents. Cette désertion des camarades rend d’autant plus savoureuse la déclaration du pitbull de l’UMP, Frédéric Lefebvre, qui prend position en pleine tourmente, à la veille de Noël 2008, en déclarant : « La présomption d’innocence, ça compte. Il n’est pas très agréable de voir ce déchaînement aujourd’hui sur Julien Dray alors même que personne ne connaît la réalité et que des juges font leur travail. Je m’abstiendrai de tout commentaire négatif à un moment où ce parlementaire que je connais bien est en train de vivre des moments difficiles. La justice dira s’il a des choses à se reprocher ou non. En tout cas pour moi, tant que la justice ne s’est pas prononcée, Julien Dray est innocent. »

Pendant six mois, Dray, qui n’a même pas eu l’occasion de s’expliquer devant les juges, puisqu’il n’est pas mis en examen, choisit de faire profil bas, de ne plus intervenir dans le débat politique national, de se consacrer discrètement à ses mandats de député et de vice-président de région. Que pouvait-il faire d’autre ? Le temps judiciaire et le temps médiatique étant ce qu’ils sont, faits de cette lenteur dont la prétendue sagesse peut vous tuer à petit feu pour le premier, et d’emballements collectifs brefs et violents pour le second, la stratégie hibernante de l’ours est la moins dommageable pour celui qui se trouve coincé entre les deux. Le printemps venu, et avec lui une condamnation de L’Est Républicain pour avoir publié in extenso le rapport Tracfin, Dray est repassé à l’offensive dans un entretien au Parisien. Après avoir rejeté toutes les accusations portées contre lui il conclut : « J’ai retrouvé toute la radicalité de mes vingt ans et je vais me battre ! » Méfie-toi, Juju, tu risques de te retrouver dans la même cellule que Coupat !

Bienvenue cher confrère !

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Causeur souhaite la bienvenue sur la toile au nouveau site Jérusalem & religions qui a poussé ses premiers vagissements sur le web le 7 mai, à l’occasion de la visite de Benoît XVI en Terre Sainte. Il est le fruit des amours professionnelles d’une journaliste installée en Israël, Catherine Dupeyron, correspondante de plusieurs journaux français, et d’un théologien catholique égaré dans la presse, Jean-Marie Allafort, qui vit à Jérusalem depuis près de vingt ans. Ils se proposent de rendre compte de l’actualité des trois religions monothéistes qui cohabitent dans la région avec quelques tensions perceptibles, notamment dans la ville trois fois sainte où demeurent les fondateurs de ce site. Qu’il vive longtemps, au moins jusqu’au jour du jugement dernier, où on verra bien alors qui avait raison.

En défense d’Orelsan

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Les principes, c’est les principes, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Un exemple ? Quand j’avais, chez David Abiker, co-interviewé, en compagnie de quelques internautes citoyennes, l’avenante et irritante féministe historique Christiane Fauré, pionnière du MLF et à mes yeux dépositaires de maintes opinions désastreuses, j’avais eu une sorte d’éblouissement attendri vis-à-vis d’elle. Je raconte : après avoir éludé à plusieurs reprises les questions de mes camarades blogueuses (dont l’une s’est ensuite illustrée dans l’affaire Orelsan) afférentes à la maternité, elle avait craché le morceau sur le pourquoi de ses non-réponses en expliquant, je cite de mémoire : « On est là pour le 8 mars, c’est la journée de la femme, pas la fête des mères, je refuse donc de répondre, ce jour-là, à ce genre de questions. » J’avais adoré. J’aime le principiel, et de préférence le principiel scandaleux. J’étais servi. Le « c’est comme ça, et je vous emmerde », est le Smic cérébral de l’homme libre et partant, de la femme aussi, dont nous décréterons qu’elle est en général moins libre que l’homme, mais plus douée pour la liberté. Affirmation à l’emporte-pièce? Peut-être, chéri, peut-être… mais c’est comme ça et je t’emmerde!

Les principes, depuis le début de l’affaire Orelsan, je m’y étais tenu. En privé, comme en public, j’ai toujours refusé qu’on aborde la question du talent ou de l’absence de talent de ce rappeur, pour une raison simple : le combat du moment, c’est la défense au couteau du droit à la parole. Lequel, pour le coup, est menacé au nom du droit des femmes par une horde de harpies liberticides décidées à rétablir la censure au gré de leurs émotions et à progresser dans le classement Wikio d’un même mouvement de reins.

