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Résistez à la culpabilisation avec Mona Chollet: adoptez la féline attitude!

Il y a beaucoup de questions qui trottent dans la tête de la féministe Mona Chollet. Normal: c’est une intellectuelle confirmée! Comme Donald Trump, l’auteuse à succès sait comment livrer bataille contre les «ennemis de l’intérieur»…


Journaliste de formation, Mona Chollet est devenue une « auteuse » incontournable, engagée corps et âme pour les femmes et contre le patriarcat, une militante de choc connue et révérée pour ses essais successful.  Dans ceux-ci, sans concession aucune, elle épingle et c’est pour mieux les rendre inopérantes, les fourbes manœuvres ourdies de toute éternité par le mâle blanc cis-genre retors et vicieux.

Elle vend ses productions comme des petits pains

Elle identifie et propose des solutions pour contrer la figure patriarcale maligne, mue par une seule volonté, atavique, celle d’assujettir, de dominer, d’exploiter et d’humilier la gent féminine. On se souvient avec émotion des précédents opus de la dame : Beauté Fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Chez soi, une odyssée de l’espace intérieur ou Réinventer l’amour, comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.

En 2018, paraît Sorcières : la puissance invaincue des femmes. C’est pour Chollet le succès, grisant, fulgurant. Michelet avait magnifié la sorcière, Mona l’a réveillée pour en faire un modèle inspirant à destination de ses sœurs, victimes séculaires de la masculinité toxique. Sorcières s’est vendu comme des petits pains ; toutes les bourgeoises diplômées l’ont acheté et ont crânement enfourché leur balais ou leur aspirateur pour entrer en résistance contre le prédateur quinquagénaire et blanc.  L’heureuse Mona, forte du matelas que lui a assuré la vente de son ouvrage majeur, a pu quitter la mine, à savoir son job de « cheffe d’édition » dans un grand journal, s’affranchissant ainsi du joug du travail et des contraintes. On la pensait sur le point de pouvoir goûter, tout en continuant à servir la cause des femmes de sa plume alerte, la liberté intellectuelle et culturelle méritée par l’excellence de son être. Héraut.e, porte-voix et défenderesse de ses sœurs opprimées mais également devenue libre de s’adonner à l’otium, elle allait pouvoir le vivre pleinement, son droit à la paresse, notre vertueuse, rendue là où son chemin de vie, juste, la menait. On l’espérait heureuse, accomplie et fière.

Ici, la voix

Las ! Sans horaires ni impératifs autres que ceux qu’elle s’impose, Mona s’emmerde et peine à organiser son temps. Comment choisir entre tous les possibles qui s’offrent à elle ? Écrire, œuvrer pour la cause féminine, lire, mater des séries, c’est vertigineux ! Le choix est cornélien. Si la situation est dramatique, elle n’est pourtant pas désespérée. Voyez plutôt. C’est encore une épreuve que la vie envoie à Mona, certes. D’autant plus que LA VOIX, celle qu’elle avait réussi tant bien que mal à tenir à distance jusque-là, profite lâchement de cette situation de faiblesse de notre femme puissante pour tenter une nouvelle offensive visant à l’envoyer au tapis. « J’ai commencé à entendre la voix dans ma tête il y a environ huit ans (…) désormais à chacune de mes maladresses, la voix se déchaînait, elle tonnait (…) Aujourd’hui (…), quand par exemple, je me plonge dans l’écriture pour une longue période, en délaissant des piles de livres en attente de lecture, ou les films et les séries à voir, elle persifle : ce serait peut-être bien de te tenir au courant et de nourrir tes travaux des autres, comme le font toutes les autrices autour de toi, non ? » Et la persécutée de poursuivre : « Et quand je m’installe dans mon fauteuil pour disparaître derrière les piles en question, la voix s’impatiente : c’est bien joli de lire à l’infini, mais il faudrait peut-être penser à produire quelque chose, toi aussi. Ce nouveau livre ne va pas s’écrire tout seul ! » Mona est victime d’une attaque en règle de la bien connue peur du bonheur. Mona ne se sent pas digne de recevoir les bienfaits dont la gratifie l’existence et elle culpabilise. L’affaire devient vite infernale puisqu’elle en a conscience : elle « culpabilise de culpabiliser ». La vie est cruelle, n’en doutons plus.

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Mona se ressaisit, heureusement. Confrontée à l’adversité, elle relève la tête et choisit le combat ; c’est une résiliente, Mona. C’est décidé, elle triomphera de l’état d’esprit délétère où la plonge la culpabilisation et œuvrera en faveur de toustes celzéceux qui le subissent. Alors, elle étudie, étudie, jusqu’au vertige et parvient à identifier l’origine du malaise subi. De ce sursaut, est né un nouvel essai, indispensable, incontournable, riche en révélations. Il va aider iels à ne plus culpabiliser quand la vie donne, quand le bonheur échoit. Cette œuvre, nécessaire, a pour titre : Résister à la culpabilisation, sur quelques empêchements d’exister. 

Sentiment de culpabilité injustifié

L’essayiste y identifie avec talent l’origine de « l’ennemi intérieur », ce « sentiment de culpabilité injustifié » qui hante « les dominés » dans la société occidentale. Tenez-vous bien, les responsables sont la culture chrétienne, parce qu’elle a inventé « le péché originel » et ses tenants parce que sous prétexte de les éduquer, ils n’ont cessé, depuis toujours, de culpabiliser les femmes, les enfants et tous les fragiles. Louée soit cette révélation fracassante. Interrogée dans Libé, en date du 20 septembre 2024, Mona (à ses heures psychanalyste également) précise : « Quand les parents voient l’exubérance et la nature désirante de leur enfant, ils sont confrontés inconsciemment à ce qui a été refoulé chez eux-mêmes, enfants. La représentation se reproduit, d’une génération à l’autre. »

Et puis le patriarcat, prêt à tout pour asseoir sa domination, n’a eu de cesse, à partir du Moyen-Âge, que de rabaisser et de minoriser la femme, cette sorcière, en raison de sa supériorité flagrante, écrasante, dangereuse et dument constatée sur les mâles ; supériorité d’autant plus redoutable que la bougresse donne la vie. Ajoutez à ça toutes les dérives comportementales qu’engendrent le militantisme écologique et le féminisme, c’est sûr, on aura du mal à s’en sortir vivant.es. Dans Libé, toujours, la question est posée à Chollet : « Le militantisme féministe ou écologique peut aussi provoquer un sentiment de culpabilité. Pour vous, l’ethos militant s’apparente à celui de la religion ? » Notre Bélise, qui maîtrise son sujet, en convient mais se montre rassurante : « Toute cette énergie pourrait être utilisée à combattre les oppressions et les systèmes de domination (…) » L’essayiste entend ici défendre (on s’en doute) et en écriture inclusive (cela va de soi) « les catégories de population dominées, sur lesquelles circulent beaucoup de stéréotypes négatifs – les enfants, les femmes, les minorités sexuelles et raciales ». Des juifs, elle ne pipe mot. Chollet pointe également – on comprend qu’elle a dû en faire les frais – une société hantée « par la culture du surmenage » et marquée par « l’interdiction de s’écouter ». « Il faudrait imaginer une société où les besoins de repos et de plaisir pourraient être satisfaits de façon indépendante, gratuite (…) » Le paradis, peut-être ?

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Dans cet ouvrage remarquable consacré à la culpabilité, il est amusant enfin de relever que Mona ne cesse de s’excuser, comme si elle avait un peu conscience de l’indécence du son sujet et de la puérilité de ses chouineries : « Je suis un peu embarrassée de consacrer un livre à l’ennemi intérieur à l’époque où les ennemi.e. s extérieur.e.s sont en si grande forme. » Notre astucieuse ne se borne pas, toutefois, à pointer l’origine de la toxique culpabilisation ni à en constater simplement les ravages. Elle propose quelques astuces habiles pour lutter contre le mal. On a retenu la plus plaisante, la voici : adoptez toustes la féline attitude ! Prenez-vous pour votre chat ! Mona déclare à Libé : « Si on aime tellement les chats (…), c’est parce qu’ils ont un côté tellement détendu. Jamais un chat ne va se demander s’il a été assez productif. Ce qu’on projette sur eux est comme un exutoire imaginatif. On leur demande de porter finalement toutes les manières de vivre qu’on n’ose pas adopter. » Dans cet essai, aussi puéril que geignard, Chollet ne semble préoccupée que de son seul bien-être. En son nom, elle prône un individualisme forcené sans qu’il ne soit jamais question de supporter quelque contrainte. Quant aux seuls responsables de tous les malheurs du monde, ce sont bien sûr les mâles blancs de plus de cinquante issus de la civilisation judéo-chrétienne et thuriféraires, on s’en doute, du capitalisme. On aurait bien aimé, pour notre part, qu’elle eût songé à les remercier, au passage, eux et leur civilisation moisie, de lui avoir donné la possibilité de faire commerce, comme elle le fait ici, de l’auscultation un brin obscène de son malaise intérieur.

272 pages.

Résister à la culpabilisation: Sur quelques empêchements d'exister

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Quand j’entends le mot culture…

La culture européenne existe-t-elle encore ? La question, qui divise aujourd’hui les intellectuels, est ignorée par nos élites. Cette culture a pourtant forgé notre regard et un « esprit européen » que le monde entier a admiré. Mais de renoncements en reniements, notre civilisation semble admettre son effacement.


Il n’a guère été question, lors des dernières élections européennes, de l’Europe culturelle dont la préservation mobilisa les plus grands esprits du XXe siècle, qui jetèrent leurs forces dans ce combat délaissé par les nouvelles « élites », mais pas par les peuples. La culture, que le monde entier enviait jadis à l’Europe, n’est pas seulement conservée dans les musées ou les édifices publics et privés. C’est aussi « une certaine manière de considérer le monde, assimilable à un pli de la pensée ou à un regard », foncièrement irrévérencieux selon Chantal Delsol[1]. On ne relira donc jamais assez Stefan Zweig[2] (1881-1942) dont les articles combatifs, publiés entre 1909 et 1941 dans la presse germanophone, viennent d’être édités en français sous un titre évocateur (Mélancolie de l’Europe, Plon, 2024). Mais l’Europe en proie au reniement de soi et tentée par un « étrange suicide » (Douglas Murray[3]) est-elle encore capable d’être mélancolique en se souvenant de ce qu’elle fut ? Or, c’est justement la culture qui permettrait à cette remémoration d’être un tremplin vers le futur.

Un colloque à Genève en 1946

Stephan Zweig ne fut pas le seul à alerter les Européens dont les deux guerres mondiales avaient ébranlé les certitudes, au point qu’il leur fallut, après la catastrophe, réfléchir ensemble sur ce qu’est l’« esprit européen ». Cela se passa dans un colloque qui se tint en 1946 à Genève, et réunit des penseurs aussi différents que Georges Bernanos, Denis de Rougemont et Georg Lukács. Qui imaginerait pareille rencontre aujourd’hui ? Le défi était à l’époque de mobiliser les forces de l’esprit contre une possible rechute dans la barbarie, et de promouvoir un « idéal de fraternité transnationale » (Zweig) qui écarterait le péril nucléaire omniprésent dans les esprits après Hiroshima et Nagasaki. Et c’est pour avoir été le théâtre d’une « déchéance incroyable de la culture » (Thomas Mann) que l’Europe était appelée à être le foyer de son renouveau. Car une faiblesse assumée peut devenir le meilleur remède contre la déchéance, comme l’a montré Edgar Morin dans un essai incontournable et plus que jamais d’actualité (Penser l’Europe, 1987). Mais une Europe qui renonce à sa culture peut-elle encore avoir conscience qu’une « communauté de destin » unit pour le meilleur et pour le pire les peuples européens ?

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Or de Nietzsche à Peter Sloterdijk rappelant que l’Europe est « le continent-mère de la modernité » (Si l’Europe s’éveille, 2003), le spectre de la décadence, fruit du nihilisme lui aussi européen, hanta les meilleurs esprits qui savaient cependant encore nommer l’ennemi, extérieur ou intérieur, que la culture avait pour vocation de civiliser ou de repousser : le nazisme, le bolchevisme, la démagogie, le défaitisme. C’est dans cet esprit que Thomas Mann lança en 1937 son Avertissement à l’Europe, que María Zambrano rédigea durant son exil L’Agonie de l’Europe (1945), et que Jan Patočka écrivit les textes réunis dans L’Europe après l’Europe (traduction française en 2007). À supposer que le « soin de l’âme » ait été depuis Platon la préoccupation majeure de l’Europe culturelle et spirituelle – nourrie au moins autant que déstabilisée par son inquiétude –, qui désormais s’en soucie alors que la gestion du « soin » est devenue une industrie ?

On peut, il est vrai, réfuter l’idée même de « culture européenne » au nom des cultures nationales et régionales, seules existantes en fait, ou parce qu’on la suspecte de reproduire à grande échelle les réflexes identitaires dont on déplore les effets pervers quand ils sont ceux des individus ou des peuples. Aussi l’unité culturelle de l’Europe ne serait-elle envisageable qu’en tant que complexité « dont le propre est d’assembler sans les confondre les plus grandes diversités et d’associer les contraires de façon non séparable » (Edgar Morin). Méfiant à l’endroit d’une « identité culturelle » européenne difficilement identifiable et de surcroît « terriblement réductrice et paresseuse », François Jullien l’évince habilement au profit des « ressources » mises par chaque culture à la disposition de qui veut les faire fructifier[4] ; l’Europe, individualiste mais éprise d’universalité, étant à cet égard particulièrement riche en possibilités offertes à l’humanité. C’est un peu vite oublier que le risque n’est plus alors le « repli sur soi » identitaire, mais la transformation de l’Europe culturelle en grenier à blé où tout le monde a le droit de puiser, sans respect ni égards obligés pour ceux qui ont contribué à créer et préserver ces ressources.

Dynamique

On ne conjurera donc les menaces bien réelles qui pèsent aujourd’hui sur l’Europe culturelle – affaiblissement, ensauvagement, asservissement – sans remonter aux sources de son malaise qui ne date pas d’hier, et qui est partie prenante de l’« esprit européen » dont Jean-François Mattéi écrivait : « L’originalité du regard de l’Europe tient à ce combat qui la dresse contre elle-même dans une volonté irrésistible de dépassement[5]. » Dépassement de quoi si on a perdu le sens de l’orientation qui permet d’entrevoir un horizon ? Et si l’Europe ne cesse en ce sens d’agoniser (du grec agon, compétition, lutte), ce peut être aussi bien parce qu’elle s’inflige des épreuves inutiles qui ne peuvent la grandir, ou parce qu’elle est malgré tout encore capable d’intégrer et de transformer ce qui menaçait de la détruire. Aussi les Européens ne peuvent-ils plus se contenter de faire appel à « l’éternelle solidarité de l’esprit créateur », comme le fit en son temps Stefan Zweig, sans remettre en marche cette dynamique créatrice qu’est la culture.

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[1] L’Irrévérence : essai sur l’esprit européen, La Table Ronde, 2013.

[2] On pense en particulier au Monde d’hier : souvenirs d’un Européen.  (1943), traduit en français en 1948, Appels aux Européens et à L’Esprit européen en exil (1933-1942).

[3] L’Étrange suicide de l’Europe, L’Artilleur, 2018.

[4] Il n’y a pas d’identité culturelle, L’Herne, 2016.

[5] Le Regard vide : essai sur l’épuisement de la culture européenne, Fayard, 2007, p. 28.

Un saint beur à Barbès

Depuis que la justice lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas bloquer l’autoroute sans autorisation pour les besoins de ses clips, le rappeur d’origine algérienne Sofiane Zermani est devenu la coqueluche de la presse culturelle. Il est actuellement à l’affiche du film Barbès, Little Algérie. Critique.


Dans le milieu, François Guerrar, devenu Hassan Guerrar, est connu depuis des lustres comme attaché de presse de cinéma. Le quartier parisien de Barbès lui est d’autant plus familier qu’il y vit de très longue date. Pour son premier « long », lui qui auparavant n’a jamais réalisé aucun court-métrage ni fait la moindre école de cinéma, le « débutant » a su s’entourer : pas moins de trois coscénaristes, des techniciens avertis, un casting intelligent – et beaucoup de bonne volonté. Cela se sent : dans Barbès, Little Algérie, Hassan Guerrar a mis énormément de lui-même. En cela, c’est vraiment ce qu’il est convenu d’appeler un film d’auteur.

Aux bons soins de l’oncle Malek

Malek (Sofiane Zermani, étonnant de justesse dans ce difficile contre-emploi), Algérien de souche et mal-aimé d’une fratrie, en rupture avec sa parentèle du bled, mais en deuil de sa vieille mère, vient de s’installer à l’étroit dans un studio, au cœur de Barbès, où il fait de l’assistance informatique comme autoentrepreneur. Débarque d’Algérie, surprise, le tout jeune Ryad, son neveu, que Malek n’a pas revu depuis l’enfance (l’acteur franco-marocain Khalil Ben Gharbia au sourire d’ange). D’abord réticent, Malek l’héberge, et prend bientôt le garçon sous son aile.

On est alors en plein confinement du Covid : masque obligatoire, déplacements contraints. Les vols Paris-Alger sont annulés. Ryad prend son parti de rester à Paris, aux bons soins de l’oncle Malek. Avec l’intention de s’inscrire en Sorbonne, pour y poursuivre ses études : l’entretien préalable a lieu « en distanciel ».

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Tout baignerait, n’était le contexte épidermique du quartier. Tandis que le charitable et doux Malek a intégré un groupe de bénévoles distribuant, derrière les grilles de l’église (catholique) Saint-Bernard – et non une mosquée, relevons-le ! –, le pain quotidien aux nécessiteux sous le diligent patronage de Laure (Clotilde Courau, au civil duchesse de Savoie et princesse de Venise comme l’on sait, est impayable au sens propre dans cet emploi de cheftaine d’association caritative), la bulle arabe de Barbès demeure en ébullition.

Ramadan et pugilat

À l’approche du ramadan, les mâles impulsifs et célibataires – dealers, sans-papiers, vendeurs de cigarettes, fournisseurs de faux laissez-passer, petits trafiquants au chômage, tous musulmans – s’interpellent, voire s’insultent ou s’affrontent jusqu’au pugilat sur la chaussée, dûment gardés à l’œil, de loin, par les bienveillantes patrouilles de policiers. Autant dire que la rue n’est pas vraiment une partie de plaisir. Au point que Malek dissuadera, non sans véhémence, son candide protégé de frayer avec cette engeance malsaine… Dans ce réduit urbain, les femmes du film s’arrogent le beau rôle : ce sont les déesses lares, les cantinières, les bienfaitrices –, en bref la main pacificatrice qui s’interpose entre cette colonie d’hommes belliqueux et frustes, pris dans les turbulences de la zone survoltée. S’en échappe même, sur fond de frustration libidinale, d’idiotie et de férocité, l’éclair de jalousie homosexuelle qui va cristalliser la tragédie où se dénoue l’intrigue…

Jour2Fête

Portrait de ville en creux, Barbès, Little Algérie force la sympathie aux dépens de ses intentions iréniques, pourrait-on dire. Car avec une sorte d’ingénuité (dont on se prend à douter si elle est réelle ou composée), le film dépeint avec une grande véracité une réalité confondante, consternante : l’un des plus vénérables quartiers populaires de Paris se trouve en état de siège, bien moins par les effets conjoncturels de la crise sanitaire, que par la fracture qui coupe ses locaux de la capitale de la France : Barbès, justement, ne devrait pas être – exclusivement – une « petite Algérie » ! En ouverture du film, un personnage lâche : « Le 13e, c’est la Chine, Barbès, c’est l’Algérie. » Mais dans une séquence ultérieure, un « ancien », Arabe né dans la défunte Algérie française, s’insurge : « Les Français ont bien rendu l’Algérie aux Algériens, il faut rendre Barbès aux Français. » Ce clivage immémorial, encore et toujours chargé de périls, entre autochtones de confession musulmane, migrants clandestins, natifs d’Afrique du Nord établis en France… et Français de souche, comme on n’ose plus dire, loin de se voir évacué par Hassan Guerrar, est bel et bien le pivot de son film. Double quelque peu idéalisé du cinéaste en herbe, Malek le généreux, Malek le brave incarne, dans ce microcosme assez cruel, une forme de sainteté œcuménique qui passe par la foi en Dieu et la prière. Et sous les espèces d’une communion autour des plats indigènes, telle la chorba, infect semble-t-il en boîte, mais délicieux s’il est bien cuisiné : transparent, le symbole met, au passage, un peu de baume sur les plaies. Au générique de fin, sur une composition inédite du chanteur franco-algérien Slimane, Hassan Guerrar dédie son film « aux binationaux ».


