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La foi du menuisier*


La foi du menuisier*

Si j’avais été sondé sur Nicolas Sarkozy ces derniers mois, j’aurais fait les mêmes réponses qu’en 2007. Je suis plutôt soulagé de le voir président et même « omni-président » si on veut et je préfère encore sa politique à celle que nous promettent tous les autres présidentiables.[access capability= »lire_inedits »]

On peut imaginer une France menée par Ségolène Royal en pleine crise financière, par Mélenchon soumis au chantage des dockers, par Dupont-Aignan pris de gaugaullisme buté face à l’OTAN, plantant les Américains en Afghanistan, par Strauss-Kahn « régulant » l’immigration et combattant le crime ou par Marine le Pen creusant le déficit commercial. On peut penser à ceux-là et à tous les autres en réformateurs du système des retraites ou dégraisseurs de mammouth, une conclusion s’impose : ça pourrait être pire. En politique, il faut choisir le moindre mal. Voilà pourquoi je continue à soutenir Sarkozy.

« Un président qui néglige Madame de La Fayette pour reluquer les top-models, ça irrite »

Comme soutenir Sarkozy, c’est s’opposer à ses opposants, je le soutiens souvent plus que de raison et je crois bien que la meute repoussante qui le harcèle m’a un peu poussé en sarkozysme. Toutes les aristocraties françaises enragent de voir un parvenu, presque un usurpateur, à la fonction suprême. Les mandarins se déchaînent et affichent un mépris sans faille. Un président qui néglige Madame de La Fayette pour reluquer les tops-models, qui parle comme un manager et qui nomme les choses comme tout le monde les comprend, ça irrite Badiou et Villepin, Todd et Badinter – et même Elisabeth Lévy et mes autres camarades de Causeur. Un président élu par les nouveaux riches, ceux qui n’ont pas hérité, et par tous ceux qui aspirent à gagner plus, ça fait vulgaire. Un chef qui rigole avec Barbelivien et Bigard, ami des beaufs travailleurs ou richissimes, ça fait tache dans les pages de Charlie Hebdo et dans celles du roman national. Le style de Sarko réveille les « Nadine de Rothschild » qui sommeillent au fond des esprits les plus fins. Ils exigent par-dessus tout et avant tout le respect des bonnes manières. Un président qui bouscule les usages et qui dit des gros mots, c’est un voyou.

Il y a dans l’antisarkozysme un snobisme qui me rend Sarkozy sympathique. Quand Sarkozy est pris de haut, ça me gêne et je suis avec lui. Solidarité de classe sans doute.

Le style de Sarkozy ne me dérange pas et, surtout, ne me regarde pas. Je me fous que les écrivains regrettent Mitterrand et que David Douillet regrette Chirac. Plus qu’un président romanesque, j’attends un homme d’action, un chef d’Etat qui fasse le boulot, qui annonce le cap et qui tienne la barre. Un dirigeant qui reste « droit dans ses bottes » et ne recule pas. Pour de vrai.
Sarkozy est connu pour ses annonces musclées et peu apprécié dans cet exercice. Je le trouve, moi, plutôt bon dans cette partie du boulot. Avec le kärcher ou les Roms, la délinquance liée à l’immigration, l’échec de l’intégration ou l’identité nationale, on n’est plus dans « l’approximation sémantique[1. En 1995, quelques jours après l’élection de Jacques Chirac, son entourage expliquait que la « fracture sociale » faisait partie des « approximations sémantiques » de la campagne] ». On est sorti du « ni, ni » dans le dialogue social et on roule du tambour dans la lutte affichée contre le crime. C’est une musique qui ne suffit pas à mon bonheur mais qui y contribue. Quand on nomme les choses au sommet de l’Etat sans trop de diplomatie, sans trop se soucier de choquer Newsweek ou les commissaires européens, c’est un début encourageant.