Je m’y serais tenu, à ces foutus principes, si les mêmes dames patronnesses n’avaient poussé le vice jusqu’à manifester mercredi dernier devant le Bataclan, pour qu’on interdise le concert du rappeur supposé gynophobe. Et là je dis stop ! Histoire de bien me faire comprendre, je peux même dire les choses à la manière de :
Mèmère quand tu aboies
pour l’empêcher d’chanter,
c’est quand même un peu moi
que t’essayes de fister.

Passablement énervé, donc, et poussé à cracher ma Valda par Elisabeth, qui estime, cette fofolle, qu’on a le devoir, au moins dans Causeur, de dire ce qu’on pense, je vais donc me lancer. Oui, je pense qu’Orelsan a du talent. Son approche de ce séisme para-nucléaire qu’est la rupture amoureuse est brutale mais subtile, c’est évident. Le mur de la haine d’Orelsan me parle beaucoup plus que le mur des lamentations d’un Brel qui chiale pour qu’on ne le quitte pas, celui que la blogueuse émue verrait bien être l’ombre de son chien. Orelsan, lui, n’est l’ombre de personne, mais l’héritier d’une longue tradition qui, d’Othello à Julien Sorel, dit que la séparation n’est pas un dîner de gala, et que la vraie vie ne ressemble pas toujours à Sex and the City. Sa parole est, en outre, sincère et inventive, et en tout cas poétique. Si, si, poétique : comment pourrait-on qualifier autrement dans le fameux Sale Pute son : « J’ te collerai contre un radiateur en chantant Tostaky. » Fallait y penser, chapeau l’artiste ! Et pour ceux qui n’auraient pas saisi la référence, on en retrouve l’écho dans une autre de ses chansons, Saint-Valentin : « Ferme ta gueule ou tu vas t’faire marie-trintigner. » Il paraît que ce néologisme en a irrité plus d’une, chez les chiennes de gardes, citoyennes et apparentées. Les mêmes qu’on n’a pas vues bouger un poil de cul quand l’assassin, le vrai, de Marie Trintignant a entamé il y a quelques mois, sous les applaudissements nourris de la critique degauche, son come-back de grande conscience universelle. Bref, pour nos blogueuses, vaut mieux buter sa femme à grands coups d’allers-retours dans la tronche qu’oser en faire un néologisme plaisant…

On trouve d’autres jolies pépites chez Orelsan, parfois noyées, il est vrai, dans une métrique scolaire et parfois mêlées de lieux communs, deux caractéristiques qui, outre les explicit lyrics, nous renvoient ostensiblement à Jean Genet, celui qui écrivait dans le Condamné à mort : « Égorge une rentière en amour pour ta frime. Apparaîtra sur terre un chevalier de fer, impassible et cruel, visible malgré l’heure, Dans le geste imprécis d’une vieille qui pleure. Ne tremble pas surtout, devant son regard clair. » Oui, dans sa jeunesse, Genêt avait un peu les mêmes défauts et endura, en tout cas, les mêmes misères. Sauf qu’à l’époque les vigilantes n’étaient pas des honteuses et s’assumaient sereinement comme ligues de vertu…

Autant dire que je me retrouve pleinement dans les quelques lignes publiées à ce propos par Viriginie Despentes il y a un mois dans les Inrocks : « Je trouve la chanson très bien, efficace, drôle et bien foutue. Dans d’autres communautés, on parlerait, je crois, d’un texte traitant avec une certaine efficacité le désarroi amoureux : je t’aime, tu ne m’aimes pas, je suis désespéré, je vais te niquer ta race. Sur le sujet, on doit pouvoir trouver quelques lignes autrement plus violentes chez Racine ou Shakespeare. Je veux dire : ça serait pas genre un thème classique de la littérature, la déception amoureuse ? Bon, mais on parle d’un gouvernement qui en avait déjà après Madame de La Fayette, donc on finit par se demander s’ils n’ont pas un problème, global, avec le dépit amoureux… »

Ce lien entre Orelsan et la Princesse de Clèves est absolument lumineux. Elle est vraiment assez classe, cette fille. On s’en était déjà un peu aperçu avec Baise moi, et beaucoup avec King Kong Theory. En tous les cas, elle a compris l’essentiel. C’est parce qu’Orelsan parle crûment d’un problème cru – la rupture – que les zélotes d’un monde sans complexité veulent le marie-trintigner.

