Netflix, le loueur de films (trop) intelligent


Netflix, le loueur de films (trop) intelligent

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Exit le temps du « cinéclub » où il fallait se déplacer, choisir une cassette parmi un étroit panel de films, pour la restituer 48 heures plus tard. Avec Netflix, même la VOD semblera bientôt obsolète : il suffit de payer un abonnement quelques euros par mois pour avoir accès à une consommation illimitée de films et de séries. Un vrai paradis télévisuel pour cinéphiles (et insomniaques). En France, ce n’est pas encore tout à fait ça  mais outre-Atlantique, cette plateforme de streaming est déjà un mode de consommation à part entière.

La clef du succès ? Ce géant de l’audiovisuel doit une large partie de sa réputation à un algorithme de recommandation très performant, une sorte de formule secrète  sur laquelle travaille une fourmilière de 900 ingénieurs. Netflix sait en même temps que vous ce que vous avez choisi… mais aussi ce que vous allez choisir. À l’origine de ce prodige, des ingénieurs, développeurs, et autres informaticiens payés en moyenne 100 000 dollars par an. Leur travail consiste à déterminer vos comportements et habitudes. Dans le jargon informatique, il s’agit de récolter et d’étudier en fonction de chaque individu un maximum de « métadonnées ». Analyser et extrapoler ces données permet de prévoir avec une grande exactitude nos comportements à venir et nos futures envies avant même qu’elles naissent. Mais la technique n’est pas infaillible. À tel point que son entrée en grande pompe sur les écrans français, belges et britanniques fut ratée. Pendant une heure ce week-end, les tout nouveaux abonnés ont soudain fait face, dimanche soir, à un écran noir. Une erreur qui ne dégrade pas encore l’image de Netflix, peu coutumier de ce genre d’avaries.

Reed Hastings, directeur de l’entreprise américaine, parie depuis le début sur cet algorithme. À tel point qu’il lance en 2009 The Netflix Prize  et offre une récompense d’un million de dollars à tous les développeurs et analystes désireux d’améliorer ledit algorithme de recommandation. Une somme somme toute rédhibitoire pour qui a compris cette chose essentielle : pouvoir anticiper et canaliser nos choix revient à posséder une capacité incroyable d’optimisation des ventes.

Le potentiel de cette formule à succès n’a pas échappé au leader et pionnier du e-commerce : Amazon. Un tiers de son chiffre d’affaire est dû à l’algorithme qui suggère des produits personnalisés à chaque visiteur. Selon le même procédé, l’industrie de sites de rencontres comme Meetic vous prédit grâce à une étude précise de vos affinités, de vos amours, de vos emmerdes avec qui vous allez passer le reste… des prochaines 48 heures. Les informations sur nos habitudes d’achats sont en train de renverser le rapport de l’offre à la demande. Désormais, certaines entreprises créent, fabriquent et vendent en fonction de nos envies en minimisant le risque que leurs produits ne trouvent pas preneur.

Quant à Netflix, son modèle économique de loueur – et de producteur de séries – risque de mettre davantage de pression sur le développement de la création. Si la « production à la demande » venait à se généraliser, qui pourrait nous surprendre avec quelque chose dont on ne soupçonne même pas l’existence? Qui pourrait nous proposer de sortir des clous ? La logique économique pousse à la maîtrise et à la diminution des risques. La création est, elle, une activité à risque. Jusqu’ici, les deux dynamiques cohabitaient avec plus ou moins de bonheur. Aujourd’hui, la technologie permet de franchir un seuil critique. Comme par le passé, on le constatera quand il sera trop tard.



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