Padam, padam, padamalgam!


Padam, padam, padamalgam!

zemmour naulleau charlie hebdo

Faut pas prendre les fous d’Allah pour des canards sauvages. C’est nous les connards domestiqués. On n’en serait pas là si nos représentants nous avaient représentés. Faute de s’en être pris aux causes en temps utile, ils nous font défiler contre les effets. Sans moi !

En plus, ils salopent ma copie. Moi qui voulais vous entretenir de Debray, Houellebecq et Muray – dont j’ai enfin découvert le Journal – me voilà réduit à chroniquer la bande à Kouachi. Des tueurs fous, peut-être, mais ils n’étaient même pas nés quand Giscard, Chirac, Mitterrand et les autres les ont importés. Alors, pourquoi c’est moi qu’on fait chier ?[access capability= »lire_inedits »]

 

NOËL AU GARAGE

Mercredi 24 décembre/Sparks à Londres, c’était trop bien ! Le retour en Barjomobile, un peu moins. À 22 h 30 soudain, en pleine autoroute et en pleine nuit, le coup de la panne ! Plus de batterie, plus de moteur, plus de lumières – et ce triangle rouge et ce gilet fluo, ils sont où déjà ? Heureusement qu’Ivan Dressamer était au volant, sinon l’élite de ce pays eût été fauchée, et je ne serais même pas là pour vous le raconter.

D’ailleurs c’est fait. Comptez juste en plus 1 heure  pour la dépanneuse, 1 heure de formalités avec l’assurance au garage du lieu-dit Le Transloy (!), 1 heure d’attente pour le taxi et 1 h 30 de voyage (400 € au compteur, mais on s’en fout !). À 3 heures tout le monde était au lit, et je pouvais commencer ma journée.

 

FRUITS DE MER D’ISPAHAN

Mercredi 31 décembre/Saint-Sylvestre en famille chez les Barjot-de Koch. Un plein succès, selon les organisateurs. J’en ai profité pour prendre des notes.  

Recette pour un réveillon réussi chez vous, si vous nous invitez la prochaine fois (on sera quatre) : juste un plateau de fruits de mers géant. Crabe et bulots pour Frigide, gambas et langoustines pour Constance, foie gras et tout le reste tant qu’y en a pour Bastien, huîtres et zinfandel californien pour moi.

Si c’est suffisamment copieux, vous pouvez même oublier le chapon – comme nous dans le four ce soir. En revanche, pour faire passer, on goûterait volontiers le macaron géant Ispahan (framboise-litchi-rose) de chez Hermé, sans vous commander.

 

 

VOTEZ BOURRÉS ! 

Jeudi 1er janvier, 3 heures/Excellent, décidément, ce zinfandel ! Mais qu’est-ce que je disais, déjà ? Oui, s’il en reste, j’en veux bien… Mais putain, je pensais à un truc grave, c’était quoi déjà ? Ah, oui ! Est-ce que ce changement d’année ne fait pas le jeu du Front national ? Et sinon, y a pas une autre bouteille, même du rosé ? 

 

UN DÉSERTEUR À LA LÉGION

Vendredi 2 janvier (solennité de saint Basile)/AFP : « Thomas Piketty refuse la Légion d’honneur. »

« En France, disait Jules Renard, le deuil des convictions se porte en rouge et à la boutonnière. » Apparemment, tel n’est pas encore le cas de Piketty, qui fait à ses décorateurs un joli doigt (de Légion) d’honneur : « Le gouvernement ferait mieux de se consacrer à la relance de la croissance» 

Reste à savoir si, dans sa vie, il s’est bien conformé au principe édicté par Erik Satie : « Il ne suffit pas de refuser la Légion d’honneur ; encore faut-il ne pas la mériter. »

 

RÉVEIL DOULOUREUX

Mercredi 7 janvier/Il paraît qu’on se souvient toujours de l’endroit où on était quand on a appris une nouvelle importante, comme le 11/09 ou le 21 janvier. Moi en tout cas c’est sûr : ce matin j’étais dans mon lit en train de m’endormir doucement, comme un bébé australien. À mon premier réveil (pour un coup de Badoit), j’entends vaguement à la radio, entre deux conneries : « Agression contre Charlie  Hebdo… Plus de détails dans notre journal de midi. » O.K., ruminé-je, c’est pas nouveau : les islamistes n’aiment pas Charlie, et inversement. Et de me rendormir instantanément.

C’est seulement la deuxième fois, en allant faire pipi, que j’ai mesuré la gravité de l’événement. Ces cons-là avaient tué tout ce qui bougeait sauf les femmes, à part une par nervosité.

 

PAS D’AMALGAME !

Vendredi 9 janvier/Zemmour & Naulleau, Paris Première. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est une surprise ! Même ce monstre froid de Zemmour a été personnellement touché par le massacre de Charlie. Non seulement les BD de Wolinski furent ses « premiers bouquins de cul » – « comme toute une génération », précise t-il modestement – mais il était ami avec l’économiste Bernard Maris. Pour le reste, on s’en doute, Charlie n’a jamais été sa tasse de thé : « Une tentative utopique de sortir du tragique de l’Histoire », résume-t-il. De fait, si c’était ça, c’est raté.