Facebook ou les larmes de George Orwell

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Le centre Simon Wiesenthal s’inquiète d’un phénomène nouveau : Facebook serait devenu un des vecteurs privilégiés de la haine raciale, notamment au travers des groupes de discussions. Le centre Simon Wiesenthal a tort. Facebook et tous les réseaux sociaux en général sont un formidable piège à cons qui aurait fait pleurer de désespoir George Orwell. En effet, les racistes, les abrutis extrémistes, mais aussi les nouveaux esclaves narcissiques de l’économie marchande donnent d’eux-mêmes toutes les informations imaginables sur leurs amis, leurs amours, leurs emmerdes. Les polices du monde entier qui s’embêtaient avec des STIC et des EDWIGE se frottent les mains. La population planétaire entre joyeusement dans la Matrice. Les derniers réfractaires, accusés de saboter des trains, eux, sont en prison.

J’ai deux Eric : mon Zemmour et Naulleau

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Le tout-Paris audiovisuel ne bruisse que de cette rumeur : à la rentrée prochaine, le duo infernal Zemmour-Naulleau pourrait être débarqué de « On n’est pas couché ». Priver une émission de divertissement grand public de ce qui en fait tout le sel intellectuel ? La riche idée que voilà ! Parce que c’est quand même grâce à ce duo de surineurs sournois que l’émission mérite son label « service public ». Mine de rien, ils donnent à penser − au moins à ceux qui sont appareillés pour. Qu’ils disparaissent, et il ne restera plus qu’un « Tout le monde en parle » en négatif, si j’ose dire : naïf et bien intentionné – et tout le monde ira se coucher…

Mais qui veut la peau de ces deux animaux (l’hippocampe et le saint-bernard) ? D’après mes sources (Le Parisien, Télécâble-Satellite, Voici et peut-être même Le Monde… à moins que ce ne soit Marie-Claire), le problème d’ennui, c’est tout simplement que les people ne sont plus très chauds pour venir. Ils se le répètent entre eux : « Tu verras, y en a un qui t’épingle comme un papillon, l’autre qui te massacre comme un bébé-phoque, et puis le premier qui revient t’achever… » C’est vrai que ça donne pas envie, la perspective de se faire scanner froidement par Zemmour, puis sadiquement décortiquer par Naulleau – et tout ça en gardant le sourire…

Sous leurs feux croisés, pas de place pour les prisonniers : juste des cadavres et quelques survivants (de nos jours on dit « résilients »). Les invités qui passent à leur(s) question(s) s’y soumettent en tant qu’écrivains, hommes politiques ou artistes – et en ressortent le plus souvent scribouillards, politiciens ou chanteurs de karaoké. Mais c’est là, précisément, que se trouve le « mieux-disant culturel » de l’émission. Avec leur flegme de tueurs à la Tarantino, mine de rien ils animent le débat, au sens où ils lui donnent une âme – au-delà des « bravo » et des « hou » convenus d’une salle qui elle aussi joue son rôle…

Soyons juste ! Suave mari magno… : il est plaisant pour le téléspectateur d’assister, bien calé dans son fauteuil, au naufrage d’un invité qui ne comprend pas ce qui lui arrive ni – pire ! – pourquoi. Maintenant, imaginez que vous ayez mis deux ans à accoucher d’un roman auquel vous accordez une importance toute particulière et plus d’une heure à trouver un éditeur (ou l’inverse) : vous aimeriez, vous, vous faire désosser en deux phrases par le boucher Naulleau ?

Les intellos et autres artistes « en promo » ont plein d’autres écrans télévisuels où aller se faire voir, sans craindre plus que quelques petits coups de patte de chats dégriffés… Quand on a pris l’habitude du copinage artistique, comment ne pas être douloureusement surpris de tomber sur ces rustres, et même pas de Goldoni : carrément méchants !

