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Même pas peur !


Même pas peur !

Finalement, l’histoire est assez ironique. La récente faveur médiatique (la faveur électorale, il faudra attendre encore un peu pour voir vraiment) de Marine Le Pen est un cauchemar pour la droite. Que l’extrême droite, la droite extrême ou la droite populiste − appelez-la comme vous voulez − pose problème à la droite classique, ce n’est pas nouveau. Habilement instrumentalisé par Mitterrand, le Front national a été un véritable cauchemar dans les années 1980-1990 et nombre de députés des défunts RPR et UDF qui ont été renvoyés à leur chères études dans des triangulaires meurtrières pourraient en témoigner.[access capability= »lire_inedits »]

Le cauchemar continue. Trente-cinq parlementaires, essentiellement situés dans le Sud-Est, dont certains sont désormais ministres comme Mariani, ont beau s’estampiller Droite populaire et vouloir durcir les textes gouvernementaux comme lors de la récente loi LOPSI 2, Marine grimpe dans les sondages. Mais, cette fois-ci, ce n’est plus de la faute de la gauche mais de la droite elle-même.

Oui, on a parfois tendance à l’oublier, mais le dernier gouvernement de gauche dans ce pays a rendu son tablier en 2002, il y a plus de dix ans, et il y a plus de dix ans que la droite fait de la sécurité et de l’immigration ses uniques chevaux de bataille pour gagner les élections et reprendre des voix au Front. Inutile d’évoquer en la matière son bilan catastrophique puisque dix ans après, ni l’immigration ni l’insécurité (ni le Front) n’ont été stoppés, et faire ouvertement le lien entre les deux n’a pas l’air de convaincre tant que ça un électorat surtout angoissé aujourd’hui par les régressions sociales. On aura beau dire, et même en prenant les chiffres de Brice Hortefeux, le mouvement social contre les retraites a quand même davantage mobilisé que les « Assises contre l’islamisation » de la France.

Marine Le Pen, elle, l’a très bien compris. Comme aux échecs, elle a un coup d’avance. Elle est déjà ailleurs, sur un autre front, si l’on peut dire. La preuve, c’est que la composante identitaire de l’extrême droite éprouve la nécessité de présenter son propre candidat à l’élection présidentielle. Fabrice Robert ne peut plus se reconnaître dans la « droite Marine Le Pen » parce que Marine Le Pen a compris que toute définition ethnique de la nation, en France, était vouée à l’impasse si l’on visait un rassemblement majoritaire et que le Front national n’avait plus rien de commun avec ceux qu’elle appelle les « excités ».

Marine a un adversaire sérieux : le Front de gauche

Il n’y a plus que des ministres de l’Intérieur débordés pour faire pondre des circulaires désignant nommément une partie de la population comme responsable de la délinquance. Plus jamais Marine Le Pen ne commettra ce genre d’erreur. Quand on fait les scores qu’elle fait à Hénin-Beaumont, c’est qu’on a compris que le peuple, aujourd’hui, sait bien que les délocalisations, la précarité, le chômage de masse sont les premiers problèmes des Français, de souche ou non. Que la politique du bouc émissaire next door ne fonctionne pas, plus ou très mal quand c’est manifestement une violence macro-économique sans précédent qui s’exerce dans ces régions. Ponctuellement, sans doute, pour des raisons d’équilibre interne, elle fera bien une petite piqûre de rappel comme sa sortie récente sur la rue Myrha mais, dans le même temps, elle rappellera que c’est un certain patronat qui aime employer les clandestins, cette armée de réserve du capitalisme.

On peut même penser, avec un peu de chance, qu’elle fera exploser la droite en cas de défaite de celle-ci en 2012. Les orphelins du parti de l’ordre sarkozyste qui auront enfin compris que le message qui porte n’est pas celui de l’insécurité mais des insécurités (sociales, économiques, urbaines) viendront la rejoindre tandis que l’aile libérale-sociale ira se fondre dans un grand ensemble centriste allant des gaullistes sociaux jusqu’à Europe Écologie.

Marine Le Pen n’a pas grand-chose à craindre d’un Parti socialiste cantonné depuis trente ans dans la morale antifasciste. Ça ne prend plus. Elle a néanmoins un adversaire très sérieux : le Front de gauche, qui sera probablement mené par Jean-Luc Mélenchon. Ce message sur les insécurités, la fierté ouvrière, la lassitude devant les élites déconnectées du réel, cette autre gauche le porte à nouveau et assez fièrement.

En revanche, si le Front de gauche parvient à se délivrer de ces mêmes inhibitions teintées de moraline, s’il se réapproprie crânement le discours du Marchais des années 1980 sur le « Produisons français », elle n’est plus certaine de gagner cette course à l’électorat populaire qui, depuis des décennies, s’est auto-exclu dans l’abstention et qui est, sans qu’aucune des deux formations ne l’avoue explicitement, la cible commune et l’obscur objet du désir qui leur permettra ce score à deux chiffres sans lequel rien n’est possible si l’on veut peser sur son propre camp.[/access]

Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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