Mais déjà Naulleau entonne le refrain « Pas d’amalgame ! », leitmotiv de la mobilisation médiatico-politique subséquente aux boucheries halal des 7 et 9 janvier : « Le djihadisme n’a rien à voir avec l’islam ! »

Ben voyons ! Et avec quoi donc, alors ? Certes, grâce à Allah, tous les musulmans ne sont pas djihadistes. Mais tous les djihadistes sont musulmans – ou pensent l’être, ce qui revient au même.

Il n’y a qu’un islam parce qu’il n’y a qu’un Coran, malgré les contradictions entre ses sourates pacifiques et guerrières, et les sens opposés du mot « djihad » lui-même.

 « La Torah et les Évangiles, écrits par des hommes, sont susceptibles d’interprétations, explique patiemment Zemmour à son compère. Le Coran, c’est la parole incréée de Dieu, transmise au Prophète par l’ange Gabriel, donc intangible. » J’ai bien peur qu’il ne faille lui réexpliquer encore, à l’ami Naulleau – si toutefois l’émission n’est pas supprimée entre-temps.

 

BISOUNOURS VAINCRA !

Dimanche 11 janvier/Je n’ai pas participé à la grande Marche républicaine de tout le monde contre personne. La seule pancarte derrière laquelle j’aurais pu fièrement défiler, c’est «  Bisounours vaincra ! » ; mais bon, j’ai pas reçu le flyer. C’était la touche d’autodérision indispensable, à mes yeux, dans ce genre de démonstration d’unanimisme non seulement virtuel, mais volatil.

 Non que j’aie été insensible à l’horreur des deux tueries de « nos » djihadistes –pas plus qu’à celles perpétrées au même moment par leurs collègues fous furieux de Boko Haram au Nigéria. Mais quoi ? Après Chantons sous la pluie et Rions contre le racisme, voilà maintenant Défilons contre les kalachnikovs (sans stigmatiser personne) ! 

Eh bien, je ne marche pas. Nos quatre millions quarante-quatre marcheurs et surtout les derniers, ceux du carré VIP, feraient mieux d’essayer de comprendre ce qui se passe, comme Zemmour, ou de se soumettre direct, comme le « héros » houellebecquien.

 

MARCHONS, MARCHONS…

Mercredi 14 janvier/Modèle de connerie triomphante : la une du « numéro spécial » de L’Obs. Sur fond de photo de jeunes à l’assaut de Marianne (la statue), l’hebdo titre « Continuons le combat ! » O.K., et on fait comment, chef, pour exorciser définitivement la terreur djihadiste ? Un petit Nation-République, pour changer ? Ou carrément Père Lachaise-Place des Fêtes ? C’est vous qui voyez.

JE SUIS ÉRIC

Jeudi 15 janvier/AFP : « Éric Zemmour placé sous protection policière depuis l’attentat contre Charlie Hebdo. » C’est marrant ( ?). Quinze jours plus tôt, dans mes vœux à Éric, je lui souhaitais entre autres, pour 2015, « des gardes du corps ».

Je ne plaisantais pas vraiment, mais lui a eu l’air de prendre ça à la légère. Aujourd’hui encore, à propos de cette décision des autorités, il dit seulement : « Je n’ai rien demandé ; je subis, c’est tout. » Aussi inconscient que François avec sa papamobile ouverte à tous les vents ! Tiens, ça leur fait au moins un point commun, à ces deux-là.

Pourvu quand même qu’on n’ait pas à porter un de ces jours un t-shirt « Je suis Éric  ». D’ailleurs, combien serait-on à le porter ? Combien de politiciens, de décideurs, d’artistes et même d’intellectuels ? 

Mais bien sûr, ça n’a rien à voir. Au-delà de la compassion envers les victimes, c’est bien autre chose qui s’est imposé d’emblée, dans le traitement médiatico-politique du drame de Charlie : un soutien inconditionnel, unanime, obligatoire à l’idéologie de l’hebdo. Ça au moins, ça ne risque pas d’arriver à Éric.

 

RIONS, MES FRÈRES !

Vendredi 16 janvier/Sans me vanter, je suis plutôt client de blagues drôles, d’humour, d’ironie et tout ça. Comme Chesterton j’aime l’esprit, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne. Mais comme lui aussi, j’aime plutôt mieux quand il mène à l’Esprit plutôt que nulle part.

Pas question ici de nier le talent, et les traits de génie, des dessinateurs de la bande, morts ou vivants. Mais un journal, même « irresponsable » comme se veut Charlie, c’est d’abord une ligne éditoriale. Celle de l’hebdo est claire : l’anticléricalisme avant tout. Parce que ça marche toujours, depuis un siècle et demi ; qu’à part ça, on n’a pas grand-chose de révolutionnaire à dire, et que de toute façon ça ne mange pas de pain… Voire.