La liste commence à être longue, des invités qui ont mal supporté la tenaille naullo-zemmourienne. On a vu Catherine Breillat au bord de la crise de nerfs, saint Augustin Legrand égrenant son chapelet de gros mots, Jacques Attali quittant brusquement le plateau et même Roger Karoutchi choqué ! (Il faut dire que Zemmour avait cru déceler des traces d’électoralisme dans son coming out !) Mais il y a pire encore, susurre-t-on dans les milieux bien sussurés… De plus en plus d’invités pressentis déclinent sous les prétextes les plus divers : « débordé », « enrhumé », « en Laponie »… Ainsi Olivia Ruiz et Ségolène Royal, Sophie Davant et Dominique de Villepin − qui apparemment craint plus la confrontation avec le Zemournolo dans les arènes de Ruquier qu’avec les Etats-Unis à la tribune de l’ONU.

Mais c’est, paraît-il, l’incident du 25 avril dernier qui a mis le feu aux poudres. Ce soir-là, Francis Lalanne était venu vendre son « pamphlet poétique », Mise en demeure à Monsieur le président de la République (J.-C. Gawsewitch) et, pour le même prix, si j’ose dire, son nouvel album, Ouvrir son cœur. À dire vrai, le choc était prévisible entre ce méchant Janus qu’on nomme Eric(s) et l’artiste-citoyen en peau de yaourt. Le génie de ce Lalanne-là tient tout entier dans ses cuissardes d’anarchiste dandy et son catogan de bobo-concerné. Pour le reste, manifestement, son ego de géant l’empêche de penser, et accessoirement les autres de parler.

Tout a (mal) commencé avec Zemmour. Sollicité pour donner son avis sur l’opus du barde à queue-de-cheval, il balance avec un bon sourire : « Ça me fait penser à une phrase qu’aimait bien Chirac : « Là, on est en train d’enculer une mouche qui ne nous a rien demandé ! » » Aussitôt Lalanne la prend, cette mouche, et dénonce la grossièreté de cette attaque ad drosophilem.

Mais ce n’est encore qu’une escarmouche entre eux, une mise en bouche pour nous. Le pire est à venir, tant il est vrai qu’en matière de littérature et produits assimilés, le Grand Inquisiteur c’est quand même Naulleau… Et son réquisitoire n’est pas des plus cléments : « délit culturel » et « délire intellectuel », « vers de mirliton » et « niaiseries en stock », assène-t-il avec un bon sourire sadique.

C’en est trop pour le poète engagé, qui dès lors ne cessera de marteler un seul argument : on peut ne pas aimer mon œuvre, mais pas proclamer urbi et orbi qu’elle ne vaut rien. En pratique, la nuance rappelle très nettement l’aphorisme chiraquien sur la mouche et son sort tragique : t’as pas le droit de dire « c’est nul », « c’est pitoyable » ou « c’est n’importe quoi », faut préciser avant : « À mon avis à moi, je pense que… » Zemmour propose bien de porter dorénavant sur la poitrine la pancarte idoine ; mais Lalanne ne rit pas.

Le spectateur, lui, s’amuse bien – y compris à la fin, quand Lalanne dit qu’il ne regrette rien − sauf peut-être de n’avoir pas mis un coup de boule à Naulleau… Avec tout ça, quel avenir donc pour nos Muppets du Ruquier show ? Virés ou pas virés ? En février dernier, Catherine Barma (productrice du programme dont auquel) proclamait à la face du Parisien et d’Aujourd’hui en France réunis : « Les brimer ? Jamais de la vie. » Mais février, en temps médiatique, c’était il y a un siècle ; sans compter que, dans ce monde cruel de l’audiovisuel, il ne faut jamais dire jamais !

On observera d’ailleurs que Mme Barma s’est engagée à « ne pas brimer » ses singes un peu trop savants ; pas à les garder ! Mais au fait, qui est inquiet pour Zemmour et Naulleau ? C’est l’émission qui serait tuée par leur départ.

Post-scriptum à Naulleau : je sors un bon livre en novembre.

Que va voter Ockrent ?