Barbès, little Algérie. Film de Hassan Guerrar. Avec Sofiane Zermani, Khalil Ben Charbia, Clotilde Courau, Khaled Benaïssa, Eye Haïdara, Soolking…  France, 2024.

Durée: 1h33
En salles, le 16 octobre 2024

En 2027, tout ce qu’il ne faudra pas faire et être…

Avant même l’échéance de 2027, il convient de remercier Emmanuel Macron pour les enseignements qu’il prodigue, souvent contre son gré, depuis 2017. Grâce à lui on sait précisément ce que les futurs candidats à l’élection phare de notre vie démocratique devront ne pas faire, ne pas être.


Je parie – et j’espère – que la gauche et l’extrême gauche seront hors-jeu au second tour. Je rejoins Alexis Corbière qui a déclaré sur Sud radio que Jean-Luc Mélenchon, s’il était qualifié pour la joute finale, serait nettement battu par Marine Le Pen[1].

Le casting pour 2027 se précise

Je m’en tiendrai, même si la liste n’est pas exhaustive, à la « bataille qui vient » pour l’après-Macron, selon le titre du JDD (voir ci-dessous), et qui pourrait mettre aux prises Gabriel Attal, Édouard Philippe, Michel Barnier, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin. Il convient d’y ajouter au moins Xavier Bertrand, David Lisnard et Laurent Wauquiez, le Rassemblement national étant assuré, autant qu’on peut l’être dans notre démocratie déboussolée, d’être présent lors de l’emballage terminal.

Aussi bien, tant lors de la campagne que du mandat présidentiel, il y a un certain nombre de commandements et de principes qui devront être respectés, la plupart à rebours de ce que le météore Macron, si décevant ensuite, aura diffusé depuis 2017.

Ras-le-bol des « révolutionnaires »

D’abord ne pas promettre la révolution. On n’en veut pas et elle tombe vite en quenouille si on y croit le temps d’une illusion.

Ensuite ne pas s’imaginer que président, on est devenu le roi du monde et qu’on doit traiter de haut tous ceux qui vous entourent, classe politique comprise dans toute sa palette d’opinions.

Préférer aussi les actes aux mots et ne pas multiplier les discours alternatifs, contradictoires ou flatteurs par démagogie ou par manque de convictions stables.

Admettre que la vertu essentielle est le courage. Si on l’a, la développer, l’amplifier, si elle manque, tenter d’en faire preuve, en souhaitant que la fonction vous transcende.

Ne pas flatter au-delà de toute mesure les dirigeants étrangers en traitant avec causticité son propre pays.

Ne pas compter sur sa seule séduction pour l’emporter dans les multiples rapports de force mondiaux que la France doit affronter. Elle ne sert à rien. Pendant que l’un fait le beau, les autres avec réalisme voire brutalité, sauvegardent leurs intérêts et gagnent leurs arbitrages.

Moins un pouvoir est ostentatoire, plus il est respecté

Ne pas prendre des décisions, nommer des proches ou choisir des ministres sous l’unique inspiration d’un désir de se distinguer même absurdement au lieu de, tout simplement, faire fond sur le bon sens, l’assentiment populaire, la compétence et l’honnêteté.

Refuser la vulgarité et privilégier l’allure, qui n’est ni repli sur soi et son pré carré ni surabondance narcissique et médiatique. Se rappeler que moins un pouvoir est ostentatoire, plus il est respecté. Que les Français aspirent à un président à la fois comme eux et le contraire d’eux : une personnalité digne d’estime pour tous même si sa politique ne plaît pas à tous.

Tenir ses engagements et ne pas considérer que les trahir relève seulement d’un pragmatisme intelligent : ce peut être l’effet d’un caractère défaillant, d’une personnalité peu fiable.

Honorer l’institution judiciaire même quand elle s’attache à vous-même, à l’un de vos proches, l’un de vos affidés. Accepter l’idée qu’exercer le pouvoir ne rend pas forcément la morale superfétatoire. La placer au centre de tout.

Ne pas attendre la fin de son mandat pour se réveiller sur le plan régalien. La France en péril n’est pas une expression toute faite : une réalité qui impose des armes autres que les hommages, les bougies, les marches blanches et les cérémonies post-mortem.

Ne pas confondre, dans la vie internationale, ses amis avec ses ennemis. Il y a des pays avec des défauts qui valent pourtant bien mieux que d’autres. On ne doit pas mélanger les boucliers avec les glaives.

Ne pas s’illusionner et se vanter d’avoir toujours raison, même en cherchant désespérément à justifier des choix politiques aberrants. Réfléchir d’abord pour ne pas risquer de les effectuer.

Ne pas être jaloux des personnalités qu’on a voulues auprès de soi et qui prennent trop la lumière, ne pas faire peser sur les ministres une responsabilité qui est la sienne. Ne jamais se laver les mains des fiascos qu’on a créés.

Ne pas songer dès le premier jour de son mandat au suivant : méthode redoutable pour faire échouer le premier et éventuellement le second.

Ne pas se laisser influencer par une épouse, un ami, des réseaux, des considérations délétères, ne pas avoir peur de ne compter que sur soi puisque la légitimité présidentielle n’a été dévolue qu’à vous.

À partir de tout ce dont Emmanuel Macron devra nous détourner, qui mériterait de l’emporter ? Il y a ceux clairement à laisser de côté, les faux durs, les vrais mous, ceux qui portent encore trop de leur passé dans le présent d’un côté. Et de l’autre ceux qu’on néglige, qu’on prend de haut, ceux qui ne sont pas obsédés par 2027 parce que l’état de la France est leur angoisse maintenant, tous les jours, ceux qui sont sincères quand ils affirment ne pas ressentir cette ambition pour le futur. Je vous laisse deviner.

Merci à Emmanuel Macron qui se voyait comme un modèle et finit comme un contre-exemple.


[1] https://x.com/SudRadio/status/1847172079759548881

Du passé, l’Occident fait table rase

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Les archéologues du grief qui veulent nous débarrasser du passé deviennent invariablement et paradoxalement ses prisonniers, observe le sociologue Frank Furedi, dans un livre qui s’attaque aux idéologies décoloniales en vogue et à la « cancel culture ».


Frank Furedi est un sociologue britannique d’origine hongroise, professeur émérite à l’université de Kent. Il a entrepris l’écriture de son livre[1] après avoir assisté, à distance, au déboulonnage de la statue d’Abraham Lincoln à Portland en octobre 2020, par une foule lyncheuse cherchant à prendre sa revanche sur le présent en esquintant le passé. Malgré l’absence de coordination et de déclaration de guerre, c’est bien d’une guerre contre le passé qu’il s’agit. Jonathan C.D. Clark, dans Our Shadowed Present (2004), voit dans cette attaque du passé une entreprise de « déshéritement historique ». Frank Furedi parle d’archéologie des griefs pour décrire ce processus de délégitimation du passé qui vise à le reconditionner en fonction des valeurs et objectifs des politiques identitaires actuelles. Les enfants et adolescents sont les cibles principales de cette entreprise d’éloignement moral de l’héritage culturel, favorisée par un « climat » culturel qui rencontre peu de résistance. Les élites occidentales ont peu fait pour défendre leur héritage historique. Elles l’ont souvent renié et ont été à l’avant-garde de son éradication.

Un long processus de détachement du passé

Jusque récemment, la gauche et la droite cherchaient à interpréter le passé pour nourrir leur idéologie, en y cherchant des traces validant leurs positions. Au 19ème siècle, le passé cessa d’être vu comme une réserve de solutions pour le présent, avec l’émergence d’un culte de la jeunesse qui s’est vite imposé au tournant du 20ème siècle. On perçoit alors le passé comme un obstacle à la poursuite du progrès et l’on se prend à rêver d’un nouveau monde, remodelé selon des principes scientifiques. Après l’hécatombe de la Première Guerre mondiale l’histoire, pour les élites, n’avait plus rien de positif à dire à la société. Les idéaux et valeurs dans lesquels elles avaient été socialisées avaient perdu tout sens. Durant les premières décennies du 20ème siècle, gauche et droite firent, chacune à leur manière, la promotion d’un homme nouveau (Trotski et Hitler). La distanciation du passé fut graduelle jusqu’à la fin des années 1960, mais, avec les années 1970, les attaques se firent plus explicites.

Frank Furedi découpe cette évolution en quatre phases :

  • Perte de pertinence du passé pendant le 19ème siècle ;
  • Le passé est un obstacle au présent : idée qui apparaît à la fin du 19ème siècle, gagne en influence après la Première Guerre mondiale et trouve un nouvel élan après la Seconde ;
  • Le passé est principalement malveillant : dans les années 1960-70 se développa une méfiance à l’égard du passé qui fut redirigée vers le statut d’adulte avec, en parallèle, une obsession de l’identité. La montée de la contre-culture des années 1960 fut propice à la dévalorisation du passé ;
  • Le passé représente un danger : Il serait une menace pour le présent. Tout est à jeter jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (Bald Old Days). 1945 est, en quelque sorte, l’année zéro. Mais ce passé continuerait de contaminer le présent et de blesser les minorités. En cherchant dans le passé les sources d’un malheur actuel, on le réintroduit dans le présent, tout en prétendant s’en détacher. C’est tout le paradoxe de vouloir à la fois rompre avec le passé et lui régler son compte.

L’idéologie « Année Zéro »

Dans le passé, cette idéologie désignait la naissance de quelque chose de nouveau. Ce fut l’objectif de la Révolution française, de celle des Khmers rouges en 1975 et d’une certaine manière de la Révolution américaine qui voulait créer un nouveau monde. Aujourd’hui cette idéologie a tourné son regard vers l’arrière. Elle cherche à éliminer les influences du passé et à s’en venger au nom des maux contemporains qu’il aurait engendrés. Le mouvement décolonial, qui réduit l’héritage occidental à une histoire de domination et d’oppression, est l’agent le plus performant de propagation de l’idéologie « Année Zéro ». Aristote n’aurait été qu’un raciste qui continue de sévir, la Déclaration d’indépendance des États-Unis, une charte d’esclavagistes, le colonialisme, le précurseur de la Shoah… C’est un mouvement qui résonne avec l’esprit du temps et a muté dans une rhétorique pouvant s’appliquer à n’importe quoi. Il a même servi à justifier les massacres d’Israéliens le 7 octobre 2023.

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La continuité historique, cet élément décisif de la construction identitaire, est devenu un fléau et son rejet n’est plus réservé à une élite progressiste. La création de l’Union européenne a concrétisé cette idéologie « Année Zéro » sans avoir à en parler tant celle-ci était déjà prégnante, bien avant le mouvement décolonial et la guerre culturelle.

Anachronisme et présentisme, outils de fabrication d’un éternel présent

L’anachronisme marche dans les deux sens, soit pour légitimer le présent, soit pour condamner le passé. Il lit l’histoire à l’envers et ne voit dans le passé que son reflet. Il transporte des concepts à la mode dans des époques où ils n’avaient aucun sens. Ainsi, la tenue de Jeanne d’Arc aurait-elle manifesté son identité non binaire[2] ! Il arrive que des archéologues refusent de classer par sexe des os, car ils ne savent pas comment les gens à qui ils appartenaient se seraient identifiés eux-mêmes. Certaines œuvres se voient soumises à une réécriture. Ce fut le cas du Titus Andronicus de Shakespeare, mis en scène au Globe Theatre de Londres en 2023, par Jude Christian. Ce dernier avait à cœur de dévoiler le racisme masqué par la langue de Shakespeare. En manipulant l’histoire de manière sélective, les théoriciens critiques de la race ont cherché à faire de la blanchité (whiteness) un crime culturel perpétuel.

Le présentisme[3] coïncide avec l’érosion de l’orientation positive vers l’avenir des sociétés occidentales et permet de recycler les inquiétudes contemporaines. Le passé n’est qu’un appendice du présent. Le présentisme permet de cultiver une supériorité morale à défaut d’aider à redresser les injustices actuelles. Richard Dworkin parle à ce propos d’anachronisme moral. L’histoire devient un instrument d’autosatisfaction narcissique. En faisant de leur métier une archéologie des griefs revenant à confirmer leurs a priori, dans une grotesque parodie de justice, les historiens présentistes anéantissent toute idée de progrès. C’est aussi le présentisme qui nourrit la culture de l’annulation. Il fait de l’héritage historique un terrain de jeu pour militants narcissiques en colère. Ainsi, l’élu local « Vert », Ian Driver, se filma-t-il en train d’écrire sur le mur du Musée Charles Dickens : « Dickens racist » !

Politisation de l’identité

Le passé a été transformé en un territoire sans frontières où les injustices attendent qu’on les découvre pour valider l’autorité des groupes se déclarant victimes. C’est dans les années 1950 que l’identité devint un idiome récurrent permettant de se comprendre soi-même. C’est aussi la période pendant laquelle le sens de la continuité morale céda le pas à un sentiment de déconnexion. Les sociétés occidentales n’ont plus de récit convaincant pour socialiser les enfants, d’où le développement de crises identitaires chez les jeunes. Avec les années 1970, l’identité individuelle fusionne avec l’identité groupale qui exige une reconnaissance continuelle dans les institutions et les rituels. L’obsession même de l’identité est un symptôme d’insécurité. La demande de reconnaissance et la recherche d’injustices historiques, comme forme de thérapie collective, sont donc sans fin. À partir de la fin des années 1980, s’y ajouta la demande d’invalidation de l’identité des opposants soutenue par le mouvement décolonial qui connut un certain succès grâce à l’appui des élites culturelles et économiques occidentales. Ces dernières se sont volontairement distanciées du passé et ont adopté des programmes DEI (diversité, équité, inclusion). Il est courant que certaines institutions prestigieuses s’échinent à rechercher leurs méfaits passés. Ainsi, dans son rapport de 2020, le National Trust, qui a en charge la conservation du patrimoine, dresse, à propos de Chartwell, l’ancienne résidence de Winston Churchill, un portrait très négatif de son propriétaire: un méchant impérialiste sans cœur. Ce dernier fut d’ailleurs traité de nazi par le mouvement Black Lives Matter. Comme avec Shakespeare, s’en prendre à Churchill, c’est viser l’identité britannique. De même, il n’y aurait rien à retenir de la démocratie athénienne si ce n’est son oppression des femmes, sa masculinité toxique et sa pratique de l’esclavage.

Le concept de blanchité, aujourd’hui d’usage courant, fut inventé par les théoriciens critiques de la race qui racialisent l’histoire et éternisent ainsi l’identité des blancs en lui donnant une connotation négative. D’ailleurs, « trop blanc » est une expression devenue synonyme de toxique, répugnant, problématique. C’est ainsi que l’identité juive est perçue comme une identité hyper-blanche, perception à l’origine d’un antisémitisme propre au 21ème siècle. Un privilège juif serait ainsi une déclinaison du privilège blanc.

La politisation des identités conduit chaque groupe identitaire à se découvrir dans les contextes les plus improbables. On impose ainsi à des morts une identité qu’ils sont bien en peine de contester. Comme l’écrit Frank Furedi, même les Soviétiques n’ont pas osé faire de Spartacus un commissaire politique en puissance. Cette recherche de validation identitaire incessante dans le passé perpétue un état de souffrance qui empêche toute réconciliation avec ce qui vous arrive sous peine d’annihilation.

Le contrôle de la langue pour invalider le passé

Si les langues évoluent avec le temps, c’est autre chose d’imposer des mots de l’extérieur pour transformer la vision que les gens ont du monde. Déclarer inacceptable l’usage de certains mots affecte la capacité de se souvenir de ce qu’ils signifiaient. C’est remettre en cause les valeurs culturelles qu’ils exprimaient et contribuer ainsi à une amnésie sociale visant à transformer les attitudes culturelles et les normes en vigueur. Frank Furedi raconte son expérience de la chose lorsqu’il se rendit à l’hôpital où sa mère avait été conduite après un AVC. Alors qu’il se présenta comme son fils, il fut enregistré comme « carer » (aidant). L’archevêque de York, lui-même, trouve problématique le début de la prière « Au nom du père ». Elle pourrait rappeler les pères abusifs !

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Certains mots sont ainsi déclarés « outdated », c’est-à-dire périmés. Mais cette qualification a elle-même pris une tonalité morale synonyme d’offensant, de problématique. Des guides des bons usages linguistiques, proposant des listes de mots préférés à ceux jugés problématiques, se sont multipliés. La Colombie britannique considère que mégenrer quelqu’un est une violation des droits humains pouvant conduire à la perte de son emploi. Sont déclarées problématiques des œuvres parce que vieilles. Si bien qu’elles sont de plus en plus souvent accompagnées d’avertissements inutiles et infantilisants. Ainsi prévient-on le lecteur potentiel de The Sun Alson Rise d’Hemingway paru en 1926 que ce livre « reflète les attitudes de l’époque ». Comment pourrait-il en être autrement ? Certains livres sont rangés dans des lieux inaccessibles, ou carrément supprimés des bibliothèques, quand ils ne sont pas réécrits lors de nouvelles éditions. Les livres pour enfants sont particulièrement visés avec des avertissements qui les empêchent de se faire une idée par eux-mêmes et les conditionnent. Cela vaut pour la déclaration d’Indépendance des États-Unis qui exprimerait des vues périmées, biaisées et offensantes, laissant croire ainsi que la nation a été viciée dès son origine. À l’Université Brandeis, le mot « picnic » a été banni pour avoir été associé au lynchage des Noirs. En Australie, en 1995, dans la crèche de l’université La Trobe, 20 mots ont été bannis, dont « garçon » et « fille ». Tout usage de ces « mots sales » entraîne une amende à glisser dans une boîte à cet usage. Au Royaume-Uni, une association de lutte contre le cancer a décidé de renommer le vagin « bonus hole » (trou de la prime ?)!

Cette entreprise d’estrangement par la langue, qui fausse la capacité à se rappeler du passé, de son enfance, fait obstacle à la communication entre générations.

Déshériter les jeunes de leur passé

Pour John Dewey en 1922, comme pour ses disciples aujourd’hui, il fallait libérer l’éducation du passé et apprendre, au contraire, aux enfants à contester des normes et pratiques dépassées. Le psychiatre Brock Chisholm, premier directeur de l’OMS de 1948 à 1953, voulait qu’on libère les enfants du poids du contrôle des adultes qui s’étaient tellement trompés. Avec la déclaration de guerre au passé du tournant du 21ème siècle, les écoles ont connu un degré d’endoctrinement sans précédent qui a peu attiré l’attention, restée concentrée sur la culture de l’annulation. Il a fallu le confinement, lors du Covid, pour que les parents se rendent compte de l’étendue de l’endoctrinement de leurs enfants, que l’on encourage à se croire plus éclairés que leurs parents arriérés. Aux États-Unis, des parents se sont mobilisés et ont fini par gagner des soutiens politiques. En 2021, la révolte des parents en Virginie a conduit à la défaite électorale du gouverneur démocrate Terry McAuliffe.

