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Marine ou le Pen ?


Marine ou le Pen ?

Il y a, pour l’autre gauche, c’est à dire celle qu’incarne ces temps-ci le Front de Gauche (PCF, PG, GU et nombres d’associations), un véritable danger et ce danger, c’est Marine Le Pen. Entendons-nous bien, nous allons parler ici cyniquement, c’est-à-dire tactiquement et éviter tant que faire se peut la moraline pour mieux sauver, pour plus tard, la morale. Mao remarquait que la révolution n’est pas un dîner de gala et c’est pourtant à un gala que nous invite Marine Le Pen, ne nous y trompons pas. Je suis assez effondré, pour tout dire, par l’erreur d’analyse que révèlent les réactions à la « sortie » de Marine Le Pen sur l’occupation musulmane que représenteraient les prières dans la rue.

En attendant le 16 janvier

Ce qu’elle a dit, en l’occurrence, elle l’a d’abord dit ad usum Delphini : pour ceux qui l’auraient oublié, rappelons encore une fois qu’elle est engagée dans une campagne interne pour la prise du contrôle du Front National, le 16 janvier, lors d’un congrès …à Tours ! Ironie de l’histoire, il y aura pile 90 ans à Noël, lors d’un congrès autrement plus célèbre, les délégués de la SFIO décidèrent majoritairement de faire naître un véritable parti communiste, fidèle à la IIIème internationale sous le nom de SFIC puis bientôt de PCF.
Je ne sais pas si le congrès de Tours de l’extrême droite donnera lieu à une scission aussi spectaculaire et engagera pour le siècle à venir la physionomie du national-populisme à la française, mais ce qui est certain c’est que cette victoire annoncée de Marine, cette promenade de santé parmi des militants tous extatiques n’est pas aussi évidente qu’on l’entend dans les médias.

Autour de Gollnisch, qui dispose encore de sérieux alliés dans l’appareil, se sont agglomérés tous ceux qui ne veulent pas voir le Front finir comme le MSI italien qui à la force de mutations successives est devenu un parti de centre droit.
Et ça fait du monde : Marine a contre elles toutes les dissidences du temps de son père comme ce parti de France de Carl Lang qui a multiplié les tentatives d’entrisme. Elle a aussi contre elle la presse dite « nationale ». Elle a été lâchée par Minute et dans Rivarol, depuis que l’hebdo old school préféré des vieux collabos est passé sous le contrôle de Jérôme Bourbon qui a dû prendre des leçons d’hystérie intégriste chez Savonarole, elle est devenue l’objet d’une haine pathologique qui la place à mi-chemin de Lilith et de la grande putain de Babylone.

La violence verbale de ces gens-là est toujours étonnante.
Elle a aussi vu, depuis qu’elle lâche du lest sur les questions ethniques, parce que précisément elle comprend où sont les vraies insécurités en France pour les Français qui en souffrent vraiment, pousser sur son côté droit le chancre d’une candidature à la présidentielles du Bloc identitaire de Fabrice Robert qui annonce avoir trouvé son Kennedy pour Blancs définis comme formule sanguine, sous la forme d’un jeune homme boutonneux qui s’est proclamé « autochtone européen » dès sa première conférence de presse sans doute pour ne pas s’aliéner le vote rital, portos, polack et espingouin qui restent malgré tout des Blancs et des Européens, même s’ils sentent un peu trop l’huile d’olive et le cornichon salé et qu’en plus ils sont catholiques alors que chacun sait que la vraie religion européenne, ce n’est pas celle du vilain Nazaréen mais celle qui consiste à danser tout nu autour des menhirs de Carnac à chaque solstice, avec du gui dans les cheveux, genre « amusons nous à une sortie éducative avec Pierre Vial de Terre et Peuple. »

Renâclements catholiques

Si vous ajoutez à cela les renâclements des catholiques durs du Front contre Marine l’avorteuse, même en admettant que papa ait bien verrouillé l’affaire, rien n’est donc joué à ce Congrès de Tours.

Car le Front national fait aussi de la politique, lui. C’est à dire qu’il n’organise pas des guignolades comme des primaires ouvertes à tous. Même si c’est très mode, les primaires, le Front reste un parti à l’ancienne. En 1981, si le PS avait organisé des primaires, c’est Rocard qui les aurait gagnées et qui aurait perdu face à Giscard. Mais à cette époque, au PS, c’étaient les militants qui décidaient. Et les militants étaient encore de vrais militants et discutaient dans des réunions. Ils ne se faisaient pas une religion en écoutant les sondages. Un militant politique n’est pas là pour suivre le réel fugitif de l’opinion, il est là pour la créer, l’opinion, la convaincre. C’est même pour ça qu’il a pris une carte et est à jour de ses cotisations. Mais le PS est-il encore un parti où les militants sont des militants ? Ce n’est plus sûr du tout depuis 2007 où ils ont désigné Ségolène Royal parce que c’est ce que la télé disait de faire alors qu’elle était la seule certaine de se faire battre quand, sur la longueur d’une campagne et au cours d’un débat frontal, Sarkozy aurait eu beaucoup plus de mal avec un Strauss-Kahn ou Fabius.