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Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a mis fin au suspense insoutenable qu’il avait entretenu à propos de son vote lors des élections européennes. Il votera UMP. Ou peut-être pas, car il n’y a pas de caméras dans l’isoloir et on n’est jamais sûr de rien. D’ailleurs, en 1994, il clamait partout qu’il allait voter pour la liste Tapie alors qu’il figurait sur la liste Rocard ! Dans le VIe arrondissement de Paris, on se perd maintenant en conjecture sur le vote de sa compagne, Christine Ockrent, qui dispose d’un choix beaucoup plus large que son compagnon. De nationalité belge, née à Bruxelles, Mme Ockrent peut voter en France, si elle a pris soin de se faire inscrire sur une liste électorale complémentaire réservée aux ressortissants de l’UE. Sinon, elle peut voter belge, soit dans le collège flamand, soit dans le collège francophone. Notre conseil : donner son suffrage aux listes du Rassemblement Wallonie-France de notre ami Paul-Henry Gendebien, comme ça il n’y aura plus de problème !

Alli, un faux allié ?

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D’accord, il est parfaitement immoral de vouloir continuer à s’empiffrer en toute impunité. Mais ce qui assure des ventes record aux magazines féminins d’après-fêtes et d’avant-maillot, n’est-ce pas précisément la perspective de pouvoir enfin pécher par gourmandise sans pneu abdominal ou double menton ? La pilule Alli, inventée précisément pour que les goinfres pathologiques rétifs à tous les traitements et tous les sermons puissent espérer retrouver une taille à peu près normale est exactement la réponse scientifique et la solution idéale à un « phénomène de société » qui n’en finit pas, lui aussi, d’enfler.

Le tollé anti-Alli dans la presse serait donc incompréhensible s’il ne mettait pas en péril l’emploi et la raison d’être de tous les nouveaux métiers qui ont éclos depuis quelques années : gourous minceur, salles d’aquagym, fabricants de substituts de repas, de thé vert et autres gélules de perlimpinpin… Sans oublier les associations qui ne sont pas les dernières à râler contre la pilule-miracle : Allegro Fortissimo, pour ne citer que la plus grosse, qui lutte « contre les discriminations dont sont victimes les personnes de forte corpulence », dont une représentante affirmait encore hier au JT de France 3 que « Alli, ça n’encourage pas à faire des efforts ». Bref, médecins nutritionnistes et militants de la cause obèse entonnent le même couplet : il faut souffrir pour être mince, sinon, c’est trop facile. Tout cela n’est pas sans rappeler qu’il y a moins de cinquante ans, on entendait la même antienne sur l’accouchement sans douleur. Entonnée par les mêmes : médecins, hygiénistes et moralisateurs de tout poil, qui savent mieux que nous ce qui est bon pour nous. Et surtout pour eux.

Sans oublier l’hypocrisie consternante du fabricant, GlaxoSmithKline, qui choisit de lancer son médicament à quelques jours de l’épreuve de l’achat du bikini, et proclame dans sa publicité placardée sur tous les abribus de Paris que son médicament ne s’adresse qu’aux personnes « dont la masse grasse excède 28 % ». J’en connais plus d’une titrant 22 % qui se verraient bien intégrer la catégorie des 18 %, surtout quand la solution est en vente libre… Et ce ne sont pas les mises en garde qui empêcheront les ventes de cartonner avant l’été, surtout, oserons-nous, celles de Roselyne Bachelot.

Qu’on se rassure : si c’est la menace de destruction de certains emplois qui gênent les Pères la Prudence, elle sera largement compensée par l’augmentation du chiffre d’affaires des boulangers, pâtissiers, fromagers, charcutiers et pharmaciens. J’ai failli oublier les restaurateurs et cafetiers, gravement affectés par l’interdiction de fumer, et que devrait réjouir, comme nous tous, cette dépénalisation de fait de acides gras saturés : on va enfin pouvoir concilier maillot et mayo !

Roger Planchon, un géant discret quitte la scène

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Le dramaturge Roger Planchon est mort mardi 12 mai à Paris d’une crise cardiaque, alors qu’il travaillait à la mise en forme d’un spectacle sur Sade. Il était âgé de 77 ans. Dit comme cela, avec la sécheresse des notices nécrologiques des agences de presse, on a du mal à imaginer la tristesse produite par cette nouvelle dans le cœur de ceux à qui Planchon fit découvrir et aimer le théâtre, qui sont fort nombreux, notamment dans la génération à laquelle j’appartiens.