Le « décolonialisme » a envahi les salles de classe, au détriment de la littérature classique, mais pas seulement. Pas de pause lors des repas à la cantine pendant lesquels on explique aux enfants l’origine des aliments. À Londres, le National Education Union a déclaré en 2021 qu’il fallait décoloniser tous les sujets à tous les niveaux, y compris les sciences qui doivent être l’occasion pour l’enfant d’explorer son identité. Charles Clarke, ancien Secrétaire d’Etat à l’éducation du Labour, déclarait en 2003 à l’University College de Worcester que l’histoire médiévale était un gaspillage d’argent public. Un critère de pertinence a ainsi remplacé l’idée selon laquelle l’étude du passé était un moyen de cultiver une vue commune du monde. L’emphase mise sur l’expérience vécue par les élèves conduit à leur enseigner une version du passé qui reflète leur vie présente au lieu d’apporter des réponses aux questions qu’ils ne se sont pas encore posées.

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Pire, il ne suffit pas d’éloigner les enfants du passé, il faut leur apprendre à le noircir et à s’en méfier. Dans leur rapport fondé sur une enquête auprès de 300 enseignants britanniques, les chercheurs Michael Hand et Jo Pearce préconisent de présenter le patriotisme comme une question controversée. Pour certains historiens, la fierté qu’éprouvent les Britanniques à propos du comportement de leur pays pendant la Deuxième Guerre mondiale reposerait sur un mythe. Comment s’étonner alors que des élèves de l’école Pimlico Academy au sud de Londres aient demandé et obtenu en 2021 que soit enlevé l’Union Jack. Ils furent même félicités par le directeur qui les a trouvés courageux et intelligents !

Pour l’historien Yuval Noah Harari, l’Ancien Testament serait la source de l’irresponsabilité environnementale. Dans The Guardian, en 2022, il déclarait qu’apprendre l’histoire devrait servir à s’en libérer et non à s’en souvenir. On est loin de la conception de Gibert K. Chesterton pour qui « l’éducation est simplement l’âme d’une société qui passe d’une génération à la suivante » (The Observer, 6/7/1924).

Dans la conclusion de son livre, Frank Furedi met en garde contre cette guerre contre le passé : « Paradoxalement, ceux qui veulent se débarrasser du passé deviennent invariablement ses prisonniers ». Se priver de la perspicacité acquise au fil des essais et erreurs des siècles précédents, c’est remettre en cause le statut de l’humanité tout entière. Si tout a été mauvais avant pourquoi en irait-il autrement dans l’avenir ? Cette diabolisation du passé favorise un éloignement de la sensibilité humaine et, dans ses formes les plus extrêmes, la perception de l’humanité comme une nuisance menaçant la survie de la planète. Elle conduit aussi au fatalisme et à la dilution de la notion de responsabilité.

Au purgatoire présentiste, les gens ont du mal à forger les liens essentiels à la solidarité sociale. Et, « quand on oublie ce qui nous a fait, ce que nous sommes et ce qui nous lie, la société ne peut malheureusement que se fragmenter et se polariser. » Le passé représente un fonds d’expérience humaine à travers lequel l’humanité a été forcée de se confronter aux horreurs dont elle porte la responsabilité mais il est aussi une source d’apprentissage à faire le bien. C’est en Europe que les idées de liberté et de libre arbitre ont pris racine. Bien des figures historiques critiquées aujourd’hui furent déterminantes dans le développement d’un comportement civilisé associé à l’épanouissement moral de l’humanité. Notre monde d’aujourd’hui est bien plus influencé par l’esprit démocratique d’Athènes que par son recours à l’esclavage.

Cet héritage doit être protégé de l’assaut des archéologues du grief à la recherche d’une punition collective. « Notre rôle est d’apprendre des expériences passées et pas de les soumettre à une expérimentation idéologique et politique rétrospective […] Les jeunes qui grandissent avec un lien fragile et trouble du passé sont les pertes humaines de la guerre contre le passé ».

Avec un livre pareil, il n’y avait aucune raison pour que Frank Furedi échappe à la culture de l’annulation. Alors qu’il devait venir présenter son livre dans la librairie PiolaLibri à Bruxelles, il reçut un email du libraire annulant l’événement. Ce dernier ne pouvait avoir lieu en raison des connotations politiques qu’il aurait nécessairement prises, contraires à la vocation inclusive de la librairie[4] ! Manifestement pas pour tous les points de vue.

THE WAR AGAINST THE PAST Why the West Must Fight For Its History, Frank Furedi, Polity, 2024, 382 p.

The War Against the Past: Why the West Must Fight for Its History

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Cet article a été publié sur le blog de Michèle Tribalat.


[1] THE WAR AGAINST THE PAST, Why the West Must Fight For Its History (Polity, 2024)

[2] Il en irait de même du roi Arthur, héros légendaire de la littérature occidentale, LGBTQ avant l’heure, d’après un Conseil régional gallois. Il se serait déguisé en fille pour approcher une jeune fille. « Queering the Past », Mark Tapson, Frontpage Magazine, 21/10/2021.

[3] D’après Frank Furedi, ce concept aurait été inventé par François Hartog en 2017. Rappelons néanmoins que ce dernier eut un précurseur : Pierre-André Taguieff, dans son livre L’effacement de l’avenir, publié en 2000 aux éditions Gallilée.

[4] https://www.spiked-online.com/2024/09/26/why-did-a-brussels-bookshop-cancel-my-book-launch

Incendies, pillages, tirs: en Martinique, la colère vire à la délinquance pure

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À la tête de la contestation martiniquaise, Rodrigue Petitot, dit « le R » (notre photo), profite des aspirations légitimes de la population pour servir un agenda « décolonial » avec le soutien de… l’Azerbaïdjan.


La Martinique connaît depuis le 1er septembre de violentes manifestations contre la vie chère. Rien ne semble pouvoir ramener le calme dans cette Collectivité territoriale caribéenne présidée par Serge Letchimy. Si l’État a formulé des annonces majeures mercredi 16 octobre, une partie des manifestants s’emploie toujours à faire basculer le mouvement vers la révolte insurrectionnelle.

Des prix 40 % supérieurs à ceux de la métropole

L’Etat tente depuis plusieurs années de résorber les difficultés posées par le coût de la vie dans les Antilles, notamment en Martinique. Selon l’INSEE, les prix des denrées alimentaires y sont en moyenne de 40% supérieur à ceux pratiqués dans la métropole. Les spécialistes des outremers s’attendaient donc à de nouvelles manifestations, puisque l’environnement macroéconomique est défavorable ainsi que le contexte géopolitique global. Il y a 15 ans, le K5F (Comité du 5 février) plongeait l’île dans la grève générale autour de ces questions de pouvoir d’achat. Le mouvement dura plusieurs mois, fut émaillé par des pénuries et des rationnements qui ont traumatisé les commerçants locaux, et ne s’était achevé qu’après la conclusion des accords du 14 mars 2009 instaurant une hausse de 200 euros des salaires les plus modestes.

Afin d’éviter la renaissance d’un mouvement comparable, l’État réunissait en décembre 2023 un séminaire de lutte contre la vie chère. Il a permis notamment de déterminer que les acteurs de la grande distribution ne détenaient pas la clé du problème puisque leurs prix ne dépendent pas de leurs marges, mais avant tout des coûts de transport, des grossistes ou encore… de la fiscalité. Il faut dire que l’octroi de mer n’est plus fléché correctement. Originellement pensé au XVIIème siècle, cette taxe spécifique aux « colonies » d’alors ne prend pas en compte les évolutions des habitudes de consommation des Martiniquais d’aujourd’hui. Est-il normal que le coût de produits de première nécessité soit près du double en Martinique alors que les téléphones mobiles sont au même tarif ?

Il y a donc des chantiers sur la table et des solutions concrètes en mettre en œuvre. Le footballeur Thierry Henry l’a lui-même rappelé dans un appel émouvant : « Je veux envoyer mon soutien aux gens en Guadeloupe et en Martinique. Je ne sais pas si vous le savez, mais la vie est chère là-bas. C’est la France, au passage. Ce n’est pas un État géré par la France, c’est la France. Le prix des produits alimentaires dans les magasins est deux, trois, quatre ou cinq fois plus cher qu’en métropole ».

Pourtant, si le constat est sans appel, la solution ne saurait se trouver chez Rodrigue Petitot et sa bande.

Sur le site du France-Antilles, des habitants font part de leur mécontentement.

Rodrigue Petitot : un profil d’agitateur

À l’image d’autres révolutionnaires professionnels dont on a pu mesurer l’influence en France ou en Nouvelle-Calédonie ces derniers mois, Rodrigue Petitot profite de la crise et du désespoir des Martiniquais pour semer le chaos. Condamné à quatre reprises dans des affaires de trafic de drogue dont la dernière remonte à 2016, Monsieur Petitot a aussi été quatre fois emprisonné dans l’Hexagone. Il a ainsi passé une dizaine d’années derrière les barreaux. Comment peut-il être aujourd’hui un interlocuteur crédible pour l’État et les autorités locales alors que son profil comme ses discours, aux forts relents de racisme, témoignent d’une personnalité aussi instable que violente ?

Principal responsable de la flambée de violence qui terrifie les habitants de l’île, Rodrigue Petitot est aussi le spécialiste des discours de haine à destination des « beckés » qui sont les Martiniquais d’ascendance européenne installés de longue date sur l’île. Une population qui sert de bouc-émissaire récurrent dès que les Antilles sont en proie à des crises sociales.

Le mouvement né en septembre n’a du reste rien de spontané, mais semble bien avoir été préparé de longue date puisque le « Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens » (RRPRAC) a été créé sous statut d’association le 15 juillet 2024 avant de connaître une stupéfiante montée en puissance. Un hasard de calendrier étonnant puisque le Groupe d’initiative de Bakou réunissait des militants indépendantistes ultramarins français le 18 juillet en Azerbaïdjan. Présenté comme un « Congrès des colonies françaises », ce sommet était officiellement organisé par l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe avec la participation de vingt partis politiques séparatistes, dont des Néo-Calédoniens, des Corses ou encore… des Martiniquais.

Marie-Laurence Delor exprime avec une certaine colère sur Mediapart les manipulations politiques entourant les mouvements de protestation en Martinique : « On s’est aussi un peu soucié de la dénomination de l’association : « Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro caribéens ». Elle dit explicitement un parti pris négriste, une définition étriquée de l’identité dans des sociétés fortement métissées et pluriraciales : ceux qui n’ont pas d’ascendance africaine sont ainsi irrémédiablement exclus, effacés… » Pis encore, elle ajoute la chose suivante : « Parler comme le font les médias et l’administration préfectorale de « violence, de pillage et de déprédation en marge du mouvement » est une grave erreur de lecture. La violence, le pillage et les déprédations sont en réalité au cœur de cette parodie de révolte : pour mobiliser les voyous il faut, en effet, leur donner la garantie d’y trouver leur compte »[1]

Nous sommes donc en face d’un mouvement sous faux drapeau. Des voyous racistes agglomérés autour d’une personnalité charismatique et violente s’organisent pour racketter la collectivité martiniquaise, ses habitants et l’État. Ils ne gagneront évidemment rien de concret pour la population qui y perd déjà avec les incendies criminels, vols, destructions, pillages et violences qui ensanglantent la Martinique depuis le mois de septembre. Une fois de plus, l’État doit faire preuve d’autorité et de fermeté en mettant un terme aux agissements de gangs présentés en « syndicats » qui n’ont d’autres intérêts que ceux de leurs chefs.

Mais cette fermeté doit aussi s’accompagner de mesures ciblées, concrètes et intelligentes pour améliorer les conditions de vie des Martiniquais. C’est ce que l’État a fait le 16 octobre avec l’engagement pris avec les distributeurs de baisser de 20% en moyenne les prix de l’alimentaire. Bien entendu, le RRPRAC a refusé l’accord pourtant arraché de haute lutte par les acteurs martiniquais les plus engagés. Rodrigue Petitot a même appelé à poursuivre le mouvement de violences, ayant trop à perdre à l’arrêt des émeutes…


[1] https://blogs.mediapart.fr/marie-laurence-delor/blog/300924/vie-chere-une-lecture-critique-des-troubles-en-martinique

Passez la Monnaie

Reconduite à la Culture, Rachida Dati fourmille de nouvelles idées. Le projet de faire payer l’entrée de Notre Dame pour financer l’entretien de nos églises est toutefois âprement commenté…


Rachida Dati est une femme qui sait ce qu’elle veut. Et ce qu’elle veut, c’est la mairie de Paris. Aussi s’efforce-t-elle avec une belle opiniâtreté et le flamboyant culot qu’on lui connaît de marquer la capitale de son empreinte avant l’échéance électorale de 2026. D’où sa soudaine ardeur à voir se réaliser le projet présidentiel de création d’une Maison des Mondes Africains à Paris. L’idée remonterait à 2021 mais serait dormante, si ce n’est moribonde, depuis lors. Il était donc grand temps de la revitaliser, d’autant que se mettre dans la poche le vote communautaire lié à ces Mondes n’est pas totalement idiot, relativement à l’échéance susmentionnée… Bien entendu, l’idéal aurait été de pouvoir lorgner du côté du Monde Arabe, mais le truc a déjà son gourou bienfaiteur, l’indéboulonnable Jack Lang qui s’accroche à cette sinécure comme une huître à son rocher. Il faudra donc se contenter des Mondes Africains. C’est toujours cela. Le projet n’est pas nouveau, disions-nous. Il aurait été inspiré par un personnage, un intellectuel camerounais, précise le journal le Monde, qui, dans un rapport remis au président Macron préconisait la création d’une telle institution, assurant que cette initiative améliorerait considérablement les relations entre l’Afrique et la France. Surtout, je présume, si cet intellectuel très inspiré en devenait le Jack Lang. Malin, non ?

Oh Dja dja

Ce qui serait nouveau et en quoi il conviendrait de saluer l’apport de Mme Dati dans ce dossier, serait le lieu d’implantation de cette structure dont l’urgence, la nécessité, la pertinence n’échapperont évidemment à personne. Ce lieu semble bien devoir être l’Hôtel de La Monnaie – une aile aujourd’hui espace d’exposition – à Paris évidemment, quai Conti, à deux pas de l’Académie Française dont on se dit en la circonstance qu’elle l’a échappé belle. Pour que le lecteur puisse bien situer l’endroit, qu’il se reporte aux images de la cérémonie inaugurale des Jeux Olympiques. L’Académie Française est le bâtiment qu’on voit en arrière-plan d’Aya Yakamura invitée pour l’occasion à chanter et se trémousser juste devant,  ce qui augurait peut-être, au train où vont les choses, de sa prochaine admission officielle en grande pompe sous la coupole, habit vert bien rempli, mignonnette épée au côté et « Dja Dja, j’suis pas ta catin » remastérisé en alexandrins.

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Voyez ce que c’est tout de même que l’association d’idées. Restant connectée monnaie, Mme la ministre en est arrivée tout naturellement à l’expression, elle aussi d’usage courant en politique du côté de Bercy notamment, de « Passez la monnaie ». Faire payer les visites touristiques à Notre Dame. Un esprit tortueux ne s’interdirait pas de voir dans cette démarche-là également un arrière-fond de préoccupation électorale. Séduire le parisianisme laïcard bobo, voilà qui n’est pas maladroit. Ces esprits très forts qui s’étranglent lorsqu’ils voient les sous de la République aller comme se fondre dans l’eau du bénitier. Bercy applaudit, semble-t-il au projet visant l’Hôtel de la Monnaie. Nul doute qu’il ne se réjouisse aussi de la trouvaille de Mme Dati concernant Notre Dame dont un des avantages, et non le moindre, reviendrait à se défausser sur les touristes – quid des croyants venus prier, des sans divinité fixe venus s’immerger quelques instants en spiritualité ? – s’exonérer, disais-je, de la charge d’entretien et de restauration qui incombe à l’État ou à ses succursales, si on peut ainsi s’exprimer. Cela est très clairement inscrit dans le marbre de la loi – loi de 1908 – en l’occurrence : « La propriété des lieux du culte s’accompagnera pour l’État, les départements, les communes d’engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété est reconnue par la présente loi. »

Déchristianisation terminale de la France

On ne peut énoncer plus clairement les devoirs et responsabilités en la matière. Il n’y aurait donc même pas à chercher plus loin que la loi de la République pour reléguer la grande idée de taxer l’entrée d’un lieu de culte (qui plus est lieu d’asile par excellence, cela depuis l’origine, soit dit en passant) dans la poubelle sans fond des agitations électoralistes mort-nées.

Cela dit, la conjonction des deux actualités me paraît très symptomatique du dévoiement intellectuel et culturel de l’actuelle pensée d’État. Investir dans une utopique – et démagogique – Maison des Mondes Africains tout en abandonnant à d’autres la préservation d’un monument dont il ne serait ni irrévérencieux – ni en aucune manière réducteur – de le considérer comme la Maison des Mondes Occidentaux, montre fort bien à quel point de renoncement, d’abandon, d’acculturation nous sommes arrivés.

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Un « Monde » sans pitié

Le Monde dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne, jusque dans la couverture des massacres du 7-Octobre. Une lecture mot à mot et entre les lignes s’impose.


Cela ne se discute pas. Avec ses 500 000 abonnés en ligne, son équipe de 500 journalistes et ses quelque 18 millions d’euros engrangés en 2023 au titre des aides publiques à la presse, Le Monde est ce qu’il convient d’appeler un grand quotidien. Un journal de référence, comme on dit, lu chaque jour par tous les ministres de la République, tous les parlementaires et tous les directeurs de la presse parisienne. Autant dire que son traitement de l’actualité au Proche-Orient est crucial. D’autant que peu de rédactions peuvent se payer comme lui des correspondants permanents sur place. Résultat, sur cette question brûlante, nombre d’organes de presse subissent de façon disproportionnée l’influence du quotidien vespéral.

Se doutent-ils que la ligne de leur journal favori est, sur la politique israélienne, nettement moins centriste qu’elle ne l’est en matière de politique française ou américaine ? Et que, dès que l’on se rapproche de Tel-Aviv, elle rejoint en réalité les positions de l’extrême gauche ? Certes, ce parti pris n’est jamais avoué clairement. Il faut parfois avoir l’ouïe fine pour entendre la petite musique anti-israélienne jouée tous les jours dans les pages consacrées au Proche-Orient. Si l’on veut comprendre comment fonctionne cette mécanique sémantique de précision, une analyse mot à mot est souvent nécessaire. Décortiquons ci-dessous sept phrases typiques de la prose du Monde, extraites de divers articles parus dans ses colonnes depuis le 7 octobre.

A lire aussi, Céline Pina: Boniface: géopolitologue d’apparence?

