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US Army : nouveaux ennemis, nouveaux moyens


US Army : nouveaux ennemis, nouveaux moyens
Barack Obama visite le Pentagone. Photo US Army, flickr.com
Barack Obama visite le Pentagone. Photo US Army, flickr.com
Barack Obama visite le Pentagone. Photo US Army, flickr.com

« Combien de divisions ? » La vieille question de Staline n’a rien perdu de sa pertinence lorsqu’il s’agit de décrypter les relations internationales. Mais les blindés ne suffisent pas et l’argent reste le nerf de la guerre. Or, c’est justement cela qui manque au pays le plus endetté au monde.

S’il fallait donner un titre au dernier Quadrennial Defense Review (QDR) équivalent américain du livre blanc de la Défense nationale, ce serait sans doute « La Chine et la Russie ne sont pas des ennemis ». Le sous-titre aurait pu être quelque chose comme « À court d’argent, la première puissance mondiale revoit ses capacités militaires à la baisse ».

Deux décennies après la fin de la guerre froide, la stratégie militaire américaine vient d’achever sa mue : les menaces qui pèsent sur les Etats-Unis ne viennent plus des autres puissances, c’est-à-dire des Etats forts et leurs armées bien organisées et équipées, mais des Etats défaillants et des ONG terroristes (labellisées « Al-Qaida ») qui font, littéralement, flèches de tout bois. Ces nouveaux adversaires n’obéissent pas à une logique classique de pertes et profits permettant d’établir avec eux un équilibre de dissuasion et évitent soigneusement tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un champ de bataille. Or, avant de savoir combien de chars, de porte-avions, de fantassins et d’avions de chasse il faut aligner dans les dix ou quinze ans à venir, il faudrait d’abord répondre à la question « qui est l’ennemi ? ». Le dilemme du Pentagone est donc le suivant : comment définir un cadre stratégique permettant d’organiser et d’équiper les unités dans un contexte de crise économique et déficits budgétaires abyssaux et face à une menace multiforme et imprévisible.

Quand la menace est aussi fumeuse, les contraintes budgétaires et urgences prennent le dessus. Résultat, le QDR évite soigneusement de fixer des objectifs chiffrés. Ainsi, tout en exprimant une méfiance traditionnelle vis-à-vis de la Russie et de la Chine, le texte ne considère plus ces derniers comme des menaces de référence. La priorité est clairement donnée aux programmes d’armement adaptés aux conflits actuels en Irak ou Afghanistan plutôt qu’à des scénarios peu probables selon les services de renseignements américains, comme par exemple une guerre contre la Chine pour défendre Taiwan. Du point de vue intellectuel, il s’agit de passer d’une analyse stratégique centrée sur la menace à l’anticipation de l’imprévu. Puisqu’on s’est si souvent trompé et en l’absence d’ennemi incarné, mieux vaut investir dans le renseignement, développer des systèmes d’armes multi-usages, moins chers à l’achat et à l’entretien pour en équiper des unités souples et capables d’intervenir rapidement.

Concrètement les objectifs capacitaires fixés aux états-majors américains en matière d’organisation et de logistique baissent d’un cran. Le QDR de 1996, le premier à prendre en compte la fin de la Guerre froide et en tirer les conséquences, a défini comme scénario de référence la capacité de mener parallèlement deux guerres « moyennes » (au lieu d’une seule grande contre l’URSS) sur deux théâtres d’opérations séparés. Le dernier « livre blanc » américain, plus modeste, a tout bonnement enterré cet objectif et on parle maintenant d’une « guerre et demi », ou d’une moyenne et d’une petite. Face aux puissances capables de déployer des forces militaires de qualité égale à celle des armées US (i.e. la Russie et la Chine), les décideurs américains se contentent du statu quo technologique dont les Etats-Unis bénéficient aujourd’hui. En d’autres termes, si les Américains n’ont plus l’intention de payer plus pour une armée capable de faire la guerre demain contre la Chine, ils souhaitent en revanche continuer à avoir les meilleurs chasseurs, les meilleurs satellites, radars et rester leaders mondiaux du high-tech militaire.

L’avion de chasse F-22 « Raptor », l’un de projets-phares des années 1990, en a déjà fait les frais. L’été dernier, le Sénat américain a annoncé la couleur en refusant de voter les crédits alloués au programme. L’armée de l’air américaine, qui envisageait il y a quinze ans de faire du Raptor l’épine dorsale de sa chasse, a vu sa future flotte de chasseurs de 5e génération se réduire comme une peau de chagrin : de 750 à 187 appareils actuellement. Quant à la marine, elle devrait se contenter d’un nombre réduit de porte-avions. Noyau dur cher et ultra-performant assortis de capacités plus simples et bon marchés : voilà le visage des armées US des années 2010-2020.

A Pékin et à Moscou, les premiers concernés par le document, cette « entracte » stratégique faute de moyens tombe bien. Côté russe, la nouvelle doctrine militaire approuvée par le président Medvedev presque au même moment que la QDR par Obama, on a pris acte de la faiblesse de l’appareil militaire conventionnel longtemps négligé, et pour compenser, on a abaissé le seuil du recours à l’arme atomique. Quant à la Chine, par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, elle a immédiatement exprimé son mécontentement de certaines formules utilisées par les Américains, mais son intérêt principal est de maintenir une stabilité mondiale permettant à son économie un taux de croissance élevé, garant de la paix sociale et de la survie du régime. Pour reprendre le mot du président américain Calvin Coolidge, on pourrait dire que « l’affaire principale du peuple chinois, c’est les affaires ».

Quelques jours à peine après avoir enterré la perspective d’envoyer un homme sur la lune, le premier QDR l’administration Obama exprime ce même réalisme qui commence à devenir sa marque de fabrique. L’homme qui a fait rêver le monde prend acte des contraintes budgétaires, de l’environnement géostratégique et de la gestion calamiteuse des programmes d’armement par le Pentagone qui se traduit par des surcoûts et retards. En revanche – et contrairement à l’objectif affiché en introduction – il n’est pas sûr qu’il garantisse « un bon équilibre entre les défis d’aujourd’hui et les menaces mortelles de l’avenir ». Les Etats-Unis ne peuvent pas tout faire. Ça, on le savait déjà. Mais on a de plus l’impression qu’ils ne le veulent pas non plus. C’est plus nouveau.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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