Je l’avoue : ces dernières années, je ne suis pas allé voir ses productions au TNP de Villeurbanne, pourtant assez proche des lieux où je réside habituellement. L’âge et le plaisir de dépenser des sommes folles pour mon seul plaisir esthétique m’attire irrésistiblement vers l’opéra et ses fastes somptuaires. Mais je garderai toujours une gratitude immense à Roger Planchon pour avoir produit un miracle sur le gamin de treize ans que j’étais au mois d’octobre 1956 : le persuader qu’une pièce de théâtre était aussi passionnante qu’un match de football.

Le théâtre de la Comédie, rue des Marroniers à Lyon (moins de cent places), et le stade de Gerland (40 000 places à l’époque) ont été les lieux sacrés des émotions adolescentes d’avant l’amour.

Ce miracle a été porté par sa mise en scène du Cercle de craie causcasien de Bertolt Brecht, conforté par celle des Coréens de Michel Vinaver et parachevé par Rocambole d’après Ponson du Terrail. Avec une conséquence fâcheuse : un ennui mortel transformé en participation au chahut collectif lors des « matinées classiques », que de malheureux acteurs étaient contraints de donner devant un public de potaches travaillés par la testostérone.

Planchon fut le passeur de Bertolt Brecht dans un public français qui ne connaissait alors que le style Comédie-Française ou le théâtre de boulevard, deux genres fort respectables au demeurant, mais qui ne peuvent à eux seul représenter l’immensité du mystère théâtral. On reviendra un jour, j’en suis certain, à Brecht et à ce théâtre du texte ennobli par le travail du metteur en scène dramaturge. Brecht est tombé en disgrâce avec la chute du mur de Berlin, car il était du mauvais côté de la muraille. Planchon ne l’a jamais abandonné, même s’il s’est tourné aussi vers d’autres styles, le théâtre de l’absurde, Beckett et Ionesco.

Planchon n’était ni Vilar, ni Mnouchkine, ces deux porte-étendards flamboyants du théâtre contemporain : il cultivait une discrétion toute provinciale, fidèle à cette région lyonnaise qu’il n’a jamais quittée, à l’Ardèche de ses ancêtres et à un théâtre vraiment populaire, celui qui n’inflige pas au spectateur la punition du non-texte performatif. Qu’il en soit remercié.

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Patrons, remettez-nous ça !

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La société new-yorkaise Cellufun, spécialisée dans les jeux vidéo sur téléphone portable, va commercialiser le 11 mai Made off (rafler, en anglais), un jeu inspiré par les exploits de l’escroc le plus célèbre de l’hypercapitalisme en phase terminale, Bernard Madoff. Comme lui, le joueur devra se mettre dans la peau d’un indélicat gestionnaire de fonds se goinfrant avec les portefeuilles de ses clients à hauteur de 50 milliards de dollars. Cellufun étudierait actuellement la possibilité, après Made off, de lancer sur le marché français Med eff, un jeu où il s’agira de fermer le maximum d’usines tout en touchant des indemnités de départ, des stock options et des retraites chapeaux les plus élevées possibles. Il faudra ruser avec des obstacles assez faciles, comme le code de déontologie de Laurence Parisot, ou plus compliqués, comme les séquestrations par des ouvriers en colère avec bourre-pifs afférents.

Dieudonné versus Lévy

On ne sait pas si Hitler a déshonoré l’antisémitisme, mais Dieudonné semble bien parti pour ridiculiser l’antisionisme. À la tête d’un conglomérat de colistiers venus de tous les extrêmes et bien décidés à se réconcilier sur le dos des sionistes, il a exposé son idéologie : une vision du monde qui attribue aux juifs, pardon aux sionistes, tous les malheurs passés, présents et futurs de la planète, de l’esclavage à la grippe porcine en passant par l’apartheid et les ravages du capitalisme. Hollywood a même osé profaner la mémoire de l’esclavage en Amérique avec Autant en emporte le vent.

Hélas, on ne choisit pas ses ennemis. Fidèle à l’esprit de son article, et après être allée au charbon une première fois contre Soral, Elisabeth qui préfère combattre qu’interdire acceptait, à l’invitation de Sébastien Bardos du site fluctuat.net, de débattre avec Dieudonné, le 9 mai au Théâtre de la Main d’Or.