« Lors de son opération “Déluge d’Al-Aqsa”, débutée le 7 octobre, le groupe islamiste du Hamas a infiltré plusieurs centaines de ses combattants en territoire israélien, tuant sur place ou prenant en otage des membres des forces de sécurité et des civils. »

Benoit Le Corre et Pierre Lecornu

Trois jours après les exactions du 7 octobre, le doute n’est plus permis. Selon d’innombrables sources présentes sur place, un massacre de dimension inédite vient d’avoir lieu sur le territoire de l’État hébreu, avec pour objectif d’assassiner un maximum d’Israéliens. Les terroristes sont rentrés par milliers (en non par centaines) dans le district Sud à bord de camions, jeeps, motos, vedettes rapides et parapentes. Un véritable déluge, comme l’indique très bien le nom de code choisi par les cerveaux de l’opération. Mais au Monde, lorsqu’il s’agit de rassembler les faits dans un papier de synthèse, pas question d’employer les grands mots, ni d’étaler trop de pitié pour les victimes. Sans doute pour ne pas donner l’impression d’avoir une quelconque sympathie envers l’État juif. On remarquera aussi un certain penchant pour un vocabulaire tout en retenue. Prenez le verbe « infiltrer », par exemple. Selon le Larousse, il signifie, du moins quand il est appliqué à des êtres humains : « Se glisser quelque part, y pénétrer furtivement. » L’arrivée en nombre de soudards surexcités, tirant sur tout ce qui bouge, violant des femmes et éructant de joie, peut-elle être décemment qualifiée de furtive ? Autre détail qui dit tout de l’égarement du journal : son souci d’indiquer les pertes telles qu’elles ont été constatées parmi des « membres des forces de sécurité » avant celles des « civils ». Or au moment où ces lignes sont écrites, on sait déjà que le bilan des morts du 7 octobre compte davantage d’Israéliens désarmés, notamment des vieillards, des femmes et des enfants, que de soldats. La bonne foi journalistique exigeait donc de mentionner en priorité le fait le plus important, à savoir que le « Déluge d’Al-Aqsa » est d’abord une attaque contre la population d’un pays, pas seulement contre son armée. Sauf si bien sûr on essaie de manière insidieuse de s’inscrire dans le narratif mensonger du «crime de guerre », dont La France insoumise fait au même moment son cheval de bataille.

Benjamin Barthe, lorsqu’il était correspondant du Monde au Proche-Orient. DR.

« Cette bizarrerie géographique est pourtant le fait des fondateurs d’Israël. »

Benjamin Barthe

Dans les jours qui suivent le massacre du 7 octobre, Le Monde, qui n’aime rien tant que de donner des leçons d’histoire à ses lecteurs, publie un article pour raconter celle de Gaza. Et n’hésite pas pour l’occasion à relayer une grossière fake news. Ainsi donc, à en croire l’auteur, la « bizarrerie géographique » qu’est Gaza (à savoir que le territoire palestinien est séparé en deux parties, dont l’une est cette enclave située entre l’Égypte et Israël) serait la conséquence d’une décision prise par ceux qui ont créé l’État hébreu en 1948. Un minimum de connaissance des événements permet pourtant de savoir que la résolution 181 de l’ONU, votée en 1947, propose avant même la déclaration d’indépendance d’Israël, la création d’un État arabe coupé en deux morceaux distincts, dont l’un recouvre justement l’actuelle bande de Gaza. Si l’année suivante, lors de la guerre israélo-arabe, les circonstances du conflit conduisent les troupes de Ben Gourion à ne pas y pénétrer, laissant le champ libre à l’armée égyptienne, Tsahal finira en 1956 par y planter son drapeau à la faveur de la crise de Suez… avant que les Américains lui demandent l’année suivante de se retirer. N’en déplaise à Monsieur Barthe, la « bizarrerie géographique » que constitue Gaza est au moins autant le fait des Nations unies en 1947, des forces égyptiennes en 1948-1949 et de l’administration Eisenhower en 1957, que celui des fondateurs d’Israël. Mais il est tellement tentant de prendre des accents complotistes et de présenter les juifs comme les seuls responsables de ce qui est « bizarre » au Proche-Orient.

Des soldats israéliens en repos, 13 octobre 2023. Jonathan Alpeyrie/SIPA

« Gaza : l’injustifiable politique de la terre brûlée d’Israël »

Éditorial

Comme on l’a vu plus haut, Le Monde a fait preuve d’une pudeur de gazelle dans sa couverture du massacre du 7 octobre, restant le plus froid possible et minorant certains faits. Double standard oblige, la contre-offensive d’Israël, elle, a droit aux grandes orgues. Dans son éditorial du 6 mars, non signé et engageant en ce sens l’ensemble de la rédaction, les mots qui claquent sont de sortie. Tsahal, est-il ainsi affirmé dans le titre, mènerait rien de moins qu’une « politique de la terre brûlée ». Un terme que même le très anti-israélien Josep Borrell n’a jamais osé utilisé, y compris quand il a accusé, notamment lors d’une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU le 12 mars, l’État hébreu d’utiliser la faim comme « arme de guerre » à Gaza. Sans doute parce qu’il sait que la « politique de la terre brûlée »est une qualification juridique autrement plus grave, comme le Protocole I de la convention de Genève le mentionne : « Une Puissance occupante ne peut pas détruire des biens, situés en territoires occupés, qui sont indispensables à la survie de la population. La politique de la “terre brûlée” menée par un occupant, même lorsqu’il se retire de ces territoires, ne doit pas affecter ces biens. » À l’heure actuelle sur la planète, seul le conflit au Darfour est considéré par les observateurs internationaux comme relevant de la stratégie de la terre brûlée.

Rassemblement pro-Hamas à Aman, 16 août 2024. DR.

« Il n’y a pas d’équivalence entre l’antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste, utilisé par certains membres de La France insoumise, et l’antisémitisme fondateur, historique et ontologique du Rassemblement national. »

Arié Alimi et Vincent Lemire

Soyons honnêtes. La phrase ci-dessus est extraite d’une tribune parue dans Le Monde. Si elle ne traduit donc pas la position du journal, elle montre en revanche quelles opinions infâmes celui-ci est prêt à accueillir dans ses pages de façon bienveillante. Faut-il détailler ici en quoi essayer de diminuer les torts de l’antisémitisme de gauche, au prétexte qu’il serait « contextuel », est abject ? Non, évidemment. Quiconque a vu les images de Rima Hassan participant à un rassemblement pro-Hamas à Aman en août dernier sait ce dont l’« antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste » est capable, et quelles atrocités il a sur la conscience.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Annus horribilis

« Visage de la diplomatie du Hamas, vu comme un modéré au sein du mouvement palestinien, Ismaïl Haniyeh était au cœur des efforts visant à mettre fin aux hostilités dans la bande de Gaza. »

Hélène Sallon

Comment montrer, à mots couverts, que l’on pleure à chaudes larmes la mort du numéro un du Hamas, donc de l’un des terroristes les plus sanguinaires de la planète ? En le faisant passer pour une colombe, pardi ! Comme le fait avec beaucoup de talent cette nécrologie d’Ismaïl Haniyeh, mort le 31 juillet 2024 à Téhéran suite à une attaque israélienne survenue au lendemain de la prestation de serment du nouveau président iranien Massoud Pezeshkian devant le Parlement, à laquelle il venait d’assister.

Ismaïl Haniyeh, chef du Hamas de 2017 à 2024. DR.

« Face aux attaques d’Israël, l’Iran peine à trouver la bonne riposte »

Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky

Le Monde ne se contente pas de regretter la disparition des ennemis les plus cruels d’Israël. Il loue aussi l’action des vivants. Le titre ci-dessus est à cet égard un petit chef-d’œuvre d’encouragement déguisé. Procédons par étape logique et découvrons ce qu’il exprime en réalité. D’abord l’élément de contexte, « Face aux attaques d’Israël », qui place le récit du point de vue de Téhéran, puisque, côté Israël, on considère au contraire que l’action de Tsahal n’est pas une attaque mais une contre-attaque. Ensuite la proposition principale, « l’Iran peine à trouver la bonne riposte », qui indique en creux que les mollahs cherchent quelque chose, et que cette recherche est conduite par eux avec les meilleures intentions du monde puisque la chose recherchée est affublée de l’adjectif « bon ». Accusation spécieuse, objecteront certains. Et pourtant que ne dirait-on si, par exemple, Le Monde spéculait en France sur les « attaques » de Macron contre Marine Le Pen et sur la « bonne » réponse que celle-ci pourrait bien lui apporter. Supposons que le journal écrive : « Face aux attaques d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen peine à trouver la bonne riposte ». Inimaginable bien sûr. Alors qu’en revanche le titre « Face aux attaques de Marine Le Pen, Emmanuel Macron peine à trouver la bonne riposte » est tout à fait concevable. CQFD. Dans le conflit larvé israélo-iranien, les faveurs du Monde vont à l’Iran.

Tirs de missiles balistiques iraniens visant des cibles en Irak et en Syrie, 15 janvier 2024.

« Procéder ainsi n’emprunte-t-il pas au terrorisme que l’on prétend combattre ? »

Editorial

Finissons cette rapide autopsie du diable qui se cache dans les détails en nous penchant sur l’affaire de bipeurs piégés. Pour Le Monde, cette opération est immorale. La meilleure manière de le faire savoir : suggérer, au moyen d’une question rhétorique, qu’Israël a, ce jour-là, carrément repris les méthodes des Etats voyous. Quand il y dix ans, François Hollande validait des dizaines d’opération homo (pour homicide), consistant à faire supprimer par des commandos français des djihadistes identifiés en Afrique noire, avec parfois des dommages collatéraux sur les populations civile, allez savoir pourquoi, jamais le journal n’a parlé de terrorisme d’Etat, mais juste d’ « éxécutions ciblées ». Idem quand Barack Obama a demandé que l’on neutralise, mort ou vif, Oussama Ben Laden et que le chef d’Al Qaida a fini par être abattu, sur ses ordres, par des Navy Seals: pas question de se demander si le président américain n’aurait un peu agi de manière criminelle en vengeant le 11-Septembre. Derrière ses protestations de modération et son style ostensiblement circonstancié, Le Monde dissimule mal sa vision orientée du Proche- Orient. Vous avez dit islamo-gauchisme ?

Barnier, en quête du peuple oublié

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Le Premier ministre savoyard pense qu’il n’aura pas le temps de faire de grandes lois. Il entend consulter les cahiers de doléances des gilets jaunes pour alimenter sa réflexion.


C’est au-dessus de leur force : les « progressistes » restent hermétiques aux colères françaises, quand elles pointent l’enfermement mental des dirigeants mondialistes. Cela fait sept ans qu’Emmanuel Macron, en chute dans les sondages (78% de mécontents) se montre incapable d’entendre les gens ordinaires. Ses certitudes universalistes lui suffisent. Or la dénonciation feutrée de cette pathologie politique est venue, hier, de Michel Barnier, dans Le Parisien-Dimanche : le Premier ministre, en quête du peuple oublié, a annoncé vouloir consulter les cahiers de doléances, rédigés par les Français en 2019 après la révolte populaire des gilets jaunes. Il faut donc comprendre que les avis des citoyens d’en bas avaient été enterrés par les décideurs d’en haut, une fois le calme revenu. Cette révélation d’une indifférence du pouvoir n’en est certes pas une, tant la mascarade tient lieu de communication chez M. Macron. Néanmoins, ce mépris élitiste pour les opinions de « ceux qui ne sont rien » est devenu explosif. La crise de la démocratie mériterait, au contraire, l’humilité des puissants, incapables de reconnaître leurs erreurs. Le Premier ministre a compris ce besoin de proximité et de dialogue. Ceci lui vaut la mansuétude de l’opinion. Reste à savoir jusqu’où M. Barnier, homme prudent, est prêt à aller s’il veut répondre aux exaspérations des oubliés. Pour beaucoup, ils ont pris ou vont prendre le chemin du RN et de ses alliés, snobés par le Premier ministre. Ce sont ces mêmes proscrits qui, aux Etats-Unis, s’apprêtent à voter le 5 novembre pour Donald Trump, traité de « fasciste » par Kamala Harris. A une semaine du scrutin, la démocrate, soutenue par le show-biz à paillettes, semble à la peine.

A lire aussi, du même auteur: Retailleau contre l’immigration, ou la fin de règne des déracinés

Une révolution des mentalités redonne du crédit aux pestiférés d’hier, aux Etats-Unis comme en France. Dans son dernier livre[1], Philippe de Villiers admet avoir souffert de son « destin de souffre-douleur archétypal ». Pour autant, le pionnier du souverainisme s’impose aujourd’hui, dans un univers où les élites se délitent, parmi les résistants les plus écoutés, et pas seulement sur CNews dans son émission à succès du vendredi soir. « Une génération de survivants-combattants va poindre », veut croire le promoteur du Puy-du-Fou, du Vendée Globe et de la mémoire vendéenne. Mais nombreux sont, dès à présent, les Français qui ne veulent pas voir leur pays mourir.

Ce réveil existentiel est loin d’être minoritaire. Il pourrait peut-être accompagner, chez des indigènes malmenés par le nouvel occupant islamisé, la reproduction inversée d’une dynamique de décolonisation, prônée par la gauche chez les peuples extra-européens. En attendant, mêmes les réflexes pavloviens de la bien-pensance ont pris un coup de vieux. Rien n’est plus convenu que la réflexion d’Eddy Mitchell, l’autre jour sur France Inter, disant des électeurs RN : « Je suis contre ces gens-là ». Thierry Ardisson ne se rehausse pas davantage quand il qualifie, sur France 5, le public de Cyril Hanouna (C8) de « cons » et de « têtes pleine d’eau ». Idem pour Anne Roumanoff, disant du JDD qu’il est « un journal d’extrême droite ». En 2016, Hillary Clinton avait qualifié de « déplorables » les électeurs de Trump, avant de perdre la présidentielle. Alain Minc a dit d’eux, hier soir sur BFM, qu’ils étaient des « sous-développés ». Ceux qui insultent au lieu d’écouter accélèrent leur chute. Leur monde rêvé est faux. D’ailleurs, il s’effondre.

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[1] Mémoricide, Fayard

Bisounours queers vs Bad travelos

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Face à l’émergence de voix critiques s’opposant à l’idéologie transgenre, les militants radicaux se déchirent quant à l’attitude à adopter pour riposter.


Le 7 octobre, le site StreetPress informait ses lecteurs que soixante-quatre des militants venus protester, à l’appel de l’AG Paname Antifa, contre les séances de dédicaces organisées par les éditions Magnus, dont celle de Marguerite Stern et Dora Moutot pour leur essai Transmania, avaient été placés en garde à vue. Après avoir obligé les organisateurs à annuler la réunion prévue dans le 11ème arrondissement et à se replier finalement sur une péniche dans le 5ème, ces militants s’étaient regroupés non loin de celle-ci, obligeant les forces de l’ordre à intervenir.

Stern et Moutot menacées

Les policiers ont retrouvé sur les manifestants des fumigènes et de la peinture mais aussi des mortiers d’artifice, des matraques télescopiques et des explosifs. Pour leur défense, certains de ces activistes « non-binaires » déclarèrent à StreetPress ne pas être venus pour en découdre : « On est une bande de trans et de bisounours queers », geignit Aurélie en se plaignant d’avoir dû partager avec Anna, une jeune femme trans, « une cellule de cinq mètres carrés sans matelas ». Bref, ça pleurnicha, ça gémit, ça jérémiada tant que ça put. Iels prétendirent être de pauvres victimes du système policier, patriarcal et hétéronormatif – et StreetPress fut tout heureux de présenter cette milice trans comme une joyeuse bande de militants pacifistes agressés par la police[1].

À lire aussi, du même auteur: De Judith Butler à Laure Adler

Oui mais non, écrivent en substance, deux jours plus tard, des militantes trans se réclamant d’une «bande armée de travelos » dans un texte rageur paru sur le « site d’infos anticapitaliste, antiautoritaire et révolutionnaire » Paris-Luttes.Info[2] : il y avait bien, parmi les activistes arrêtés, des individus violents et prêts à tout pour nuire à la « sauterie transphobe » organisée par les éditions Magnus. « Que les bisounours se tiennent sages si iels le veulent, certaines d’entre nous auraient coulé la péniche et tous ses fafs avec si nous en avions eu loccasion », écrivent ces charmantes créatures en traitant au passage les « journaleux » de StreetPress de « poucaves » (mot d’origine rom voulant dire « mouchard » ou « traître ») pour avoir relayé les discours victimaires et « innocentistes » rapportés ci-dessus. Pour mener le combat trans contre les « fascistes », il n’est pas prévu d’autres moyens que « la force et la violence, et donc l’éclatage des têtes » de ces derniers. Les menaces de mort que reçoivent Marguerite Stern et Dora Moutot sont par conséquent « valides et légitimes ». Les signataires de cet appel à l’ultra-violence disent être « de celles qui ont formé un black bloc le 6 mai dernier devant Assas » et « de celles qui ont cramé le compteur électrique et fracassé les vitres » de l’ISSEP à Lyon, là où étaient prévues des réunions avec les auteurs de Transmania. Décidées à éviter comme la peste les « espaces terriblement cis ou hétérochiants » et à chercher la baston partout où cela s’avère nécessaire pour s’émanciper de « l’aliénation capitalo-hétérosexiste », les travelos anarchistes affirment vouloir continuer « de poursuivre Stern et Moutot partout où elles iront jusqu’à ce qu’elles n’osent plus sortir de chez elles. » Quant aux « journaleux de StreetPress », ils feraient mieux de « garder leurs torchons pour eux » s’ils ne veulent pas subir l’ire de ces furies qui prévoient d’ores et déjà de prochaines et belliqueuses actions contre le patriarcat, les fascistes, les « mascus », les policiers, les « pacificateurs », la presse sirupeuse, etc. 

Prétentieux

Ironie de l’histoire et conclusion badine et interrogative. Sur son site, StreetPress annonce mener actuellement « la plus grande enquête participative sur l’extrême droite » et appelle la population à dénoncer « les actions et les méfaits des groupuscules ou militants d’extrême droite » qui se multiplieraient « partout dans l’hexagone ». Pour le moment et jusqu’à preuve du contraire, la très grande majorité des actions violentes contre des individus dans les universités, les librairies, les lieux publics ou privés, sont le fait de groupuscules d’extrême gauche se réclamant du féminisme, de l’antifascisme, de l’antiracisme, de l’écologisme et des mouvements queer : conférences perturbées ou carrément annulées, librairies taguées et caillassées, tentatives d’incendies, menaces sur les propriétaires des lieux prévus pour telle ou telle réunion, regroupements agressifs devant les lieux en question, menaces directes sur les intervenants pouvant conduire jusqu’à la nécessité d’une protection policière particulière, etc. Et ne parlons pas des cris de haine antisionistes et antisémites et des appels à l’intifada et à la guerre civile scandés lors de manifestations pro-palestiniennes qui voient leurs rangs gonflés par les mêmes activistes d’extrême gauche, idiots utiles de l’islamisme.

À lire aussi, Charles-Henri d’Elloy: Nicolas Bedos, le beau bouc émissaire

S’ils veulent avoir de la matière pour leur enquête contre les « méfaits et les violences » en France, les journalistes de StreetPress feraient décidément mieux de se pencher sur les groupuscules ultra-violents et les activistes radicaux de l’extrême gauche, ainsi que sur cette… « bande armée de travelos » qui les menace directement.

Mais peut-être ne prennent-ils pas au sérieux cette fameuse bande et ont-ils sur elle la même opinion que Fred (André Pousse) sur la clique de petits malfrats transsexuels commandée par Rosemonde (Mario David), alias Jacky après sa « transition », dans le film de Michel Audiard “Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages” : « Pour moi, la Rosemonde et sa bande de gouines, c’est rien que des grosses prétentieuses, des insolentes. Je dirais même des personnes malsaines. » Après tout, il n’est pas impossible que ces militantes en transe ultra-violente ne soient en réalité que des affabulatrices, des trouillardes et des crâneuses profitant des circonstances pour se vanter et se faire plus méchantes qu’elles ne sont, allez savoir ! Ce qui n’enlève rien au caractère malsain de leurs délires.

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[1] https://www.streetpress.com/sujet/1728313380-militants-garde-vue-arrestations-violence-manifestants-dedicaces-editeur-extreme-droite-magnus-papacito-stern-moutot

[2] https://paris-luttes.info/trans-ultra-violence-18736

Résistez à la culpabilisation avec Mona Chollet: adoptez la féline attitude!

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Mona Chollet invitée sur la chaîne YouTube de "Blast". Capture d'écran.

