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Mon string pour un logement !


Mon string pour un logement !

Colleen Mc Cullough nous a appris que les oiseaux se cachaient pour mourir. Eddy Mitchell[1. Eddy Mitchell qui est par ailleurs le Chardonne de notre temps : « L’amour en province ressemble un peu à un dimanche » in Sur la route de Memphis.], lui, que les éléphants allaient rejoindre un cimetière caché quand ils sentaient que leur heure était venue. On ne lit jamais assez les sagas à l’eau de rose et l’on n’écoute jamais assez les paroles de la variété. Elles nous enseignent, entre autres, ce qui fait la dignité anthropologique de l’homme : son droit imprescriptible à la pudeur dans des expériences limites comme le sexe, la souffrance, la mort.

Mais l’obscénité spectaculaire, fille tardive et bréhaigne du capitalisme, veut tout de ses esclaves. Elle est le roi Midas qui transforme chaque aspect de notre vie en image, et n’envisage plus le rapport à l’autre que dans et par l’image. Elle a réussi, en deux petites générations, à faire tomber les systèmes immunitaires de la common decency, chère à Orwell : serait-il venu, il y a trente ou quarante ans, à l’idée d’une ouvrière d’exposer ses déboires conjugaux à l’écran, à des couples de chefs de rayons de marivauder sous les tropiques en attendant de savoir qui va baiser qui, à tel malade incurable de faire filmer son agonie, pour que le dernier souffle soit numérisé sur l’éternité du Net, ou encore à une jeune fille de mettre sa virginité aux enchères pour se payer ses études ?

Cette obscénité du spectacle devenue spectacle de l’obscénité est dans doute à chercher dans la pulsion de plus en plus évidemment totalitaire de la société marchande, dans son désir d’appropriation panoptique de l’individu dont la caméra de surveillance n’est que l’aspect banalement policier pendant que la télé-réalité ou les « réseaux sociaux » du type Facebook en sont la version ludique, aimable et abjecte.

Il avait donc raison, encore une fois, le vieux prophète de Champot, quand il nous annonçait dans ses thèses fondatrices, en 1967 : « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images » ou, plus loin : « Le spectacle se soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis. »

Dans toute cette surexposition, et surtout dans la crise que nous traversons, il est évident que la misère reste ce qu’il y a de plus vendeur, et dans la misère, sa figure extrême, celle du SDF, du sans-abri, du naufragé des cartons et des portes cochères. Le Spectacle a compris qu’il pouvait faire n’importe quoi aux pauvres, aux offensés et aux humiliés. Ils ne réagiront pas. Ils ne réagiront plus. Dès 1935, dans un roman demeuré célèbre, On achève bien les chevaux, Horace Mc Coy avait montré quel profit et quel plaisir malsain il y avait à mettre en spectacle le désespoir et la volonté de survie acharnée des victimes de la Grande Dépression : il racontait l’histoire de couples s’épuisant, parfois jusqu’à en mourir, dans des marathons de danse qui duraient des jours et des nuits, sans interruption, pour une prime dérisoire.

Il y a quelques années déjà, en France, l’un de ces artistes contemporains, néo-dadaïstes d’Etat largement subventionnés, s’était servi de SDF comme sculptures vivantes dans des arrêts de bus. Il s’agissait de « faire prendre conscience », de « sensibiliser », n’est-ce pas ? En réalité, les spectateurs de ce genre d’infamie décomplexée ne prendront conscience de la misère du SDF que le jour, plus proche qu’on ne le pense, des grandes émeutes de la faim, quand, à l’instar des Zombies de Georges Romero, ces morts-vivants sociaux viendront jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes.

Mais pour l’instant, the show must go on. Ainsi, en Belgique, au début du mois, a été lancé un concours Miss SDF, ou plutôt Miss SB, comme on dit là bas pour Miss sans abri. La directrice de quatre centres d’hébergement de la région de Bruxelles a trouvé que c’était une bonne idée. Sélectionner dix jeunes femmes et leur faire subir toute une série d’épreuves avant de choisir la gagnante au mois d’octobre. Elle bénéficiera d’un logement, ce qui tombera très bien puisque les matins commencent à redevenir un peu frais à cette saison, même en cas d’été indien. On peut penser que les autres concurrentes, dans l’immense générosité de cette action, auront le droit de garder leur string à paillette, accessoire qui protège moins du froid qu’un appartement quand la température descend mais peut toujours aider quand il s’agira de vendre leur corps que l’on aura sans doute un peu réparé pour la compétition. Et on reste sans réplique en entendant l’une des victimes de ces jeux du cirque à prétention morale expliquer que c’est le plus beau jour de sa vie.

Car attention, tout cela reste très moral, finalement, pour ces Pharisiens d’un nouveau genre qui exposent et font savoir, en toute innocence ou presque l’ignominie de leur action caritative. Ainsi l’organisatrice déclare : « Miss SDF ne sera pas forcément la plus jolie, mais la plus méritante, la plus courageuse, animée d’une volonté de s’en sortir. » Nous atteignons ici de délicieux sommets. Le « pas forcément la plus jolie » est charmant d’hypocrisie, modalisateur (comme on dit en grammaire) juste ce qu’il faut, histoire de ne pas faire passer le jury certainement masculin pour une bande de démocrates-chrétiens rougeoyants, ivres de concupiscence, de Gueuze et gavés d’anguilles au vert. Les notions de « mérite », de « courage » sont toujours plaisantes à entendre dans la bouche de la dame caritative des temps spectaculaires. C’est la variante postmoderne de la sortie de la messe où l’on donnait une pièce au pauvre, « mais attention, pas pour boire ».

Quoique, si l’on étudie la déclaration sous un autre angle, cela suppose aussi que Miss SDF non seulement doit être quand même pas trop mal foutue mais qu’en plus, lorsqu’elle dandinera des fesses sur un podium d’Outre-Quievrain, il faudra aussi qu’elle prouve qu’elle est « animée d’une volonté de s’en sortir », c’est-à-dire qu’elle a le sens du darwinisme social. Ta copine a des seins aussi jolis que les tiens, mais bon, elle est toujours à réclamer des aides, tandis que toi, avec ton 90C, on sent tout de suite ta volonté de t’en sortir. Il faudra juste te refaire les dents.

Ah oui, une dernière chose, comme une cerise mesquine sur ce gâteau moisi. Le logement sera accordé à la gagnante pour une durée d’un an.

Un an…

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