Nous décidons de l’accompagner. Notre amie Michèle Sarfati se joint à nous. Dans le théâtre, se trouvent une dizaine d’amis de Dieudonné. L’accueil est poli, on nous offre à boire, on se serre la main. Pendant que nous fumons une cigarette, Dominique Ducoulombier, l’un des membres de la liste, vient dire son admiration à Elisabeth pour avoir accepté la rencontre. « Vous aurez des problèmes pour ça », pronostique-t-il. Entendez, des problèmes avec le lobby. Manifestement, pour lui nous n’en sommes pas, pas tous les juifs c’est déjà ça. Nous nous prenons même à espérer que la rencontre pourrait avoir lieu. Après tout, nous avons tous (Gil excepté) fréquenté les mêmes écoles – de banlieue. À défaut de parler le même langage, nous avons la même langue.

Elisabeth et Dieudonné prennent place. La discussion s’engage. Nous vous laissons la découvrir.

Nous qui espérions quelques scoops sur le mystérieux lobby sioniste qui a la perversité de faire croire qu’il n’existe pas, nous resterons sur notre faim. Peut-on parler d’un monde commun quand on n’est pas d’accord sur le récit ? Faurisson ou Pétré-Grenouilleau ? « Vous avez vos historiens, j’ai les miens. » Si Elisabeth Lévy défend le droit des « antisionistes » à s’exprimer et participer aux élections, il n’est pas clair que ceux-ci feraient preuve de la même tolérance si d’aventure ils étaient au pouvoir.

Visiblement embarrassé par une pluie de questions pour lesquelles il semble dépourvu de la moindre réponse, l’ancien comique au bord de la noyade envoie comme des bouées de sauvetage ses mimiques éculées, ses blagues faciles et ses grossièretés navrantes.

Avant notre départ, un ancien responsable du FNJ nous offre deux fascicules, le Manifeste pour l’éradication du sionisme et Le lobby pro-israélien et la tyrannie du néo-libéralisme. (Contenant, entre autres délires, la liste des personnalités sionistes médiatiques dans laquelle Alain Finkielkraut suit Alain Afflelou, eh oui, c’est classé par prénoms. Dans la brochure, la liste n’est pas exhaustive, vous êtes invités à la compléter sur ce site…) Ils ont été publiés, précise-t-il, par l’ex-Verte Ginette Skandrani qui justement nous salue. Quel ciment peut bien sceller la réconciliation de ces deux là ?

Plus tard, nous nous demanderons à quel moment de cet « échange » Dieudonné a compris que l’avantage du one man show, c’est qu’on y est tout seul.

En défense de saint Julien le riche

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Dans le martyrologe actuel des victimes de l’acharnement politico-judiciaire de la France sarkozyste, notre compassion est invitée à se manifester envers deux Julien : saint Julien le pauvre (Coupat), embastillé depuis plus de six mois par les juges antiterroristes, et saint Julien le riche (Dray), poursuivi par les limiers de Tracfin, la brigade anti-blanchiment du ministère des Finances.

Le premier ne manque pas de supporters, y compris dans ce salon, de pétitionnaires en sa faveur, de rédacteurs de tribunes publiées par les grands journaux. On est bien content pour lui, même si on estime que le sabotage de lignes TGV, crime dont il est accusé, mérite une sanction appropriée si l’on arrive à établir sa culpabilité. Sa sortie du trou faciliterait, de plus, l’utilisation du destop polémique pour renvoyer les théories tarnaciennes au rebut des idées stupides engendrées dans les orgies intellectuelles de la petite bourgeoisie postmoderne et post n’importe quoi.

