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Guerre d’Algérie: Maurice Audin, un pardon équivoque

Si Macron a eu raison de condamner la torture en Algérie, la France ne doit pas pour autant s’excuser


Guerre d’Algérie: Maurice Audin, un pardon équivoque
Maurice Audin. Sipa. Numéro de reportage : 00648247_000001

Si Macron a eu raison de condamner la torture en Algérie, la France ne doit pas pour autant s’excuser.


L’époque est à la repentance et à l’entretien scrupuleux, douteux de notre culpabilité pour les siècles passés au nom, parfois, d’une vulgaire manœuvre politicienne. Toute torture est par essence inexcusable, qui rapproche par moments historiques malheureux l’humanisme de la barbarie. Dans un contexte de circonstances exceptionnelles comme la guerre, les dérapages deviennent excès, puis quotidiens, autorisés par « la banalisation du mal ». Si un cadre juridique augmente les prérogatives d’un corps de métier, la fuite en avant se retrouve à portée de poing.

Maurice Audin, militant du Parti communiste algérien, Français de Tunisie, « sympathisant » proche du FLN (Front de libération nationale), lequel planquait des explosifs au hasard afin de tuer le plus de civils possible parmi la population française (les Pieds-noirs), alla jusqu’à abriter chez lui l’un de ces terroristes meurtriers du FLN, Hadjadj, poseur de bombes notamment sous l’estrade d’un orchestre de jazz au casino de la Corniche à Alger le dimanche 4 juin 1957 : huit civils français morts dont trois enfants, et quatre-vingt douze blessés dont une quarantaine de femmes.

Sous un gouvernement socialiste

Lors de l’enlèvement le 11 juin 1957 et la probable torture à mort (à la villa algéroise El Biar) du jeune mathématicien Maurice Audin, par une armée soudain investie d’un pouvoir de police (principe de l’« arrestation-détention », « pouvoirs spéciaux » confiés par voie légale), à une période de l’histoire des événements (on ne parlera de guerre d’Algérie qu’en 1999), « la Bataille d’Alger », le gouvernement de la France est socialiste, placé sous la houlette de Guy Mollet. Le ministre Résident chargé de l’Algérie est le socialiste Robert Lacoste, son Gouverneur général jusqu’au 13 mai 1958. Partisan du maintien de l’Algérie française, le FLN est l’ennemi qu’il combat. François Mitterrand est ministre d’État, en charge de la Justice et garde des sceaux jusqu’à cette date (et il a déjà autorisé l’exécution capitale de près de deux cents terroristes ou réputés tels du FLN). Le président du Conseil est Maurice Bourgès-Maunoury, le ministre de la Défense nationale et des Forces armées est André Morice, et le ministre de l’Intérieur se nomme Jean Gilbert-Jules. Tous trois sont des radicaux de gauche partisans eux aussi du maintien de l’Algérie française. Ils agissent en donnant pouvoir à l’Armée d’empêcher des exactions terroristes criminelles. Et arrêtent Audin dans des conditions encore opaques. Parce que celui-ci incite à la liquidation de Français, les Pieds-noirs, au nom du FLN, il apparaît clairement comme un traître à la Nation.

Distinguons famille et nation

Que le locataire actuel de l’Élysée, Emmanuel Macron, fasse acte de repentance au nom de tous les Français en demandant pardon à la veuve de Maurice Audin est juste et bon, loyal à retardement, mais nécessaire : l’Armée n’avait pas à se livrer à des actes de torture. Il s’agissait là d’un « crime de guerre ». Qu’il demande pardon pour l’assassinat d’un traitre à sa patrie laisse en revanche perplexe. Nous nous garderons d’évoquer le réflexe de repentance que ses trois prédécesseurs au Palais (moins atteints de jeunisme et d’ignorance des profondeurs de la guerre d’indépendance) ont maintenu à distance respectable de leurs discours (je tairai aussi la déclaration excessive que fit M. Macron à propos de la période de l’Algérie coloniale, la comparant à un « crime contre l’humanité »).

Surtout, le président oublie de demander pardon à beaucoup d’autres victimes directes ou indirectes de l’action ou de l’inaction de l’Armée française, des Gardes mobiles, des CRS… Exiger pardon est dans peu d’esprits, sauf lorsqu’une affaire comme celle-ci surgit.

Tragédie d’Oran

Un seul exemple : le 5 juillet 1962 à Oran, lors que la « guerre d’Algérie » est terminée puisque le pays a recouvré son indépendance depuis deux jours à peine, que le « cessez-le-feu » a été proclamé depuis le 19 mars (mais qu’il fut plusieurs fois violé, notamment le 26 mars, rue d’Isly à Alger), plusieurs centaines, voire un millier d’Oranais sont massacrés par une foule gorgée de haine. La plupart sont assassinés à l’arme blanche ou à feu, pendus à des crocs de boucher, torturés, les femmes sont violées avant d’être égorgées, tous sont raflés, nombreux seront déclarés « disparus » et nul n’eut jamais plus de leurs nouvelles… Leur faute ? Être Français, Pieds-noirs, et encore là à attendre de la place sur un bateau de fortune pour fuir (c’est la période « la valise ou le cercueil »). L’Armée, placée sous les ordres du général Katz, ne bougera pas le petit doigt, et les soldats qui en remueront un par pitié et humanité seront mis aux arrêts (lire mon article paru dans Le Monde en 2012, puis dans L’Express en 2014 sur cette journée particulière). Ne faudrait-il pas qu’Emmanuel Macron fasse amende honorable face à cela au lieu de se contenter de demander pardon à la veuve d’un traitre à figure d’ange (il ressemble à Federico Garcia Lorca sur la photo qui circule), ce qui augmente la compassion générale façon Che Guevara, depuis le 13 septembre dernier. Audin n’est pas un cas isolé. Il y eut des dizaines d’Audin torturés à mort au cours de la funeste Bataille d’Alger, et aussi après elle, ailleurs en Algérie. Audin est un symbole, une victime porte-drapeau au nom de toutes les autres ayant subi l’immonde. Mais la victimisation, comme la culture de l’excuse permanente, sont devenues politiquement friendly

Le coup de com permanent

Cette mascarade aux relents de coup de com va par conséquent plus loin. Nous voyons resurgir le spectre de la repentance calculée, celui du sentiment (très tendance) de culpabilité, le « culpabilisme » étant devenu un mal français qui arrange à bon compte nombre de consciences intranquilles, et dont la mécanique repose sur la stigmatisation du coupable au risque d’oublier la victime. Ou bien est-ce celui de l’autoflagellation du petit-fils imaginaire d’un supposé « colon ayant fait suer le burnous » en la personne dématérialisée et jupitérienne d’un président en mal de points dans les sondages, et que l’on imagine murmurant, à l’issue d’une réunion avec des faiseurs de buzz : ç’est bon ça, on y va! C’est léger, mais lourd de conséquences dans les mémoires encore à vif en raison de plaies qui refusent obstinément de cicatriser. Car M. Macron n’a pas eu le moindre mot à l’adresse des victimes françaises d’un terrorisme activement soutenu par M. Audin. Sa façon de faire vibrer la corde du ressentiment fait par conséquent honte, puisqu’elle semble d’une part gouvernée par une tactique politicienne, et qu’elle reflète opportunément une pathologie largement partagée et exploitée avec cynisme, d’autre part. En mal de voix, M. Macron rameuterait celles des rares communistes du pays et aussi celles, autrement plus nombreuses, des Algériens français.

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est journaliste et écrivain.

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