Là où Charlie est vraiment irresponsable, c’est qu’il n’a pas vu le temps passer, ni monter doucement le délire djihadiste. Comme si on pouvait provoquer ces fous d’Allah aussi impunément que nos aimables curés post-conciliaires.

Un athée normalement constitué est censé tenir à la vie plus qu’à l’au-delà. Alors pourquoi ne pas s’en tenir aux provocs de tout repos, du genre le pape avec un crucifix dans le cul et une légende saignante ad hoc ? Vous me direz : il faut bien varier les plaisirs de temps en temps, et d’ailleurs, en 2006, les caricatures de Mahomet ne leur avaient valu qu’un procès, gagné en plus. Rien que de la pub !

Mais en 2011 déjà, autre chanson : suite au numéro spécial Charia Hebdo, les locaux du journal sont incendiés. Le premier, Wolinski l’hédoniste prend conscience du danger, c’est-à-dire du rapport de force : « On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation, et puis un jour la provocation se retourne contre nous. » Paroles prophétiques, hélas ! 

« Un dessin est un fusil à un coup », disait de son côté Cabu. Eh bien, face aux frères Kouachi, ça ne le fait pas ! Certains sont morts qui auraient préféré vivre, et peut-être même l’inverse… En tout cas c’est un beau gâchis, et inutile en plus. Parce qu’enfin, ça mène où tout ça ? À quoi bon, pour un canard, vendre cent fois plus, s’il est décapité ?

 

MOURIR POUR CHARLIE ?

 Samedi 17 janvier/Zemmour (déjà cité) ne serait peut-être pas d’accord, et alors ? Moi aussi, comme Florent Pagny, j’ai ma liberté de penser. Ce soir donc, sur Radio Notre-Dame, tout seul devant mon poste, j’opine du chef en entendant Patrice de Plunkett lancer une fatwa contre l’Occident crétin, et la France en particulier.

On parlait d’humour, hier encore, mais lui ne plaisante guère : c’est la dérision-tous-azimuts qu’il met en cause, non sans quelques arguments. « Se moquer est devenu le centre nerveux de notre culture, le fondement de notre République », dit-il comme Finkielkraut. « L’insulte et la caricature nous tiennent lieu de combat culturel, face à la révolution islamique mondiale et au capitalisme mondialisé », précise-t-il, et l’on croirait entendre Zemmour. Pourquoi donc est-il seul – avec mon soutien, ce qui n’arrange rien – à conclure logiquement : « Charlie donne aux djihadistes l’arme dont ils ont besoin pour dresser les communautés les unes contre les autres. C’est une folie suicidaire. »

« Mourir pour des idées ? » Déjà, c’est contraire à l’amendement Brassens ; mais surtout, lesquelles, et qui donc doit mourir ? Si jamais il s’agit de moi, ou même de mon pays, je demande à réfléchir.

 

IL PAPA E MOBILE

Dimanche 18 janvier/Problème d’oxygène ? Au-delà d’une certaine altitude, le pape François a tendance à planer, du moins vu d’ici-bas. Entre une blague gay friendly et une attaque contre les lapins, l’autre jour il a carrément montré les poings. C’était dans l’avion, retour des Philippines. Sans doute encore « emporté  par la foule » de sa mégamesse de  Manille, que même les Stones lui ont enviée, ce diable s’est permis d’interférer dans notre guerre civile larvée.

 « Tuer au nom de Dieu est une aberration », dit-il. Mais « on ne peut pas insulter la foi des autres. Si un grand ami parle mal de ma mère, il doit s’attendre à un coup de poing» J’adore ce franc-parler ; à ma connaissance c’est le premier pape qui parle aussi cash, au moins depuis Jésus.

L’ami Finkielkraut est moins emballé. En ce deuxième dimanche du Temps ordinaire, il ne ménage pas le successeur de Pierre : « Avec tout le respect que je dois à François (sic), je crois qu’il a manqué une occasion de se taire. » Et toc !

Eh bien moi, avec toute l’admiration que j’ai, sans me forcer, pour Finkie, je connais quand même au moins deux philosophes qui s’appellent Alain[1. Sans compter Badiou, qui d’après moi est plutôt un artiste.], mais je n’ai qu’un pape François. 

Même avant lui, dans le langage du Christ, insulter les croyances des autres (forcément fausses, pourtant), c’est « blasphémer ». L’idée générale, surhumaine, c’est qu’il faut toujours se mettre à la place de son « prochain », athée ou croyant, gentil ou méchant, victime ou bourreau.

Bien sûr, il est sidérant qu’en France aujourd’hui, quatre siècles après la fin des guerres de religion et plus de deux cents ans après la Terreur, on puisse encore massacrer des gens pour leurs idées supposées.

Mais en attendant les mesures qui s’imposent – et qui ne seront pas de simple police, contrairement à ce qu’une vaine élite croit –, la common decency[2. Chestertonienne, s’il vous plaît, bien avant d’être orwellienne.] devrait inciter les faiseurs d’opinion à éviter le blasphème, qui n’est jamais synonyme de Vérité.[/access]

*Photo : BALTEL/SIPA. 00665031_000080.

Février 2015 #21

Article extrait du Magazine Causeur



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