En revanche, très peu nombreux, à compter sur les doigts d’une seule main d’un menuisier maladroit, sont ceux qui se sont levés publiquement pour dénoncer les misères faites au député de l’Essonne Julien Dray. Au mois de décembre dernier, la France entière a appris, dans les journaux, que l’ancien porte-parole de Ségolène Royal avait eu des comportements financiers peu compatibles avec la transparence et l’honnêteté que l’on est en droit d’attendre des élus de la nation: mouvements d’argent vers son compte personnel en provenance d’associations amies, comme les parrains (sic) de SOS-Racisme ou la FIDL, une organisation lycéenne proche du PS. Etaient également étalées dans la presse, relevés de cartes de crédit à l’appui, les dépenses de luxe effectuées par Julien Dray pour des montres et des stylos d’une valeur représentant, pour certaines pièces, plusieurs années de SMIC. Nul ne s’est offusqué, à l’époque, que ces informations aient été jetées en pâture à la presse, non pas à la suite d’une mise en examen par un juge d’instruction – ce qui est déjà une atteinte grave à la présomption d’innocence devenue, hélas, monnaie courante –, mais sur la base de la seule enquête préliminaire décidée par le Parquet de Paris à la suite du signalement des faits suspectés par Tracfin.

La totalité du rapport (à l’exception de la page de garde où sont nommés les « informateurs ») se retrouve sur le site internet du quotidien L’Est Républicain. Le signal est donné : tout organe de presse qui se respecte entend ajouter sa petite pierre à la lapidation de Julien. On le soupçonne de corruption, d’avoir reçu des chèques suspects d’entrepreneurs de sa circonscription, ou encore d’en avoir fait endosser d’autres pour son compte à un schmattologue[1. On ne dit pas « Je vends des fripes sur les marchés », mais « Je suis docteur en schmattologie ». (Pour ceux qui n’auraient pas poussé assez loin leurs études de yiddish, schmattes signifie tissu et par extension, la fringue. EL] éminent exerçant sur les marchés de Provence.

Au PS, c’est « tous aux abris ! », à la notable exception de Jean-Paul Huchon, président de la Région Ile-de-France, dont Dray est un des vice-présidents. Cette désertion des camarades rend d’autant plus savoureuse la déclaration du pitbull de l’UMP, Frédéric Lefebvre, qui prend position en pleine tourmente, à la veille de Noël 2008, en déclarant : « La présomption d’innocence, ça compte. Il n’est pas très agréable de voir ce déchaînement aujourd’hui sur Julien Dray alors même que personne ne connaît la réalité et que des juges font leur travail. Je m’abstiendrai de tout commentaire négatif à un moment où ce parlementaire que je connais bien est en train de vivre des moments difficiles. La justice dira s’il a des choses à se reprocher ou non. En tout cas pour moi, tant que la justice ne s’est pas prononcée, Julien Dray est innocent. »

Pendant six mois, Dray, qui n’a même pas eu l’occasion de s’expliquer devant les juges, puisqu’il n’est pas mis en examen, choisit de faire profil bas, de ne plus intervenir dans le débat politique national, de se consacrer discrètement à ses mandats de député et de vice-président de région. Que pouvait-il faire d’autre ? Le temps judiciaire et le temps médiatique étant ce qu’ils sont, faits de cette lenteur dont la prétendue sagesse peut vous tuer à petit feu pour le premier, et d’emballements collectifs brefs et violents pour le second, la stratégie hibernante de l’ours est la moins dommageable pour celui qui se trouve coincé entre les deux. Le printemps venu, et avec lui une condamnation de L’Est Républicain pour avoir publié in extenso le rapport Tracfin, Dray est repassé à l’offensive dans un entretien au Parisien. Après avoir rejeté toutes les accusations portées contre lui il conclut : « J’ai retrouvé toute la radicalité de mes vingt ans et je vais me battre ! » Méfie-toi, Juju, tu risques de te retrouver dans la même cellule que Coupat !

Bienvenue cher confrère !

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Causeur souhaite la bienvenue sur la toile au nouveau site Jérusalem & religions qui a poussé ses premiers vagissements sur le web le 7 mai, à l’occasion de la visite de Benoît XVI en Terre Sainte. Il est le fruit des amours professionnelles d’une journaliste installée en Israël, Catherine Dupeyron, correspondante de plusieurs journaux français, et d’un théologien catholique égaré dans la presse, Jean-Marie Allafort, qui vit à Jérusalem depuis près de vingt ans. Ils se proposent de rendre compte de l’actualité des trois religions monothéistes qui cohabitent dans la région avec quelques tensions perceptibles, notamment dans la ville trois fois sainte où demeurent les fondateurs de ce site. Qu’il vive longtemps, au moins jusqu’au jour du jugement dernier, où on verra bien alors qui avait raison.