Art chinois made in France


Ça y est, trouvé. Je déchire au Phénix. Pas avant deux mois mais on s’y prend tôt chez Phénix parce que c’est énorme. Vingt mètres de haut, 6 000 places, le plus grand chapiteau du monde. Des répétitions jour et nuit, une promo genre Stade de France, on va bosser. Vu comment ça geint dans l’intermission du spectacle, c’est toujours ça de pris.

Pour ceux qui l’ignorent, le Phénix est un cirque à thème près de la foire du Trône. Vous, vos vieux, vos gosses, vos brus, avez sûrement vu Tzar ! ou Fuerza ! Le Grand Cirque du Mexique ou L’Empereur de Jade ou Cirkafrika. C’est Phénix. Leurs pensionnaires chéris sont les « étoiles du cirque de Pékin », des artistes taillés en cube qui savent tout faire sans lever un sourcil. Comme ils coûtent pas cher, on les a repris encore cette année. Le spectacle s’appelle Le Petit Dragon. Ce sera costaud, avec des gars qui volent je vous dis pas et des numéros d’ensemble qui montrent bien que le collectif compte, là-bas. Dix-huit filles en équilibre sur deux vélos, vous voyez le niveau.[access capability= »lire_inedits »]

Ça épate mais, si vous voulez mon avis, ça trompe énormément. Parce qu’en fait Le Petit Dragon, ses athlètes, sa danse des rubans, ses archers en tunique mandchoue et ses moines Shaolin, à part les muscles, ils ont rien de chinois. C’est une attraction internationale arrangée par le boss, M. Pacherie, manager spécialisé dans le Christmas bizness et le show familial, dont la devise, à ce qu’on lit dans Les Échos, serait : « L’important n’est pas ce qu’on dépense, c’est ce que ça rapporte. » Six millions d’euros.

Je me rappelle, quand je déchirais les billets au Trocadéro et au Châtelet, il y a vingt ans, si c’était marqué cirque de Pékin, c’était le cirque de Pékin. Même les visites au palais des Congrès de l’Opéra de Pékin, qui confondait classiques et gymnastique, réservaient toujours une matinée à un acte du Serpent blanc ou de Troubles au royaume céleste, l’Opéra de Pékin grandeur nature. Cruel, resplendissant, subtil, impénétrable. On s’y croyait. Quand une troupe de kabuki venait nous voir, c’était Ennosuke et Tamasaburo, « trésors nationaux vivants », qui vous expédiaient plus loin que Tokyo, plus loin que la lune, dans l’Histoire éternelle. À Paris, à Lyon, à Montpellier, qu’il était beau, le nô, le kathakali, le katajjaq, le sarangi de Ram Narayan, le jodel des Pygmées Aka ! Y en avait partout, tout le temps et pour tout le monde. Avant la diversité, dieu(x) que c’était divers !

Maintenant, flamenco, violons tziganes, claquettes irlandaises, cirque chinois, tout est pareil. Le Petit Dragon ressemblera comme trois gouttes d’eau à Tzar ! et à Cirkafrika. Pékin, mon œil ! Las Vegas ripoliné avec scénario de jeu vidéo, projos de concert pop et bande-son de Batman. La diversité standardisée exactement comme dit Frédéric Martel, la même qu’à Kuala Lumpur ou à Maubeuge. Paris a effacé de son disque dur le théâtre populaire pour mettre à la place un Disney mondial qui se fait passer pour le choc des antipodes. Avec de vrais morceaux d’artistes dedans, c’est là le fâcheux.

T’es snob, me glisse ma consœur Lola (dans le creux de l’oreille pour pas qu’on se fasse lourder), t’es snob, tu méprises le populaire. Populaire, my ass ! L’art populaire, c’est quand le peuple le faisait. Maintenant c’est quand le peuple l’achète. Soyons clairs, ça s’appelle art commercial. La Fleur du ministère, qui adore, précise : industrie culturelle. Du soft power et des euros, point final.

Allez, j’y retourne puisque tout le monde y retourne. Y a pas de raison.[/access]

*Photos : Soleil

Septembre 2015 #27

Article extrait du Magazine Causeur



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