Il y a beaucoup de questions qui trottent dans la tête de la féministe Mona Chollet. Normal: c’est une intellectuelle confirmée! Comme Donald Trump, l’auteuse à succès sait comment livrer bataille contre les «ennemis de l’intérieur»…


Journaliste de formation, Mona Chollet est devenue une « auteuse » incontournable, engagée corps et âme pour les femmes et contre le patriarcat, une militante de choc connue et révérée pour ses essais successful.  Dans ceux-ci, sans concession aucune, elle épingle et c’est pour mieux les rendre inopérantes, les fourbes manœuvres ourdies de toute éternité par le mâle blanc cis-genre retors et vicieux.

Elle vend ses productions comme des petits pains

Elle identifie et propose des solutions pour contrer la figure patriarcale maligne, mue par une seule volonté, atavique, celle d’assujettir, de dominer, d’exploiter et d’humilier la gent féminine. On se souvient avec émotion des précédents opus de la dame : Beauté Fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Chez soi, une odyssée de l’espace intérieur ou Réinventer l’amour, comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.

En 2018, paraît Sorcières : la puissance invaincue des femmes. C’est pour Chollet le succès, grisant, fulgurant. Michelet avait magnifié la sorcière, Mona l’a réveillée pour en faire un modèle inspirant à destination de ses sœurs, victimes séculaires de la masculinité toxique. Sorcières s’est vendu comme des petits pains ; toutes les bourgeoises diplômées l’ont acheté et ont crânement enfourché leur balais ou leur aspirateur pour entrer en résistance contre le prédateur quinquagénaire et blanc.  L’heureuse Mona, forte du matelas que lui a assuré la vente de son ouvrage majeur, a pu quitter la mine, à savoir son job de « cheffe d’édition » dans un grand journal, s’affranchissant ainsi du joug du travail et des contraintes. On la pensait sur le point de pouvoir goûter, tout en continuant à servir la cause des femmes de sa plume alerte, la liberté intellectuelle et culturelle méritée par l’excellence de son être. Héraut.e, porte-voix et défenderesse de ses sœurs opprimées mais également devenue libre de s’adonner à l’otium, elle allait pouvoir le vivre pleinement, son droit à la paresse, notre vertueuse, rendue là où son chemin de vie, juste, la menait. On l’espérait heureuse, accomplie et fière.

Ici, la voix

Las ! Sans horaires ni impératifs autres que ceux qu’elle s’impose, Mona s’emmerde et peine à organiser son temps. Comment choisir entre tous les possibles qui s’offrent à elle ? Écrire, œuvrer pour la cause féminine, lire, mater des séries, c’est vertigineux ! Le choix est cornélien. Si la situation est dramatique, elle n’est pourtant pas désespérée. Voyez plutôt. C’est encore une épreuve que la vie envoie à Mona, certes. D’autant plus que LA VOIX, celle qu’elle avait réussi tant bien que mal à tenir à distance jusque-là, profite lâchement de cette situation de faiblesse de notre femme puissante pour tenter une nouvelle offensive visant à l’envoyer au tapis. « J’ai commencé à entendre la voix dans ma tête il y a environ huit ans (…) désormais à chacune de mes maladresses, la voix se déchaînait, elle tonnait (…) Aujourd’hui (…), quand par exemple, je me plonge dans l’écriture pour une longue période, en délaissant des piles de livres en attente de lecture, ou les films et les séries à voir, elle persifle : ce serait peut-être bien de te tenir au courant et de nourrir tes travaux des autres, comme le font toutes les autrices autour de toi, non ? » Et la persécutée de poursuivre : « Et quand je m’installe dans mon fauteuil pour disparaître derrière les piles en question, la voix s’impatiente : c’est bien joli de lire à l’infini, mais il faudrait peut-être penser à produire quelque chose, toi aussi. Ce nouveau livre ne va pas s’écrire tout seul ! » Mona est victime d’une attaque en règle de la bien connue peur du bonheur. Mona ne se sent pas digne de recevoir les bienfaits dont la gratifie l’existence et elle culpabilise. L’affaire devient vite infernale puisqu’elle en a conscience : elle « culpabilise de culpabiliser ». La vie est cruelle, n’en doutons plus.

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Mona se ressaisit, heureusement. Confrontée à l’adversité, elle relève la tête et choisit le combat ; c’est une résiliente, Mona. C’est décidé, elle triomphera de l’état d’esprit délétère où la plonge la culpabilisation et œuvrera en faveur de toustes celzéceux qui le subissent. Alors, elle étudie, étudie, jusqu’au vertige et parvient à identifier l’origine du malaise subi. De ce sursaut, est né un nouvel essai, indispensable, incontournable, riche en révélations. Il va aider iels à ne plus culpabiliser quand la vie donne, quand le bonheur échoit. Cette œuvre, nécessaire, a pour titre : Résister à la culpabilisation, sur quelques empêchements d’exister. 

Sentiment de culpabilité injustifié

L’essayiste y identifie avec talent l’origine de « l’ennemi intérieur », ce « sentiment de culpabilité injustifié » qui hante « les dominés » dans la société occidentale. Tenez-vous bien, les responsables sont la culture chrétienne, parce qu’elle a inventé « le péché originel » et ses tenants parce que sous prétexte de les éduquer, ils n’ont cessé, depuis toujours, de culpabiliser les femmes, les enfants et tous les fragiles. Louée soit cette révélation fracassante. Interrogée dans Libé, en date du 20 septembre 2024, Mona (à ses heures psychanalyste également) précise : « Quand les parents voient l’exubérance et la nature désirante de leur enfant, ils sont confrontés inconsciemment à ce qui a été refoulé chez eux-mêmes, enfants. La représentation se reproduit, d’une génération à l’autre. »

Et puis le patriarcat, prêt à tout pour asseoir sa domination, n’a eu de cesse, à partir du Moyen-Âge, que de rabaisser et de minoriser la femme, cette sorcière, en raison de sa supériorité flagrante, écrasante, dangereuse et dument constatée sur les mâles ; supériorité d’autant plus redoutable que la bougresse donne la vie. Ajoutez à ça toutes les dérives comportementales qu’engendrent le militantisme écologique et le féminisme, c’est sûr, on aura du mal à s’en sortir vivant.es. Dans Libé, toujours, la question est posée à Chollet : « Le militantisme féministe ou écologique peut aussi provoquer un sentiment de culpabilité. Pour vous, l’ethos militant s’apparente à celui de la religion ? » Notre Bélise, qui maîtrise son sujet, en convient mais se montre rassurante : « Toute cette énergie pourrait être utilisée à combattre les oppressions et les systèmes de domination (…) » L’essayiste entend ici défendre (on s’en doute) et en écriture inclusive (cela va de soi) « les catégories de population dominées, sur lesquelles circulent beaucoup de stéréotypes négatifs – les enfants, les femmes, les minorités sexuelles et raciales ». Des juifs, elle ne pipe mot. Chollet pointe également – on comprend qu’elle a dû en faire les frais – une société hantée « par la culture du surmenage » et marquée par « l’interdiction de s’écouter ». « Il faudrait imaginer une société où les besoins de repos et de plaisir pourraient être satisfaits de façon indépendante, gratuite (…) » Le paradis, peut-être ?

A lire aussi: De Judith Butler à Laure Adler

Dans cet ouvrage remarquable consacré à la culpabilité, il est amusant enfin de relever que Mona ne cesse de s’excuser, comme si elle avait un peu conscience de l’indécence du son sujet et de la puérilité de ses chouineries : « Je suis un peu embarrassée de consacrer un livre à l’ennemi intérieur à l’époque où les ennemi.e. s extérieur.e.s sont en si grande forme. » Notre astucieuse ne se borne pas, toutefois, à pointer l’origine de la toxique culpabilisation ni à en constater simplement les ravages. Elle propose quelques astuces habiles pour lutter contre le mal. On a retenu la plus plaisante, la voici : adoptez toustes la féline attitude ! Prenez-vous pour votre chat ! Mona déclare à Libé : « Si on aime tellement les chats (…), c’est parce qu’ils ont un côté tellement détendu. Jamais un chat ne va se demander s’il a été assez productif. Ce qu’on projette sur eux est comme un exutoire imaginatif. On leur demande de porter finalement toutes les manières de vivre qu’on n’ose pas adopter. » Dans cet essai, aussi puéril que geignard, Chollet ne semble préoccupée que de son seul bien-être. En son nom, elle prône un individualisme forcené sans qu’il ne soit jamais question de supporter quelque contrainte. Quant aux seuls responsables de tous les malheurs du monde, ce sont bien sûr les mâles blancs de plus de cinquante issus de la civilisation judéo-chrétienne et thuriféraires, on s’en doute, du capitalisme. On aurait bien aimé, pour notre part, qu’elle eût songé à les remercier, au passage, eux et leur civilisation moisie, de lui avoir donné la possibilité de faire commerce, comme elle le fait ici, de l’auscultation un brin obscène de son malaise intérieur.

272 pages.

Résister à la culpabilisation: Sur quelques empêchements d'exister

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Quand j’entends le mot culture…

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Stefan Zweig (1881-1942), porte-parole de l’héritage culturel européen © SZ Photo / Bridgeman Images

La culture européenne existe-t-elle encore ? La question, qui divise aujourd’hui les intellectuels, est ignorée par nos élites. Cette culture a pourtant forgé notre regard et un « esprit européen » que le monde entier a admiré. Mais de renoncements en reniements, notre civilisation semble admettre son effacement.


Il n’a guère été question, lors des dernières élections européennes, de l’Europe culturelle dont la préservation mobilisa les plus grands esprits du XXe siècle, qui jetèrent leurs forces dans ce combat délaissé par les nouvelles « élites », mais pas par les peuples. La culture, que le monde entier enviait jadis à l’Europe, n’est pas seulement conservée dans les musées ou les édifices publics et privés. C’est aussi « une certaine manière de considérer le monde, assimilable à un pli de la pensée ou à un regard », foncièrement irrévérencieux selon Chantal Delsol[1]. On ne relira donc jamais assez Stefan Zweig[2] (1881-1942) dont les articles combatifs, publiés entre 1909 et 1941 dans la presse germanophone, viennent d’être édités en français sous un titre évocateur (Mélancolie de l’Europe, Plon, 2024). Mais l’Europe en proie au reniement de soi et tentée par un « étrange suicide » (Douglas Murray[3]) est-elle encore capable d’être mélancolique en se souvenant de ce qu’elle fut ? Or, c’est justement la culture qui permettrait à cette remémoration d’être un tremplin vers le futur.

Un colloque à Genève en 1946

Stephan Zweig ne fut pas le seul à alerter les Européens dont les deux guerres mondiales avaient ébranlé les certitudes, au point qu’il leur fallut, après la catastrophe, réfléchir ensemble sur ce qu’est l’« esprit européen ». Cela se passa dans un colloque qui se tint en 1946 à Genève, et réunit des penseurs aussi différents que Georges Bernanos, Denis de Rougemont et Georg Lukács. Qui imaginerait pareille rencontre aujourd’hui ? Le défi était à l’époque de mobiliser les forces de l’esprit contre une possible rechute dans la barbarie, et de promouvoir un « idéal de fraternité transnationale » (Zweig) qui écarterait le péril nucléaire omniprésent dans les esprits après Hiroshima et Nagasaki. Et c’est pour avoir été le théâtre d’une « déchéance incroyable de la culture » (Thomas Mann) que l’Europe était appelée à être le foyer de son renouveau. Car une faiblesse assumée peut devenir le meilleur remède contre la déchéance, comme l’a montré Edgar Morin dans un essai incontournable et plus que jamais d’actualité (Penser l’Europe, 1987). Mais une Europe qui renonce à sa culture peut-elle encore avoir conscience qu’une « communauté de destin » unit pour le meilleur et pour le pire les peuples européens ?

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Or de Nietzsche à Peter Sloterdijk rappelant que l’Europe est « le continent-mère de la modernité » (Si l’Europe s’éveille, 2003), le spectre de la décadence, fruit du nihilisme lui aussi européen, hanta les meilleurs esprits qui savaient cependant encore nommer l’ennemi, extérieur ou intérieur, que la culture avait pour vocation de civiliser ou de repousser : le nazisme, le bolchevisme, la démagogie, le défaitisme. C’est dans cet esprit que Thomas Mann lança en 1937 son Avertissement à l’Europe, que María Zambrano rédigea durant son exil L’Agonie de l’Europe (1945), et que Jan Patočka écrivit les textes réunis dans L’Europe après l’Europe (traduction française en 2007). À supposer que le « soin de l’âme » ait été depuis Platon la préoccupation majeure de l’Europe culturelle et spirituelle – nourrie au moins autant que déstabilisée par son inquiétude –, qui désormais s’en soucie alors que la gestion du « soin » est devenue une industrie ?

On peut, il est vrai, réfuter l’idée même de « culture européenne » au nom des cultures nationales et régionales, seules existantes en fait, ou parce qu’on la suspecte de reproduire à grande échelle les réflexes identitaires dont on déplore les effets pervers quand ils sont ceux des individus ou des peuples. Aussi l’unité culturelle de l’Europe ne serait-elle envisageable qu’en tant que complexité « dont le propre est d’assembler sans les confondre les plus grandes diversités et d’associer les contraires de façon non séparable » (Edgar Morin). Méfiant à l’endroit d’une « identité culturelle » européenne difficilement identifiable et de surcroît « terriblement réductrice et paresseuse », François Jullien l’évince habilement au profit des « ressources » mises par chaque culture à la disposition de qui veut les faire fructifier[4] ; l’Europe, individualiste mais éprise d’universalité, étant à cet égard particulièrement riche en possibilités offertes à l’humanité. C’est un peu vite oublier que le risque n’est plus alors le « repli sur soi » identitaire, mais la transformation de l’Europe culturelle en grenier à blé où tout le monde a le droit de puiser, sans respect ni égards obligés pour ceux qui ont contribué à créer et préserver ces ressources.

Dynamique

On ne conjurera donc les menaces bien réelles qui pèsent aujourd’hui sur l’Europe culturelle – affaiblissement, ensauvagement, asservissement – sans remonter aux sources de son malaise qui ne date pas d’hier, et qui est partie prenante de l’« esprit européen » dont Jean-François Mattéi écrivait : « L’originalité du regard de l’Europe tient à ce combat qui la dresse contre elle-même dans une volonté irrésistible de dépassement[5]. » Dépassement de quoi si on a perdu le sens de l’orientation qui permet d’entrevoir un horizon ? Et si l’Europe ne cesse en ce sens d’agoniser (du grec agon, compétition, lutte), ce peut être aussi bien parce qu’elle s’inflige des épreuves inutiles qui ne peuvent la grandir, ou parce qu’elle est malgré tout encore capable d’intégrer et de transformer ce qui menaçait de la détruire. Aussi les Européens ne peuvent-ils plus se contenter de faire appel à « l’éternelle solidarité de l’esprit créateur », comme le fit en son temps Stefan Zweig, sans remettre en marche cette dynamique créatrice qu’est la culture.

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[1] L’Irrévérence : essai sur l’esprit européen, La Table Ronde, 2013.

[2] On pense en particulier au Monde d’hier : souvenirs d’un Européen.  (1943), traduit en français en 1948, Appels aux Européens et à L’Esprit européen en exil (1933-1942).

[3] L’Étrange suicide de l’Europe, L’Artilleur, 2018.

[4] Il n’y a pas d’identité culturelle, L’Herne, 2016.

[5] Le Regard vide : essai sur l’épuisement de la culture européenne, Fayard, 2007, p. 28.

Un saint beur à Barbès

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Sofiane Zermani et Khalil Gharbia © EAST FILMS 2425FILMS CHELIFILMS

Depuis que la justice lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas bloquer l’autoroute sans autorisation pour les besoins de ses clips, le rappeur d’origine algérienne Sofiane Zermani est devenu la coqueluche de la presse culturelle. Il est actuellement à l’affiche du film Barbès, Little Algérie. Critique.


Dans le milieu, François Guerrar, devenu Hassan Guerrar, est connu depuis des lustres comme attaché de presse de cinéma. Le quartier parisien de Barbès lui est d’autant plus familier qu’il y vit de très longue date. Pour son premier « long », lui qui auparavant n’a jamais réalisé aucun court-métrage ni fait la moindre école de cinéma, le « débutant » a su s’entourer : pas moins de trois coscénaristes, des techniciens avertis, un casting intelligent – et beaucoup de bonne volonté. Cela se sent : dans Barbès, Little Algérie, Hassan Guerrar a mis énormément de lui-même. En cela, c’est vraiment ce qu’il est convenu d’appeler un film d’auteur.

Aux bons soins de l’oncle Malek

Malek (Sofiane Zermani, étonnant de justesse dans ce difficile contre-emploi), Algérien de souche et mal-aimé d’une fratrie, en rupture avec sa parentèle du bled, mais en deuil de sa vieille mère, vient de s’installer à l’étroit dans un studio, au cœur de Barbès, où il fait de l’assistance informatique comme autoentrepreneur. Débarque d’Algérie, surprise, le tout jeune Ryad, son neveu, que Malek n’a pas revu depuis l’enfance (l’acteur franco-marocain Khalil Ben Gharbia au sourire d’ange). D’abord réticent, Malek l’héberge, et prend bientôt le garçon sous son aile.

On est alors en plein confinement du Covid : masque obligatoire, déplacements contraints. Les vols Paris-Alger sont annulés. Ryad prend son parti de rester à Paris, aux bons soins de l’oncle Malek. Avec l’intention de s’inscrire en Sorbonne, pour y poursuivre ses études : l’entretien préalable a lieu « en distanciel ».

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Tout baignerait, n’était le contexte épidermique du quartier. Tandis que le charitable et doux Malek a intégré un groupe de bénévoles distribuant, derrière les grilles de l’église (catholique) Saint-Bernard – et non une mosquée, relevons-le ! –, le pain quotidien aux nécessiteux sous le diligent patronage de Laure (Clotilde Courau, au civil duchesse de Savoie et princesse de Venise comme l’on sait, est impayable au sens propre dans cet emploi de cheftaine d’association caritative), la bulle arabe de Barbès demeure en ébullition.

Ramadan et pugilat

À l’approche du ramadan, les mâles impulsifs et célibataires – dealers, sans-papiers, vendeurs de cigarettes, fournisseurs de faux laissez-passer, petits trafiquants au chômage, tous musulmans – s’interpellent, voire s’insultent ou s’affrontent jusqu’au pugilat sur la chaussée, dûment gardés à l’œil, de loin, par les bienveillantes patrouilles de policiers. Autant dire que la rue n’est pas vraiment une partie de plaisir. Au point que Malek dissuadera, non sans véhémence, son candide protégé de frayer avec cette engeance malsaine… Dans ce réduit urbain, les femmes du film s’arrogent le beau rôle : ce sont les déesses lares, les cantinières, les bienfaitrices –, en bref la main pacificatrice qui s’interpose entre cette colonie d’hommes belliqueux et frustes, pris dans les turbulences de la zone survoltée. S’en échappe même, sur fond de frustration libidinale, d’idiotie et de férocité, l’éclair de jalousie homosexuelle qui va cristalliser la tragédie où se dénoue l’intrigue…

Jour2Fête

Portrait de ville en creux, Barbès, Little Algérie force la sympathie aux dépens de ses intentions iréniques, pourrait-on dire. Car avec une sorte d’ingénuité (dont on se prend à douter si elle est réelle ou composée), le film dépeint avec une grande véracité une réalité confondante, consternante : l’un des plus vénérables quartiers populaires de Paris se trouve en état de siège, bien moins par les effets conjoncturels de la crise sanitaire, que par la fracture qui coupe ses locaux de la capitale de la France : Barbès, justement, ne devrait pas être – exclusivement – une « petite Algérie » ! En ouverture du film, un personnage lâche : « Le 13e, c’est la Chine, Barbès, c’est l’Algérie. » Mais dans une séquence ultérieure, un « ancien », Arabe né dans la défunte Algérie française, s’insurge : « Les Français ont bien rendu l’Algérie aux Algériens, il faut rendre Barbès aux Français. » Ce clivage immémorial, encore et toujours chargé de périls, entre autochtones de confession musulmane, migrants clandestins, natifs d’Afrique du Nord établis en France… et Français de souche, comme on n’ose plus dire, loin de se voir évacué par Hassan Guerrar, est bel et bien le pivot de son film. Double quelque peu idéalisé du cinéaste en herbe, Malek le généreux, Malek le brave incarne, dans ce microcosme assez cruel, une forme de sainteté œcuménique qui passe par la foi en Dieu et la prière. Et sous les espèces d’une communion autour des plats indigènes, telle la chorba, infect semble-t-il en boîte, mais délicieux s’il est bien cuisiné : transparent, le symbole met, au passage, un peu de baume sur les plaies. Au générique de fin, sur une composition inédite du chanteur franco-algérien Slimane, Hassan Guerrar dédie son film « aux binationaux ».