Mais un début, ça ne suffit pas et certains jugent un peu vite qu’il n’y a jamais de suite dans les idées de Sarkozy ou, en tout cas, pas assez pour apporter aux maux défiés par le verbe des traitements efficaces et des résultats chiffrés, pour reprendre le vocabulaire du pragmatique président. Comment savoir si les changements promis vont advenir ou si ce ne sont qu’illusions et manœuvres politiciennes ?

Les protestations sont un indice précieux. Pour apprécier la gouvernance sarkozyste, il faut savoir entendre la grogne du corps des fonctionnaires qu’on réduit, les grévistes qu’on prive du droit de grève absolu, la colère des salariés qui vont devoir travailler plus pour vivre plus, les insultes des racailles qu’on stigmatise et d’un islam radical qui n’est pas le bienvenu, le râle des juges qu’on rappelle à l’ordre et qu’on invite, en durcissant les lois, à rendre la justice au nom du peuple français, l’indignation en boucle des humanistes antiracistes contre les frontières et pour les sans-papiers face aux traques et aux rafles.

Il faut entendre ces Français sensibles à la politique de Sarkozy se plaindre pour être convaincu que les choses avancent dans le bon sens. Seraient-ils aussi remontés s’ils n’étaient un peu bousculés par le pouvoir pour moins de dette, moins de privilèges, moins de crimes et plus de souveraineté ? Pourquoi tant de haine si Sarkozy dirigeait la France pour présider à son sommeil ?

Doit-il s’affranchir des médias, des conseils des Sages, des lois, de la Constitution, de l’Europe et de l’opinion ?

Ceux qui pensent que le président en fait beaucoup trop sont violents dans leurs critiques, presque autant que ceux qui trouvent qu’il ne fait pas grand-chose. À la droite du pouvoir, on s’impatiente. Le redressement attendu est lent, on peut à peine l’observer à vue d’œil. Faut-il bousculer un peu plus fort ? La société française semble pourtant au bord du seuil de tolérance. Sarkozy doit-il, pour retrouver les déçus du sarkozysme dont il m’arrive de faire partie, aller plus vite et plus loin ? Doit-il s’affranchir des médias, des conseils des Sages, des lois, de la Constitution, de l’Europe et de l’opinion pour réduire le crime, choisir l’immigration, libérer et protéger la production , réformer efficacement, en fait, faire le boulot vraiment ? Il m’arrive de le penser.

Même un omni-président ne peut exercer le pouvoir contre les contre-pouvoirs et quand la majorité propose les lois les plus timides, il n’est pas rare que le Conseil constitutionnel les trouve inconvenantes. Quand les flics de Sarkozy arrêtent des clandestins ou des délinquants, des juges les relâchent. Quand le pouvoir raccompagne les Roms chez eux, dans le cadre d’une généreuse politique de prévention de la délinquance, quelle levée de boucliers ! Alors, le président est-il le seul coupable quand il déçoit ? Peut-on lui reprocher de ne pas faire ce qu’il dit ? Souffrons-nous de trop ou de pas assez de sarkozysme ? Peut-on en même temps se méfier de son pouvoir, en dénoncer les abus, et lui reprocher son impuissance ?

La France schizophrène qui veut tout et son contraire râle contre Sarkozy. La majorité des Français qui fait les élections veut du produit chinois mais de l’emploi français, une sécurité sans répression, des services publics sans impôts, la pérennité d’un Etat social sans réformes, et de l’omelette sans casser des œufs. Toujours déçus par les arbitrages qui privent forcément les uns de ceci et les autres de cela, les Français sont nombreux à crier aujourd’hui : « Aux chiottes l’arbitre ! » Mais bon gré mal gré, le pays devient réformable. Ce n’est pas rien.

Paratonnerre de toutes les colères françaises, présent sur tous les fronts, Sarkozy concentre aujourd’hui toutes les impopularités mais l’alliance des mécontents ne fait pas un gouvernement. Lui, si. Et en équilibre entre ce qu’il peut faire à droite, ce qu’il peut faire à gauche et ce qu’il doit à la France, il ne se débrouille pas si mal.

*Pour ceux qui l’ignorent, Cyril Bennasar est menuisier[/access]

Décembre 2010 · N° 30

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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