Tout cela, Marine Le Pen le sait. Elle a une vraie intelligence politique sur ce coup-là. Son congrès de Tours, il y a de fortes chances qu’elle le remporte mais enfin avec les paramètres que nous venons d’évoquer une mauvaise surprise est toujours possible.

Faire du Le Pen ou faire du Marine ?

Alors, Marine Le Pen fait du Le Pen et non du Marine. Et ça va continuer jusqu’au 16 janvier. On peut parier sur une ou deux autres déclarations tonitruantes de sa part sur la peine de mort, par exemple ou le lien délinquance-immigration. Histoire de blinder l’appareil du Front et de calmer les langueurs militantes. Il lui faut surtout aussi faire oublier qu’elle appartient au bout du compte à la génération Cécile Duflot et que l’avortement, les familles recomposées, l’homosexualité et donc aussi l’abolition de la peine de mort ne lui posent plus aucun problème.
C’est pour cela que l’on peut être un peu consterné par les réponses indignées, vertueuses, « antifascistes » qui ont été apportées à Marine Le Pen. Elles sont dans la tradition la plus purement stupide du combat contre le FN depuis trente ans, combat qui a donné les brillants résultats que l’on sait puisque le Front national se porte toujours aussi bien après avoir été donné pour mort au moins dix fois.

On pense à ce film de Pierre Tchernia, Le Viager, quand une famille achète une maison à un vieillard mourant qui ne meurt pas mais au contraire va de mieux en mieux. Mitterrand avait compris que la rigueur de 1983 ne passerait pas auprès du monde du travail. Pour faire oublier la libéralisation de la société française, bien réelle, a inventé sa fascisation en réanimant une vieille boutique droitarde fondée en 72, le FN, et en inventant les antifascistes qui allaient avec, ceux de SOS Racisme. Comme ça, le faux clivage ethnique devenait un moment du vrai problème économique qui passait au second plan.

Une bonne giclée de moraline

Trente ans après ou presque, on en est au même point, à la même grille de lecture et aussi imparfaites soient-elles, les analyses de Perrineau sur le gaucho-lepénisme sont à peine prises en compte car on ne doit pas dire que des ouvriers de gauche se sont mis à voter Le Pen quand il ne se sont pas réfugiés dans cette auto exclusion que représente l’abstention pour les couches populaires.
Alors quand Marine Le Pen parle de l’occupation musulmane, la gauche morale, celle qui a laissé se transformer un groupuscule des années 70 en éventuel parti de gouvernement reprend une bonne giclée de moraline et se rassure : « Tu vois, elle est comme son père, facho et compagnie » alors qu’il aurait fallu lui dire que ce n’était qu’un positionnement interne. De même, quand elle est régulièrement à quelques dizaines de voix de la mairie, voire de la circonscription d’Hénin-Beaumont, l’urgence n’est pas de faire du spectacle de rue antifasciste avec des clowns citoyens et des post brechtiens concernés, c’est d’écouter ce qu’elle dit sur la fierté ouvrière, les délocalisations, les salaires trop bas, la précarité et de dénoncer la captation thématique, la triangulation idéologique, en rappelant que dans le Conseil régional où elle siège, elle milite comme une banale ultralibérale pour l’allègement des charges des entreprises, notamment dans l’affaire de la fermeture de la raffinerie Total à Dunkerque.

Voilà, j’espère, comment l’autre gauche, celle qui se souvient de ce que sont des classes sociales, de la différence qu’il y a entre avoir le sentiment d’appartenance à l’une de ces classes et la conscience politique d’en faire partie, va enfin combattre Marine Le Pen sur le seul terrain qui vaille : celui de l’affrontement idéologique dur, programme contre programme.

Et Marine Le Pen apparaitra pour ce qu’elle est vraiment : non pas une raciste islamophobe qui peut faire un sujet de chanson pour rappeuse bobo finissant voilée mais le visage souriant, modernisé, du néo-libéralisme qui a de plus en plus besoin, paradoxalement, d’un tour de passe-passe nationaliste pour faire passer la mondialisation malheureuse.



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