Barbès, little Algérie. Film de Hassan Guerrar. Avec Sofiane Zermani, Khalil Ben Charbia, Clotilde Courau, Khaled Benaïssa, Eye Haïdara, Soolking…  France, 2024.

Durée: 1h33
En salles, le 16 octobre 2024

En 2027, tout ce qu’il ne faudra pas faire et être…

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Emmanuel Macron le soir de son élection, au Louvre, le 7 mai 2017 © DAVID NIVIERE/SIPA

Avant même l’échéance de 2027, il convient de remercier Emmanuel Macron pour les enseignements qu’il prodigue, souvent contre son gré, depuis 2017. Grâce à lui on sait précisément ce que les futurs candidats à l’élection phare de notre vie démocratique devront ne pas faire, ne pas être.


Je parie – et j’espère – que la gauche et l’extrême gauche seront hors-jeu au second tour. Je rejoins Alexis Corbière qui a déclaré sur Sud radio que Jean-Luc Mélenchon, s’il était qualifié pour la joute finale, serait nettement battu par Marine Le Pen[1].

Le casting pour 2027 se précise

Je m’en tiendrai, même si la liste n’est pas exhaustive, à la « bataille qui vient » pour l’après-Macron, selon le titre du JDD (voir ci-dessous), et qui pourrait mettre aux prises Gabriel Attal, Édouard Philippe, Michel Barnier, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin. Il convient d’y ajouter au moins Xavier Bertrand, David Lisnard et Laurent Wauquiez, le Rassemblement national étant assuré, autant qu’on peut l’être dans notre démocratie déboussolée, d’être présent lors de l’emballage terminal.

Aussi bien, tant lors de la campagne que du mandat présidentiel, il y a un certain nombre de commandements et de principes qui devront être respectés, la plupart à rebours de ce que le météore Macron, si décevant ensuite, aura diffusé depuis 2017.

Ras-le-bol des « révolutionnaires »

D’abord ne pas promettre la révolution. On n’en veut pas et elle tombe vite en quenouille si on y croit le temps d’une illusion.

Ensuite ne pas s’imaginer que président, on est devenu le roi du monde et qu’on doit traiter de haut tous ceux qui vous entourent, classe politique comprise dans toute sa palette d’opinions.

Préférer aussi les actes aux mots et ne pas multiplier les discours alternatifs, contradictoires ou flatteurs par démagogie ou par manque de convictions stables.

Admettre que la vertu essentielle est le courage. Si on l’a, la développer, l’amplifier, si elle manque, tenter d’en faire preuve, en souhaitant que la fonction vous transcende.

Ne pas flatter au-delà de toute mesure les dirigeants étrangers en traitant avec causticité son propre pays.

Ne pas compter sur sa seule séduction pour l’emporter dans les multiples rapports de force mondiaux que la France doit affronter. Elle ne sert à rien. Pendant que l’un fait le beau, les autres avec réalisme voire brutalité, sauvegardent leurs intérêts et gagnent leurs arbitrages.

Moins un pouvoir est ostentatoire, plus il est respecté

Ne pas prendre des décisions, nommer des proches ou choisir des ministres sous l’unique inspiration d’un désir de se distinguer même absurdement au lieu de, tout simplement, faire fond sur le bon sens, l’assentiment populaire, la compétence et l’honnêteté.

Refuser la vulgarité et privilégier l’allure, qui n’est ni repli sur soi et son pré carré ni surabondance narcissique et médiatique. Se rappeler que moins un pouvoir est ostentatoire, plus il est respecté. Que les Français aspirent à un président à la fois comme eux et le contraire d’eux : une personnalité digne d’estime pour tous même si sa politique ne plaît pas à tous.

Tenir ses engagements et ne pas considérer que les trahir relève seulement d’un pragmatisme intelligent : ce peut être l’effet d’un caractère défaillant, d’une personnalité peu fiable.

Honorer l’institution judiciaire même quand elle s’attache à vous-même, à l’un de vos proches, l’un de vos affidés. Accepter l’idée qu’exercer le pouvoir ne rend pas forcément la morale superfétatoire. La placer au centre de tout.

Ne pas attendre la fin de son mandat pour se réveiller sur le plan régalien. La France en péril n’est pas une expression toute faite : une réalité qui impose des armes autres que les hommages, les bougies, les marches blanches et les cérémonies post-mortem.

Ne pas confondre, dans la vie internationale, ses amis avec ses ennemis. Il y a des pays avec des défauts qui valent pourtant bien mieux que d’autres. On ne doit pas mélanger les boucliers avec les glaives.

Ne pas s’illusionner et se vanter d’avoir toujours raison, même en cherchant désespérément à justifier des choix politiques aberrants. Réfléchir d’abord pour ne pas risquer de les effectuer.

Ne pas être jaloux des personnalités qu’on a voulues auprès de soi et qui prennent trop la lumière, ne pas faire peser sur les ministres une responsabilité qui est la sienne. Ne jamais se laver les mains des fiascos qu’on a créés.

Ne pas songer dès le premier jour de son mandat au suivant : méthode redoutable pour faire échouer le premier et éventuellement le second.

Ne pas se laisser influencer par une épouse, un ami, des réseaux, des considérations délétères, ne pas avoir peur de ne compter que sur soi puisque la légitimité présidentielle n’a été dévolue qu’à vous.

À partir de tout ce dont Emmanuel Macron devra nous détourner, qui mériterait de l’emporter ? Il y a ceux clairement à laisser de côté, les faux durs, les vrais mous, ceux qui portent encore trop de leur passé dans le présent d’un côté. Et de l’autre ceux qu’on néglige, qu’on prend de haut, ceux qui ne sont pas obsédés par 2027 parce que l’état de la France est leur angoisse maintenant, tous les jours, ceux qui sont sincères quand ils affirment ne pas ressentir cette ambition pour le futur. Je vous laisse deviner.

Merci à Emmanuel Macron qui se voyait comme un modèle et finit comme un contre-exemple.


[1] https://x.com/SudRadio/status/1847172079759548881

Du passé, l’Occident fait table rase

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Le sociologue Frank Furedi photographié à Budapest en 2022 © Tibor Illyes/AP/SIPA

Les archéologues du grief qui veulent nous débarrasser du passé deviennent invariablement et paradoxalement ses prisonniers, observe le sociologue Frank Furedi, dans un livre qui s’attaque aux idéologies décoloniales en vogue et à la « cancel culture ».


Frank Furedi est un sociologue britannique d’origine hongroise, professeur émérite à l’université de Kent. Il a entrepris l’écriture de son livre[1] après avoir assisté, à distance, au déboulonnage de la statue d’Abraham Lincoln à Portland en octobre 2020, par une foule lyncheuse cherchant à prendre sa revanche sur le présent en esquintant le passé. Malgré l’absence de coordination et de déclaration de guerre, c’est bien d’une guerre contre le passé qu’il s’agit. Jonathan C.D. Clark, dans Our Shadowed Present (2004), voit dans cette attaque du passé une entreprise de « déshéritement historique ». Frank Furedi parle d’archéologie des griefs pour décrire ce processus de délégitimation du passé qui vise à le reconditionner en fonction des valeurs et objectifs des politiques identitaires actuelles. Les enfants et adolescents sont les cibles principales de cette entreprise d’éloignement moral de l’héritage culturel, favorisée par un « climat » culturel qui rencontre peu de résistance. Les élites occidentales ont peu fait pour défendre leur héritage historique. Elles l’ont souvent renié et ont été à l’avant-garde de son éradication.

Un long processus de détachement du passé

Jusque récemment, la gauche et la droite cherchaient à interpréter le passé pour nourrir leur idéologie, en y cherchant des traces validant leurs positions. Au 19ème siècle, le passé cessa d’être vu comme une réserve de solutions pour le présent, avec l’émergence d’un culte de la jeunesse qui s’est vite imposé au tournant du 20ème siècle. On perçoit alors le passé comme un obstacle à la poursuite du progrès et l’on se prend à rêver d’un nouveau monde, remodelé selon des principes scientifiques. Après l’hécatombe de la Première Guerre mondiale l’histoire, pour les élites, n’avait plus rien de positif à dire à la société. Les idéaux et valeurs dans lesquels elles avaient été socialisées avaient perdu tout sens. Durant les premières décennies du 20ème siècle, gauche et droite firent, chacune à leur manière, la promotion d’un homme nouveau (Trotski et Hitler). La distanciation du passé fut graduelle jusqu’à la fin des années 1960, mais, avec les années 1970, les attaques se firent plus explicites.

Frank Furedi découpe cette évolution en quatre phases :

  • Perte de pertinence du passé pendant le 19ème siècle ;
  • Le passé est un obstacle au présent : idée qui apparaît à la fin du 19ème siècle, gagne en influence après la Première Guerre mondiale et trouve un nouvel élan après la Seconde ;
  • Le passé est principalement malveillant : dans les années 1960-70 se développa une méfiance à l’égard du passé qui fut redirigée vers le statut d’adulte avec, en parallèle, une obsession de l’identité. La montée de la contre-culture des années 1960 fut propice à la dévalorisation du passé ;
  • Le passé représente un danger : Il serait une menace pour le présent. Tout est à jeter jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (Bald Old Days). 1945 est, en quelque sorte, l’année zéro. Mais ce passé continuerait de contaminer le présent et de blesser les minorités. En cherchant dans le passé les sources d’un malheur actuel, on le réintroduit dans le présent, tout en prétendant s’en détacher. C’est tout le paradoxe de vouloir à la fois rompre avec le passé et lui régler son compte.

L’idéologie « Année Zéro »

Dans le passé, cette idéologie désignait la naissance de quelque chose de nouveau. Ce fut l’objectif de la Révolution française, de celle des Khmers rouges en 1975 et d’une certaine manière de la Révolution américaine qui voulait créer un nouveau monde. Aujourd’hui cette idéologie a tourné son regard vers l’arrière. Elle cherche à éliminer les influences du passé et à s’en venger au nom des maux contemporains qu’il aurait engendrés. Le mouvement décolonial, qui réduit l’héritage occidental à une histoire de domination et d’oppression, est l’agent le plus performant de propagation de l’idéologie « Année Zéro ». Aristote n’aurait été qu’un raciste qui continue de sévir, la Déclaration d’indépendance des États-Unis, une charte d’esclavagistes, le colonialisme, le précurseur de la Shoah… C’est un mouvement qui résonne avec l’esprit du temps et a muté dans une rhétorique pouvant s’appliquer à n’importe quoi. Il a même servi à justifier les massacres d’Israéliens le 7 octobre 2023.

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La continuité historique, cet élément décisif de la construction identitaire, est devenu un fléau et son rejet n’est plus réservé à une élite progressiste. La création de l’Union européenne a concrétisé cette idéologie « Année Zéro » sans avoir à en parler tant celle-ci était déjà prégnante, bien avant le mouvement décolonial et la guerre culturelle.

Anachronisme et présentisme, outils de fabrication d’un éternel présent

L’anachronisme marche dans les deux sens, soit pour légitimer le présent, soit pour condamner le passé. Il lit l’histoire à l’envers et ne voit dans le passé que son reflet. Il transporte des concepts à la mode dans des époques où ils n’avaient aucun sens. Ainsi, la tenue de Jeanne d’Arc aurait-elle manifesté son identité non binaire[2] ! Il arrive que des archéologues refusent de classer par sexe des os, car ils ne savent pas comment les gens à qui ils appartenaient se seraient identifiés eux-mêmes. Certaines œuvres se voient soumises à une réécriture. Ce fut le cas du Titus Andronicus de Shakespeare, mis en scène au Globe Theatre de Londres en 2023, par Jude Christian. Ce dernier avait à cœur de dévoiler le racisme masqué par la langue de Shakespeare. En manipulant l’histoire de manière sélective, les théoriciens critiques de la race ont cherché à faire de la blanchité (whiteness) un crime culturel perpétuel.

Le présentisme[3] coïncide avec l’érosion de l’orientation positive vers l’avenir des sociétés occidentales et permet de recycler les inquiétudes contemporaines. Le passé n’est qu’un appendice du présent. Le présentisme permet de cultiver une supériorité morale à défaut d’aider à redresser les injustices actuelles. Richard Dworkin parle à ce propos d’anachronisme moral. L’histoire devient un instrument d’autosatisfaction narcissique. En faisant de leur métier une archéologie des griefs revenant à confirmer leurs a priori, dans une grotesque parodie de justice, les historiens présentistes anéantissent toute idée de progrès. C’est aussi le présentisme qui nourrit la culture de l’annulation. Il fait de l’héritage historique un terrain de jeu pour militants narcissiques en colère. Ainsi, l’élu local « Vert », Ian Driver, se filma-t-il en train d’écrire sur le mur du Musée Charles Dickens : « Dickens racist » !

Politisation de l’identité

Le passé a été transformé en un territoire sans frontières où les injustices attendent qu’on les découvre pour valider l’autorité des groupes se déclarant victimes. C’est dans les années 1950 que l’identité devint un idiome récurrent permettant de se comprendre soi-même. C’est aussi la période pendant laquelle le sens de la continuité morale céda le pas à un sentiment de déconnexion. Les sociétés occidentales n’ont plus de récit convaincant pour socialiser les enfants, d’où le développement de crises identitaires chez les jeunes. Avec les années 1970, l’identité individuelle fusionne avec l’identité groupale qui exige une reconnaissance continuelle dans les institutions et les rituels. L’obsession même de l’identité est un symptôme d’insécurité. La demande de reconnaissance et la recherche d’injustices historiques, comme forme de thérapie collective, sont donc sans fin. À partir de la fin des années 1980, s’y ajouta la demande d’invalidation de l’identité des opposants soutenue par le mouvement décolonial qui connut un certain succès grâce à l’appui des élites culturelles et économiques occidentales. Ces dernières se sont volontairement distanciées du passé et ont adopté des programmes DEI (diversité, équité, inclusion). Il est courant que certaines institutions prestigieuses s’échinent à rechercher leurs méfaits passés. Ainsi, dans son rapport de 2020, le National Trust, qui a en charge la conservation du patrimoine, dresse, à propos de Chartwell, l’ancienne résidence de Winston Churchill, un portrait très négatif de son propriétaire: un méchant impérialiste sans cœur. Ce dernier fut d’ailleurs traité de nazi par le mouvement Black Lives Matter. Comme avec Shakespeare, s’en prendre à Churchill, c’est viser l’identité britannique. De même, il n’y aurait rien à retenir de la démocratie athénienne si ce n’est son oppression des femmes, sa masculinité toxique et sa pratique de l’esclavage.

Le concept de blanchité, aujourd’hui d’usage courant, fut inventé par les théoriciens critiques de la race qui racialisent l’histoire et éternisent ainsi l’identité des blancs en lui donnant une connotation négative. D’ailleurs, « trop blanc » est une expression devenue synonyme de toxique, répugnant, problématique. C’est ainsi que l’identité juive est perçue comme une identité hyper-blanche, perception à l’origine d’un antisémitisme propre au 21ème siècle. Un privilège juif serait ainsi une déclinaison du privilège blanc.

La politisation des identités conduit chaque groupe identitaire à se découvrir dans les contextes les plus improbables. On impose ainsi à des morts une identité qu’ils sont bien en peine de contester. Comme l’écrit Frank Furedi, même les Soviétiques n’ont pas osé faire de Spartacus un commissaire politique en puissance. Cette recherche de validation identitaire incessante dans le passé perpétue un état de souffrance qui empêche toute réconciliation avec ce qui vous arrive sous peine d’annihilation.

Le contrôle de la langue pour invalider le passé

Si les langues évoluent avec le temps, c’est autre chose d’imposer des mots de l’extérieur pour transformer la vision que les gens ont du monde. Déclarer inacceptable l’usage de certains mots affecte la capacité de se souvenir de ce qu’ils signifiaient. C’est remettre en cause les valeurs culturelles qu’ils exprimaient et contribuer ainsi à une amnésie sociale visant à transformer les attitudes culturelles et les normes en vigueur. Frank Furedi raconte son expérience de la chose lorsqu’il se rendit à l’hôpital où sa mère avait été conduite après un AVC. Alors qu’il se présenta comme son fils, il fut enregistré comme « carer » (aidant). L’archevêque de York, lui-même, trouve problématique le début de la prière « Au nom du père ». Elle pourrait rappeler les pères abusifs !

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Certains mots sont ainsi déclarés « outdated », c’est-à-dire périmés. Mais cette qualification a elle-même pris une tonalité morale synonyme d’offensant, de problématique. Des guides des bons usages linguistiques, proposant des listes de mots préférés à ceux jugés problématiques, se sont multipliés. La Colombie britannique considère que mégenrer quelqu’un est une violation des droits humains pouvant conduire à la perte de son emploi. Sont déclarées problématiques des œuvres parce que vieilles. Si bien qu’elles sont de plus en plus souvent accompagnées d’avertissements inutiles et infantilisants. Ainsi prévient-on le lecteur potentiel de The Sun Alson Rise d’Hemingway paru en 1926 que ce livre « reflète les attitudes de l’époque ». Comment pourrait-il en être autrement ? Certains livres sont rangés dans des lieux inaccessibles, ou carrément supprimés des bibliothèques, quand ils ne sont pas réécrits lors de nouvelles éditions. Les livres pour enfants sont particulièrement visés avec des avertissements qui les empêchent de se faire une idée par eux-mêmes et les conditionnent. Cela vaut pour la déclaration d’Indépendance des États-Unis qui exprimerait des vues périmées, biaisées et offensantes, laissant croire ainsi que la nation a été viciée dès son origine. À l’Université Brandeis, le mot « picnic » a été banni pour avoir été associé au lynchage des Noirs. En Australie, en 1995, dans la crèche de l’université La Trobe, 20 mots ont été bannis, dont « garçon » et « fille ». Tout usage de ces « mots sales » entraîne une amende à glisser dans une boîte à cet usage. Au Royaume-Uni, une association de lutte contre le cancer a décidé de renommer le vagin « bonus hole » (trou de la prime ?)!

Cette entreprise d’estrangement par la langue, qui fausse la capacité à se rappeler du passé, de son enfance, fait obstacle à la communication entre générations.

Déshériter les jeunes de leur passé

Pour John Dewey en 1922, comme pour ses disciples aujourd’hui, il fallait libérer l’éducation du passé et apprendre, au contraire, aux enfants à contester des normes et pratiques dépassées. Le psychiatre Brock Chisholm, premier directeur de l’OMS de 1948 à 1953, voulait qu’on libère les enfants du poids du contrôle des adultes qui s’étaient tellement trompés. Avec la déclaration de guerre au passé du tournant du 21ème siècle, les écoles ont connu un degré d’endoctrinement sans précédent qui a peu attiré l’attention, restée concentrée sur la culture de l’annulation. Il a fallu le confinement, lors du Covid, pour que les parents se rendent compte de l’étendue de l’endoctrinement de leurs enfants, que l’on encourage à se croire plus éclairés que leurs parents arriérés. Aux États-Unis, des parents se sont mobilisés et ont fini par gagner des soutiens politiques. En 2021, la révolte des parents en Virginie a conduit à la défaite électorale du gouverneur démocrate Terry McAuliffe.

Le « décolonialisme » a envahi les salles de classe, au détriment de la littérature classique, mais pas seulement. Pas de pause lors des repas à la cantine pendant lesquels on explique aux enfants l’origine des aliments. À Londres, le National Education Union a déclaré en 2021 qu’il fallait décoloniser tous les sujets à tous les niveaux, y compris les sciences qui doivent être l’occasion pour l’enfant d’explorer son identité. Charles Clarke, ancien Secrétaire d’Etat à l’éducation du Labour, déclarait en 2003 à l’University College de Worcester que l’histoire médiévale était un gaspillage d’argent public. Un critère de pertinence a ainsi remplacé l’idée selon laquelle l’étude du passé était un moyen de cultiver une vue commune du monde. L’emphase mise sur l’expérience vécue par les élèves conduit à leur enseigner une version du passé qui reflète leur vie présente au lieu d’apporter des réponses aux questions qu’ils ne se sont pas encore posées.

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Pire, il ne suffit pas d’éloigner les enfants du passé, il faut leur apprendre à le noircir et à s’en méfier. Dans leur rapport fondé sur une enquête auprès de 300 enseignants britanniques, les chercheurs Michael Hand et Jo Pearce préconisent de présenter le patriotisme comme une question controversée. Pour certains historiens, la fierté qu’éprouvent les Britanniques à propos du comportement de leur pays pendant la Deuxième Guerre mondiale reposerait sur un mythe. Comment s’étonner alors que des élèves de l’école Pimlico Academy au sud de Londres aient demandé et obtenu en 2021 que soit enlevé l’Union Jack. Ils furent même félicités par le directeur qui les a trouvés courageux et intelligents !

Pour l’historien Yuval Noah Harari, l’Ancien Testament serait la source de l’irresponsabilité environnementale. Dans The Guardian, en 2022, il déclarait qu’apprendre l’histoire devrait servir à s’en libérer et non à s’en souvenir. On est loin de la conception de Gibert K. Chesterton pour qui « l’éducation est simplement l’âme d’une société qui passe d’une génération à la suivante » (The Observer, 6/7/1924).

Dans la conclusion de son livre, Frank Furedi met en garde contre cette guerre contre le passé : « Paradoxalement, ceux qui veulent se débarrasser du passé deviennent invariablement ses prisonniers ». Se priver de la perspicacité acquise au fil des essais et erreurs des siècles précédents, c’est remettre en cause le statut de l’humanité tout entière. Si tout a été mauvais avant pourquoi en irait-il autrement dans l’avenir ? Cette diabolisation du passé favorise un éloignement de la sensibilité humaine et, dans ses formes les plus extrêmes, la perception de l’humanité comme une nuisance menaçant la survie de la planète. Elle conduit aussi au fatalisme et à la dilution de la notion de responsabilité.

Au purgatoire présentiste, les gens ont du mal à forger les liens essentiels à la solidarité sociale. Et, « quand on oublie ce qui nous a fait, ce que nous sommes et ce qui nous lie, la société ne peut malheureusement que se fragmenter et se polariser. » Le passé représente un fonds d’expérience humaine à travers lequel l’humanité a été forcée de se confronter aux horreurs dont elle porte la responsabilité mais il est aussi une source d’apprentissage à faire le bien. C’est en Europe que les idées de liberté et de libre arbitre ont pris racine. Bien des figures historiques critiquées aujourd’hui furent déterminantes dans le développement d’un comportement civilisé associé à l’épanouissement moral de l’humanité. Notre monde d’aujourd’hui est bien plus influencé par l’esprit démocratique d’Athènes que par son recours à l’esclavage.

Cet héritage doit être protégé de l’assaut des archéologues du grief à la recherche d’une punition collective. « Notre rôle est d’apprendre des expériences passées et pas de les soumettre à une expérimentation idéologique et politique rétrospective […] Les jeunes qui grandissent avec un lien fragile et trouble du passé sont les pertes humaines de la guerre contre le passé ».

Avec un livre pareil, il n’y avait aucune raison pour que Frank Furedi échappe à la culture de l’annulation. Alors qu’il devait venir présenter son livre dans la librairie PiolaLibri à Bruxelles, il reçut un email du libraire annulant l’événement. Ce dernier ne pouvait avoir lieu en raison des connotations politiques qu’il aurait nécessairement prises, contraires à la vocation inclusive de la librairie[4] ! Manifestement pas pour tous les points de vue.

THE WAR AGAINST THE PAST Why the West Must Fight For Its History, Frank Furedi, Polity, 2024, 382 p.

The War Against the Past: Why the West Must Fight for Its History

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Cet article a été publié sur le blog de Michèle Tribalat.


[1] THE WAR AGAINST THE PAST, Why the West Must Fight For Its History (Polity, 2024)

[2] Il en irait de même du roi Arthur, héros légendaire de la littérature occidentale, LGBTQ avant l’heure, d’après un Conseil régional gallois. Il se serait déguisé en fille pour approcher une jeune fille. « Queering the Past », Mark Tapson, Frontpage Magazine, 21/10/2021.

[3] D’après Frank Furedi, ce concept aurait été inventé par François Hartog en 2017. Rappelons néanmoins que ce dernier eut un précurseur : Pierre-André Taguieff, dans son livre L’effacement de l’avenir, publié en 2000 aux éditions Gallilée.

[4] https://www.spiked-online.com/2024/09/26/why-did-a-brussels-bookshop-cancel-my-book-launch

Incendies, pillages, tirs: en Martinique, la colère vire à la délinquance pure

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Le militant Rodrigue Petitot, Martinique, 19 octobre 2024 © Manuel JEAN-FRANCOIS/SIPA

À la tête de la contestation martiniquaise, Rodrigue Petitot, dit « le R » (notre photo), profite des aspirations légitimes de la population pour servir un agenda « décolonial » avec le soutien de… l’Azerbaïdjan.


La Martinique connaît depuis le 1er septembre de violentes manifestations contre la vie chère. Rien ne semble pouvoir ramener le calme dans cette Collectivité territoriale caribéenne présidée par Serge Letchimy. Si l’État a formulé des annonces majeures mercredi 16 octobre, une partie des manifestants s’emploie toujours à faire basculer le mouvement vers la révolte insurrectionnelle.

Des prix 40 % supérieurs à ceux de la métropole

L’Etat tente depuis plusieurs années de résorber les difficultés posées par le coût de la vie dans les Antilles, notamment en Martinique. Selon l’INSEE, les prix des denrées alimentaires y sont en moyenne de 40% supérieur à ceux pratiqués dans la métropole. Les spécialistes des outremers s’attendaient donc à de nouvelles manifestations, puisque l’environnement macroéconomique est défavorable ainsi que le contexte géopolitique global. Il y a 15 ans, le K5F (Comité du 5 février) plongeait l’île dans la grève générale autour de ces questions de pouvoir d’achat. Le mouvement dura plusieurs mois, fut émaillé par des pénuries et des rationnements qui ont traumatisé les commerçants locaux, et ne s’était achevé qu’après la conclusion des accords du 14 mars 2009 instaurant une hausse de 200 euros des salaires les plus modestes.

Afin d’éviter la renaissance d’un mouvement comparable, l’État réunissait en décembre 2023 un séminaire de lutte contre la vie chère. Il a permis notamment de déterminer que les acteurs de la grande distribution ne détenaient pas la clé du problème puisque leurs prix ne dépendent pas de leurs marges, mais avant tout des coûts de transport, des grossistes ou encore… de la fiscalité. Il faut dire que l’octroi de mer n’est plus fléché correctement. Originellement pensé au XVIIème siècle, cette taxe spécifique aux « colonies » d’alors ne prend pas en compte les évolutions des habitudes de consommation des Martiniquais d’aujourd’hui. Est-il normal que le coût de produits de première nécessité soit près du double en Martinique alors que les téléphones mobiles sont au même tarif ?

Il y a donc des chantiers sur la table et des solutions concrètes en mettre en œuvre. Le footballeur Thierry Henry l’a lui-même rappelé dans un appel émouvant : « Je veux envoyer mon soutien aux gens en Guadeloupe et en Martinique. Je ne sais pas si vous le savez, mais la vie est chère là-bas. C’est la France, au passage. Ce n’est pas un État géré par la France, c’est la France. Le prix des produits alimentaires dans les magasins est deux, trois, quatre ou cinq fois plus cher qu’en métropole ».

Pourtant, si le constat est sans appel, la solution ne saurait se trouver chez Rodrigue Petitot et sa bande.

Sur le site du France-Antilles, des habitants font part de leur mécontentement.

Rodrigue Petitot : un profil d’agitateur

À l’image d’autres révolutionnaires professionnels dont on a pu mesurer l’influence en France ou en Nouvelle-Calédonie ces derniers mois, Rodrigue Petitot profite de la crise et du désespoir des Martiniquais pour semer le chaos. Condamné à quatre reprises dans des affaires de trafic de drogue dont la dernière remonte à 2016, Monsieur Petitot a aussi été quatre fois emprisonné dans l’Hexagone. Il a ainsi passé une dizaine d’années derrière les barreaux. Comment peut-il être aujourd’hui un interlocuteur crédible pour l’État et les autorités locales alors que son profil comme ses discours, aux forts relents de racisme, témoignent d’une personnalité aussi instable que violente ?

Principal responsable de la flambée de violence qui terrifie les habitants de l’île, Rodrigue Petitot est aussi le spécialiste des discours de haine à destination des « beckés » qui sont les Martiniquais d’ascendance européenne installés de longue date sur l’île. Une population qui sert de bouc-émissaire récurrent dès que les Antilles sont en proie à des crises sociales.

Le mouvement né en septembre n’a du reste rien de spontané, mais semble bien avoir été préparé de longue date puisque le « Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens » (RRPRAC) a été créé sous statut d’association le 15 juillet 2024 avant de connaître une stupéfiante montée en puissance. Un hasard de calendrier étonnant puisque le Groupe d’initiative de Bakou réunissait des militants indépendantistes ultramarins français le 18 juillet en Azerbaïdjan. Présenté comme un « Congrès des colonies françaises », ce sommet était officiellement organisé par l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe avec la participation de vingt partis politiques séparatistes, dont des Néo-Calédoniens, des Corses ou encore… des Martiniquais.

Marie-Laurence Delor exprime avec une certaine colère sur Mediapart les manipulations politiques entourant les mouvements de protestation en Martinique : « On s’est aussi un peu soucié de la dénomination de l’association : « Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro caribéens ». Elle dit explicitement un parti pris négriste, une définition étriquée de l’identité dans des sociétés fortement métissées et pluriraciales : ceux qui n’ont pas d’ascendance africaine sont ainsi irrémédiablement exclus, effacés… » Pis encore, elle ajoute la chose suivante : « Parler comme le font les médias et l’administration préfectorale de « violence, de pillage et de déprédation en marge du mouvement » est une grave erreur de lecture. La violence, le pillage et les déprédations sont en réalité au cœur de cette parodie de révolte : pour mobiliser les voyous il faut, en effet, leur donner la garantie d’y trouver leur compte »[1]

Nous sommes donc en face d’un mouvement sous faux drapeau. Des voyous racistes agglomérés autour d’une personnalité charismatique et violente s’organisent pour racketter la collectivité martiniquaise, ses habitants et l’État. Ils ne gagneront évidemment rien de concret pour la population qui y perd déjà avec les incendies criminels, vols, destructions, pillages et violences qui ensanglantent la Martinique depuis le mois de septembre. Une fois de plus, l’État doit faire preuve d’autorité et de fermeté en mettant un terme aux agissements de gangs présentés en « syndicats » qui n’ont d’autres intérêts que ceux de leurs chefs.

Mais cette fermeté doit aussi s’accompagner de mesures ciblées, concrètes et intelligentes pour améliorer les conditions de vie des Martiniquais. C’est ce que l’État a fait le 16 octobre avec l’engagement pris avec les distributeurs de baisser de 20% en moyenne les prix de l’alimentaire. Bien entendu, le RRPRAC a refusé l’accord pourtant arraché de haute lutte par les acteurs martiniquais les plus engagés. Rodrigue Petitot a même appelé à poursuivre le mouvement de violences, ayant trop à perdre à l’arrêt des émeutes…


[1] https://blogs.mediapart.fr/marie-laurence-delor/blog/300924/vie-chere-une-lecture-critique-des-troubles-en-martinique

Passez la Monnaie

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La ministre de la Culture Rachida Dati photographiée à Paris le 23 octobre 2024 Gabrielle © CEZARD/SIPA

Reconduite à la Culture, Rachida Dati fourmille de nouvelles idées. Le projet de faire payer l’entrée de Notre Dame pour financer l’entretien de nos églises est toutefois âprement commenté…


Rachida Dati est une femme qui sait ce qu’elle veut. Et ce qu’elle veut, c’est la mairie de Paris. Aussi s’efforce-t-elle avec une belle opiniâtreté et le flamboyant culot qu’on lui connaît de marquer la capitale de son empreinte avant l’échéance électorale de 2026. D’où sa soudaine ardeur à voir se réaliser le projet présidentiel de création d’une Maison des Mondes Africains à Paris. L’idée remonterait à 2021 mais serait dormante, si ce n’est moribonde, depuis lors. Il était donc grand temps de la revitaliser, d’autant que se mettre dans la poche le vote communautaire lié à ces Mondes n’est pas totalement idiot, relativement à l’échéance susmentionnée… Bien entendu, l’idéal aurait été de pouvoir lorgner du côté du Monde Arabe, mais le truc a déjà son gourou bienfaiteur, l’indéboulonnable Jack Lang qui s’accroche à cette sinécure comme une huître à son rocher. Il faudra donc se contenter des Mondes Africains. C’est toujours cela. Le projet n’est pas nouveau, disions-nous. Il aurait été inspiré par un personnage, un intellectuel camerounais, précise le journal le Monde, qui, dans un rapport remis au président Macron préconisait la création d’une telle institution, assurant que cette initiative améliorerait considérablement les relations entre l’Afrique et la France. Surtout, je présume, si cet intellectuel très inspiré en devenait le Jack Lang. Malin, non ?

Oh Dja dja

Ce qui serait nouveau et en quoi il conviendrait de saluer l’apport de Mme Dati dans ce dossier, serait le lieu d’implantation de cette structure dont l’urgence, la nécessité, la pertinence n’échapperont évidemment à personne. Ce lieu semble bien devoir être l’Hôtel de La Monnaie – une aile aujourd’hui espace d’exposition – à Paris évidemment, quai Conti, à deux pas de l’Académie Française dont on se dit en la circonstance qu’elle l’a échappé belle. Pour que le lecteur puisse bien situer l’endroit, qu’il se reporte aux images de la cérémonie inaugurale des Jeux Olympiques. L’Académie Française est le bâtiment qu’on voit en arrière-plan d’Aya Yakamura invitée pour l’occasion à chanter et se trémousser juste devant,  ce qui augurait peut-être, au train où vont les choses, de sa prochaine admission officielle en grande pompe sous la coupole, habit vert bien rempli, mignonnette épée au côté et « Dja Dja, j’suis pas ta catin » remastérisé en alexandrins.

A lire aussi: Une girouette nommée Zineb

Voyez ce que c’est tout de même que l’association d’idées. Restant connectée monnaie, Mme la ministre en est arrivée tout naturellement à l’expression, elle aussi d’usage courant en politique du côté de Bercy notamment, de « Passez la monnaie ». Faire payer les visites touristiques à Notre Dame. Un esprit tortueux ne s’interdirait pas de voir dans cette démarche-là également un arrière-fond de préoccupation électorale. Séduire le parisianisme laïcard bobo, voilà qui n’est pas maladroit. Ces esprits très forts qui s’étranglent lorsqu’ils voient les sous de la République aller comme se fondre dans l’eau du bénitier. Bercy applaudit, semble-t-il au projet visant l’Hôtel de la Monnaie. Nul doute qu’il ne se réjouisse aussi de la trouvaille de Mme Dati concernant Notre Dame dont un des avantages, et non le moindre, reviendrait à se défausser sur les touristes – quid des croyants venus prier, des sans divinité fixe venus s’immerger quelques instants en spiritualité ? – s’exonérer, disais-je, de la charge d’entretien et de restauration qui incombe à l’État ou à ses succursales, si on peut ainsi s’exprimer. Cela est très clairement inscrit dans le marbre de la loi – loi de 1908 – en l’occurrence : « La propriété des lieux du culte s’accompagnera pour l’État, les départements, les communes d’engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété est reconnue par la présente loi. »

Déchristianisation terminale de la France

On ne peut énoncer plus clairement les devoirs et responsabilités en la matière. Il n’y aurait donc même pas à chercher plus loin que la loi de la République pour reléguer la grande idée de taxer l’entrée d’un lieu de culte (qui plus est lieu d’asile par excellence, cela depuis l’origine, soit dit en passant) dans la poubelle sans fond des agitations électoralistes mort-nées.

Cela dit, la conjonction des deux actualités me paraît très symptomatique du dévoiement intellectuel et culturel de l’actuelle pensée d’État. Investir dans une utopique – et démagogique – Maison des Mondes Africains tout en abandonnant à d’autres la préservation d’un monument dont il ne serait ni irrévérencieux – ni en aucune manière réducteur – de le considérer comme la Maison des Mondes Occidentaux, montre fort bien à quel point de renoncement, d’abandon, d’acculturation nous sommes arrivés.

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Un « Monde » sans pitié

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« L’infiltration » du Hamas en territoire israélien du 7 octobre 2023. DR.

Le Monde dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne, jusque dans la couverture des massacres du 7-Octobre. Une lecture mot à mot et entre les lignes s’impose.


Cela ne se discute pas. Avec ses 500 000 abonnés en ligne, son équipe de 500 journalistes et ses quelque 18 millions d’euros engrangés en 2023 au titre des aides publiques à la presse, Le Monde est ce qu’il convient d’appeler un grand quotidien. Un journal de référence, comme on dit, lu chaque jour par tous les ministres de la République, tous les parlementaires et tous les directeurs de la presse parisienne. Autant dire que son traitement de l’actualité au Proche-Orient est crucial. D’autant que peu de rédactions peuvent se payer comme lui des correspondants permanents sur place. Résultat, sur cette question brûlante, nombre d’organes de presse subissent de façon disproportionnée l’influence du quotidien vespéral.

Se doutent-ils que la ligne de leur journal favori est, sur la politique israélienne, nettement moins centriste qu’elle ne l’est en matière de politique française ou américaine ? Et que, dès que l’on se rapproche de Tel-Aviv, elle rejoint en réalité les positions de l’extrême gauche ? Certes, ce parti pris n’est jamais avoué clairement. Il faut parfois avoir l’ouïe fine pour entendre la petite musique anti-israélienne jouée tous les jours dans les pages consacrées au Proche-Orient. Si l’on veut comprendre comment fonctionne cette mécanique sémantique de précision, une analyse mot à mot est souvent nécessaire. Décortiquons ci-dessous sept phrases typiques de la prose du Monde, extraites de divers articles parus dans ses colonnes depuis le 7 octobre.

A lire aussi, Céline Pina: Boniface: géopolitologue d’apparence?

« Lors de son opération “Déluge d’Al-Aqsa”, débutée le 7 octobre, le groupe islamiste du Hamas a infiltré plusieurs centaines de ses combattants en territoire israélien, tuant sur place ou prenant en otage des membres des forces de sécurité et des civils. »

Benoit Le Corre et Pierre Lecornu

Trois jours après les exactions du 7 octobre, le doute n’est plus permis. Selon d’innombrables sources présentes sur place, un massacre de dimension inédite vient d’avoir lieu sur le territoire de l’État hébreu, avec pour objectif d’assassiner un maximum d’Israéliens. Les terroristes sont rentrés par milliers (en non par centaines) dans le district Sud à bord de camions, jeeps, motos, vedettes rapides et parapentes. Un véritable déluge, comme l’indique très bien le nom de code choisi par les cerveaux de l’opération. Mais au Monde, lorsqu’il s’agit de rassembler les faits dans un papier de synthèse, pas question d’employer les grands mots, ni d’étaler trop de pitié pour les victimes. Sans doute pour ne pas donner l’impression d’avoir une quelconque sympathie envers l’État juif. On remarquera aussi un certain penchant pour un vocabulaire tout en retenue. Prenez le verbe « infiltrer », par exemple. Selon le Larousse, il signifie, du moins quand il est appliqué à des êtres humains : « Se glisser quelque part, y pénétrer furtivement. » L’arrivée en nombre de soudards surexcités, tirant sur tout ce qui bouge, violant des femmes et éructant de joie, peut-elle être décemment qualifiée de furtive ? Autre détail qui dit tout de l’égarement du journal : son souci d’indiquer les pertes telles qu’elles ont été constatées parmi des « membres des forces de sécurité » avant celles des « civils ». Or au moment où ces lignes sont écrites, on sait déjà que le bilan des morts du 7 octobre compte davantage d’Israéliens désarmés, notamment des vieillards, des femmes et des enfants, que de soldats. La bonne foi journalistique exigeait donc de mentionner en priorité le fait le plus important, à savoir que le « Déluge d’Al-Aqsa » est d’abord une attaque contre la population d’un pays, pas seulement contre son armée. Sauf si bien sûr on essaie de manière insidieuse de s’inscrire dans le narratif mensonger du «crime de guerre », dont La France insoumise fait au même moment son cheval de bataille.

Benjamin Barthe, lorsqu’il était correspondant du Monde au Proche-Orient. DR.

« Cette bizarrerie géographique est pourtant le fait des fondateurs d’Israël. »

Benjamin Barthe

Dans les jours qui suivent le massacre du 7 octobre, Le Monde, qui n’aime rien tant que de donner des leçons d’histoire à ses lecteurs, publie un article pour raconter celle de Gaza. Et n’hésite pas pour l’occasion à relayer une grossière fake news. Ainsi donc, à en croire l’auteur, la « bizarrerie géographique » qu’est Gaza (à savoir que le territoire palestinien est séparé en deux parties, dont l’une est cette enclave située entre l’Égypte et Israël) serait la conséquence d’une décision prise par ceux qui ont créé l’État hébreu en 1948. Un minimum de connaissance des événements permet pourtant de savoir que la résolution 181 de l’ONU, votée en 1947, propose avant même la déclaration d’indépendance d’Israël, la création d’un État arabe coupé en deux morceaux distincts, dont l’un recouvre justement l’actuelle bande de Gaza. Si l’année suivante, lors de la guerre israélo-arabe, les circonstances du conflit conduisent les troupes de Ben Gourion à ne pas y pénétrer, laissant le champ libre à l’armée égyptienne, Tsahal finira en 1956 par y planter son drapeau à la faveur de la crise de Suez… avant que les Américains lui demandent l’année suivante de se retirer. N’en déplaise à Monsieur Barthe, la « bizarrerie géographique » que constitue Gaza est au moins autant le fait des Nations unies en 1947, des forces égyptiennes en 1948-1949 et de l’administration Eisenhower en 1957, que celui des fondateurs d’Israël. Mais il est tellement tentant de prendre des accents complotistes et de présenter les juifs comme les seuls responsables de ce qui est « bizarre » au Proche-Orient.

Des soldats israéliens en repos, 13 octobre 2023. Jonathan Alpeyrie/SIPA

« Gaza : l’injustifiable politique de la terre brûlée d’Israël »

Éditorial

Comme on l’a vu plus haut, Le Monde a fait preuve d’une pudeur de gazelle dans sa couverture du massacre du 7 octobre, restant le plus froid possible et minorant certains faits. Double standard oblige, la contre-offensive d’Israël, elle, a droit aux grandes orgues. Dans son éditorial du 6 mars, non signé et engageant en ce sens l’ensemble de la rédaction, les mots qui claquent sont de sortie. Tsahal, est-il ainsi affirmé dans le titre, mènerait rien de moins qu’une « politique de la terre brûlée ». Un terme que même le très anti-israélien Josep Borrell n’a jamais osé utilisé, y compris quand il a accusé, notamment lors d’une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU le 12 mars, l’État hébreu d’utiliser la faim comme « arme de guerre » à Gaza. Sans doute parce qu’il sait que la « politique de la terre brûlée »est une qualification juridique autrement plus grave, comme le Protocole I de la convention de Genève le mentionne : « Une Puissance occupante ne peut pas détruire des biens, situés en territoires occupés, qui sont indispensables à la survie de la population. La politique de la “terre brûlée” menée par un occupant, même lorsqu’il se retire de ces territoires, ne doit pas affecter ces biens. » À l’heure actuelle sur la planète, seul le conflit au Darfour est considéré par les observateurs internationaux comme relevant de la stratégie de la terre brûlée.

Rassemblement pro-Hamas à Aman, 16 août 2024. DR.

« Il n’y a pas d’équivalence entre l’antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste, utilisé par certains membres de La France insoumise, et l’antisémitisme fondateur, historique et ontologique du Rassemblement national. »

Arié Alimi et Vincent Lemire

Soyons honnêtes. La phrase ci-dessus est extraite d’une tribune parue dans Le Monde. Si elle ne traduit donc pas la position du journal, elle montre en revanche quelles opinions infâmes celui-ci est prêt à accueillir dans ses pages de façon bienveillante. Faut-il détailler ici en quoi essayer de diminuer les torts de l’antisémitisme de gauche, au prétexte qu’il serait « contextuel », est abject ? Non, évidemment. Quiconque a vu les images de Rima Hassan participant à un rassemblement pro-Hamas à Aman en août dernier sait ce dont l’« antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste » est capable, et quelles atrocités il a sur la conscience.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Annus horribilis

« Visage de la diplomatie du Hamas, vu comme un modéré au sein du mouvement palestinien, Ismaïl Haniyeh était au cœur des efforts visant à mettre fin aux hostilités dans la bande de Gaza. »

Hélène Sallon

Comment montrer, à mots couverts, que l’on pleure à chaudes larmes la mort du numéro un du Hamas, donc de l’un des terroristes les plus sanguinaires de la planète ? En le faisant passer pour une colombe, pardi ! Comme le fait avec beaucoup de talent cette nécrologie d’Ismaïl Haniyeh, mort le 31 juillet 2024 à Téhéran suite à une attaque israélienne survenue au lendemain de la prestation de serment du nouveau président iranien Massoud Pezeshkian devant le Parlement, à laquelle il venait d’assister.

Ismaïl Haniyeh, chef du Hamas de 2017 à 2024. DR.

« Face aux attaques d’Israël, l’Iran peine à trouver la bonne riposte »

Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky

Le Monde ne se contente pas de regretter la disparition des ennemis les plus cruels d’Israël. Il loue aussi l’action des vivants. Le titre ci-dessus est à cet égard un petit chef-d’œuvre d’encouragement déguisé. Procédons par étape logique et découvrons ce qu’il exprime en réalité. D’abord l’élément de contexte, « Face aux attaques d’Israël », qui place le récit du point de vue de Téhéran, puisque, côté Israël, on considère au contraire que l’action de Tsahal n’est pas une attaque mais une contre-attaque. Ensuite la proposition principale, « l’Iran peine à trouver la bonne riposte », qui indique en creux que les mollahs cherchent quelque chose, et que cette recherche est conduite par eux avec les meilleures intentions du monde puisque la chose recherchée est affublée de l’adjectif « bon ». Accusation spécieuse, objecteront certains. Et pourtant que ne dirait-on si, par exemple, Le Monde spéculait en France sur les « attaques » de Macron contre Marine Le Pen et sur la « bonne » réponse que celle-ci pourrait bien lui apporter. Supposons que le journal écrive : « Face aux attaques d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen peine à trouver la bonne riposte ». Inimaginable bien sûr. Alors qu’en revanche le titre « Face aux attaques de Marine Le Pen, Emmanuel Macron peine à trouver la bonne riposte » est tout à fait concevable. CQFD. Dans le conflit larvé israélo-iranien, les faveurs du Monde vont à l’Iran.

Tirs de missiles balistiques iraniens visant des cibles en Irak et en Syrie, 15 janvier 2024.

« Procéder ainsi n’emprunte-t-il pas au terrorisme que l’on prétend combattre ? »

Editorial

Finissons cette rapide autopsie du diable qui se cache dans les détails en nous penchant sur l’affaire de bipeurs piégés. Pour Le Monde, cette opération est immorale. La meilleure manière de le faire savoir : suggérer, au moyen d’une question rhétorique, qu’Israël a, ce jour-là, carrément repris les méthodes des Etats voyous. Quand il y dix ans, François Hollande validait des dizaines d’opération homo (pour homicide), consistant à faire supprimer par des commandos français des djihadistes identifiés en Afrique noire, avec parfois des dommages collatéraux sur les populations civile, allez savoir pourquoi, jamais le journal n’a parlé de terrorisme d’Etat, mais juste d’ « éxécutions ciblées ». Idem quand Barack Obama a demandé que l’on neutralise, mort ou vif, Oussama Ben Laden et que le chef d’Al Qaida a fini par être abattu, sur ses ordres, par des Navy Seals: pas question de se demander si le président américain n’aurait un peu agi de manière criminelle en vengeant le 11-Septembre. Derrière ses protestations de modération et son style ostensiblement circonstancié, Le Monde dissimule mal sa vision orientée du Proche- Orient. Vous avez dit islamo-gauchisme ?

Barnier, en quête du peuple oublié

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Le Premier ministre Michel Barnier en déplacement à L'Arbresle (69), le 25 octobre 2024 © Bony/SIPA

Le Premier ministre savoyard pense qu’il n’aura pas le temps de faire de grandes lois. Il entend consulter les cahiers de doléances des gilets jaunes pour alimenter sa réflexion.


C’est au-dessus de leur force : les « progressistes » restent hermétiques aux colères françaises, quand elles pointent l’enfermement mental des dirigeants mondialistes. Cela fait sept ans qu’Emmanuel Macron, en chute dans les sondages (78% de mécontents) se montre incapable d’entendre les gens ordinaires. Ses certitudes universalistes lui suffisent. Or la dénonciation feutrée de cette pathologie politique est venue, hier, de Michel Barnier, dans Le Parisien-Dimanche : le Premier ministre, en quête du peuple oublié, a annoncé vouloir consulter les cahiers de doléances, rédigés par les Français en 2019 après la révolte populaire des gilets jaunes. Il faut donc comprendre que les avis des citoyens d’en bas avaient été enterrés par les décideurs d’en haut, une fois le calme revenu. Cette révélation d’une indifférence du pouvoir n’en est certes pas une, tant la mascarade tient lieu de communication chez M. Macron. Néanmoins, ce mépris élitiste pour les opinions de « ceux qui ne sont rien » est devenu explosif. La crise de la démocratie mériterait, au contraire, l’humilité des puissants, incapables de reconnaître leurs erreurs. Le Premier ministre a compris ce besoin de proximité et de dialogue. Ceci lui vaut la mansuétude de l’opinion. Reste à savoir jusqu’où M. Barnier, homme prudent, est prêt à aller s’il veut répondre aux exaspérations des oubliés. Pour beaucoup, ils ont pris ou vont prendre le chemin du RN et de ses alliés, snobés par le Premier ministre. Ce sont ces mêmes proscrits qui, aux Etats-Unis, s’apprêtent à voter le 5 novembre pour Donald Trump, traité de « fasciste » par Kamala Harris. A une semaine du scrutin, la démocrate, soutenue par le show-biz à paillettes, semble à la peine.

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Une révolution des mentalités redonne du crédit aux pestiférés d’hier, aux Etats-Unis comme en France. Dans son dernier livre[1], Philippe de Villiers admet avoir souffert de son « destin de souffre-douleur archétypal ». Pour autant, le pionnier du souverainisme s’impose aujourd’hui, dans un univers où les élites se délitent, parmi les résistants les plus écoutés, et pas seulement sur CNews dans son émission à succès du vendredi soir. « Une génération de survivants-combattants va poindre », veut croire le promoteur du Puy-du-Fou, du Vendée Globe et de la mémoire vendéenne. Mais nombreux sont, dès à présent, les Français qui ne veulent pas voir leur pays mourir.

Ce réveil existentiel est loin d’être minoritaire. Il pourrait peut-être accompagner, chez des indigènes malmenés par le nouvel occupant islamisé, la reproduction inversée d’une dynamique de décolonisation, prônée par la gauche chez les peuples extra-européens. En attendant, mêmes les réflexes pavloviens de la bien-pensance ont pris un coup de vieux. Rien n’est plus convenu que la réflexion d’Eddy Mitchell, l’autre jour sur France Inter, disant des électeurs RN : « Je suis contre ces gens-là ». Thierry Ardisson ne se rehausse pas davantage quand il qualifie, sur France 5, le public de Cyril Hanouna (C8) de « cons » et de « têtes pleine d’eau ». Idem pour Anne Roumanoff, disant du JDD qu’il est « un journal d’extrême droite ». En 2016, Hillary Clinton avait qualifié de « déplorables » les électeurs de Trump, avant de perdre la présidentielle. Alain Minc a dit d’eux, hier soir sur BFM, qu’ils étaient des « sous-développés ». Ceux qui insultent au lieu d’écouter accélèrent leur chute. Leur monde rêvé est faux. D’ailleurs, il s’effondre.

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[1] Mémoricide, Fayard

Bisounours queers vs Bad travelos

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DR.

Face à l’émergence de voix critiques s’opposant à l’idéologie transgenre, les militants radicaux se déchirent quant à l’attitude à adopter pour riposter.


Le 7 octobre, le site StreetPress informait ses lecteurs que soixante-quatre des militants venus protester, à l’appel de l’AG Paname Antifa, contre les séances de dédicaces organisées par les éditions Magnus, dont celle de Marguerite Stern et Dora Moutot pour leur essai Transmania, avaient été placés en garde à vue. Après avoir obligé les organisateurs à annuler la réunion prévue dans le 11ème arrondissement et à se replier finalement sur une péniche dans le 5ème, ces militants s’étaient regroupés non loin de celle-ci, obligeant les forces de l’ordre à intervenir.

Stern et Moutot menacées

Les policiers ont retrouvé sur les manifestants des fumigènes et de la peinture mais aussi des mortiers d’artifice, des matraques télescopiques et des explosifs. Pour leur défense, certains de ces activistes « non-binaires » déclarèrent à StreetPress ne pas être venus pour en découdre : « On est une bande de trans et de bisounours queers », geignit Aurélie en se plaignant d’avoir dû partager avec Anna, une jeune femme trans, « une cellule de cinq mètres carrés sans matelas ». Bref, ça pleurnicha, ça gémit, ça jérémiada tant que ça put. Iels prétendirent être de pauvres victimes du système policier, patriarcal et hétéronormatif – et StreetPress fut tout heureux de présenter cette milice trans comme une joyeuse bande de militants pacifistes agressés par la police[1].

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Oui mais non, écrivent en substance, deux jours plus tard, des militantes trans se réclamant d’une «bande armée de travelos » dans un texte rageur paru sur le « site d’infos anticapitaliste, antiautoritaire et révolutionnaire » Paris-Luttes.Info[2] : il y avait bien, parmi les activistes arrêtés, des individus violents et prêts à tout pour nuire à la « sauterie transphobe » organisée par les éditions Magnus. « Que les bisounours se tiennent sages si iels le veulent, certaines d’entre nous auraient coulé la péniche et tous ses fafs avec si nous en avions eu loccasion », écrivent ces charmantes créatures en traitant au passage les « journaleux » de StreetPress de « poucaves » (mot d’origine rom voulant dire « mouchard » ou « traître ») pour avoir relayé les discours victimaires et « innocentistes » rapportés ci-dessus. Pour mener le combat trans contre les « fascistes », il n’est pas prévu d’autres moyens que « la force et la violence, et donc l’éclatage des têtes » de ces derniers. Les menaces de mort que reçoivent Marguerite Stern et Dora Moutot sont par conséquent « valides et légitimes ». Les signataires de cet appel à l’ultra-violence disent être « de celles qui ont formé un black bloc le 6 mai dernier devant Assas » et « de celles qui ont cramé le compteur électrique et fracassé les vitres » de l’ISSEP à Lyon, là où étaient prévues des réunions avec les auteurs de Transmania. Décidées à éviter comme la peste les « espaces terriblement cis ou hétérochiants » et à chercher la baston partout où cela s’avère nécessaire pour s’émanciper de « l’aliénation capitalo-hétérosexiste », les travelos anarchistes affirment vouloir continuer « de poursuivre Stern et Moutot partout où elles iront jusqu’à ce qu’elles n’osent plus sortir de chez elles. » Quant aux « journaleux de StreetPress », ils feraient mieux de « garder leurs torchons pour eux » s’ils ne veulent pas subir l’ire de ces furies qui prévoient d’ores et déjà de prochaines et belliqueuses actions contre le patriarcat, les fascistes, les « mascus », les policiers, les « pacificateurs », la presse sirupeuse, etc. 

Prétentieux

Ironie de l’histoire et conclusion badine et interrogative. Sur son site, StreetPress annonce mener actuellement « la plus grande enquête participative sur l’extrême droite » et appelle la population à dénoncer « les actions et les méfaits des groupuscules ou militants d’extrême droite » qui se multiplieraient « partout dans l’hexagone ». Pour le moment et jusqu’à preuve du contraire, la très grande majorité des actions violentes contre des individus dans les universités, les librairies, les lieux publics ou privés, sont le fait de groupuscules d’extrême gauche se réclamant du féminisme, de l’antifascisme, de l’antiracisme, de l’écologisme et des mouvements queer : conférences perturbées ou carrément annulées, librairies taguées et caillassées, tentatives d’incendies, menaces sur les propriétaires des lieux prévus pour telle ou telle réunion, regroupements agressifs devant les lieux en question, menaces directes sur les intervenants pouvant conduire jusqu’à la nécessité d’une protection policière particulière, etc. Et ne parlons pas des cris de haine antisionistes et antisémites et des appels à l’intifada et à la guerre civile scandés lors de manifestations pro-palestiniennes qui voient leurs rangs gonflés par les mêmes activistes d’extrême gauche, idiots utiles de l’islamisme.

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S’ils veulent avoir de la matière pour leur enquête contre les « méfaits et les violences » en France, les journalistes de StreetPress feraient décidément mieux de se pencher sur les groupuscules ultra-violents et les activistes radicaux de l’extrême gauche, ainsi que sur cette… « bande armée de travelos » qui les menace directement.

Mais peut-être ne prennent-ils pas au sérieux cette fameuse bande et ont-ils sur elle la même opinion que Fred (André Pousse) sur la clique de petits malfrats transsexuels commandée par Rosemonde (Mario David), alias Jacky après sa « transition », dans le film de Michel Audiard “Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages” : « Pour moi, la Rosemonde et sa bande de gouines, c’est rien que des grosses prétentieuses, des insolentes. Je dirais même des personnes malsaines. » Après tout, il n’est pas impossible que ces militantes en transe ultra-violente ne soient en réalité que des affabulatrices, des trouillardes et des crâneuses profitant des circonstances pour se vanter et se faire plus méchantes qu’elles ne sont, allez savoir ! Ce qui n’enlève rien au caractère malsain de leurs délires.

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[1] https://www.streetpress.com/sujet/1728313380-militants-garde-vue-arrestations-violence-manifestants-dedicaces-editeur-extreme-droite-magnus-papacito-stern-moutot

[2] https://paris-luttes.info/trans-ultra-violence-18736