Une seule solution, la démondialisation


Une seule solution, la démondialisation
Manifestation à Nantes (Photo : SIPA.00746210_000011)
Manifestation à Nantes (Photo : SIPA.00746210_000011)

Le contenu du projet de loi El Khomri ne devrait étonner personne. Ce texte s’inscrit dans un long et vaste mouvement de dérégulation du marché du travail entamé dès la seconde moitié des années 1970, lorsque les premiers effets de la concurrence internationale – que l’on appelait alors la « contrainte extérieure » – commencèrent à toucher l’Europe de l’Ouest. Ressassé depuis une quarantaine d’années, l’argument est toujours le même : pour gagner en compétitivité, il faut flexibiliser le marché du travail. C’est-à-dire accéder aux demandes du grand patronat, même si les précédentes mesures en ce sens n’ont produit aucun résultat sur l’emploi. Peu importe, puisque la classe dirigeante considère que si le libéralisme ne fonctionne pas, c’est parce que nous ne sommes pas allés assez loin dans l’ultralibéralisme.

Le préambule du projet porté par le gouvernement de Manuel Valls estime que « nos modes de régulation des relations du travail, hérités de l’ère industrielle, ont été réformés à de multiples reprises, mais sans jamais être véritablement refondés ». Or, « la mondialisation, la part croissante des services dans notre économie » ont introduit de profonds changements. Surtout, d’après ses rédacteurs, « le numérique bouleverse un à un tous les secteurs économiques et change la vie quotidienne au travail ». Ce serait donc l’informatisation de la société, le développement du commerce en ligne, l’apparition d’Uber ou de Airbnb, qui justifieraient de réduire encore le périmètre du droit du travail pour gagner en compétitivité.

Le projet de loi El Khomri reprend à son compte, presque mot pour mot, l’analyse de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Pour ces inconditionnels du libéralisme, « la mondialisation 2.0 accentue la fragmentation du processus de production, dont les étapes intermédiaires sont réalisées par des fournisseurs différents, avec une interconnexion des emplois par-delà les frontières via les chaînes de valeur mondiales »[1. Stefano Scarpetta, Directeur, Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, « Quel avenir pour le travail ? » http://www.observateurocde.org/]. Rien de nouveau, donc, si ce n’est que le développement des réseaux accélère encore la mondialisation et rend la concurrence internationale toujours plus violente.

Ce qu’il faut rappeler, c’est que face à cette réalité – la mondialisation –, deux réponses sont possibles. La première consiste à accepter la concurrence internationale comme on accepte le fait que la Terre soit ronde, qu’elle tourne et qu’il y ait des saisons. Si la concurrence est un phénomène inévitable, alors, effectivement, il faut chercher à gagner en compétitivité. Il faut tenter de rivaliser avec le modèle chinois ou indien, qui fait l’économie de quasiment toutes les protections sociales et environnementales, qui ne connaît pour ainsi dire pas la grève. Il faut être concurrentiel face au travail détaché permis, sans surprise, par l’ultralibérale Union européenne. Pendant que s’écrivait le projet de loi El Khomri, l’Urssaf et l’Inspection du travail contrôlaient une société hongroise qui intervenait sur un chantier photovoltaïque en Gironde : rémunérés huit heures pour une durée effective de travail de 11 heures 30, six jours sur sept, les salariés détachés touchaient 2,22 euros de l’heure[2. « Gironde. Les ouvriers travaillaient 6 jours sur 7 pour 2,22 € de l’heure », Sud-Ouest, 29 novembre 2014.]. Voilà vers quoi nous mène, lentement mais sûrement, la « refondation » du travail dans un contexte de mondialisation.

Aucune loi naturelle ne dit que nous devons sacrifier nos emplois

La deuxième façon de réagir est au contraire de refuser la concurrence internationale, d’en sortir. J’ai conscience du caractère quasi inconcevable de cette affirmation. On nous a tellement présenté cette concurrence comme un phénomène naturel que nous l’avons intégré à notre imaginaire social. Pourtant, aucune loi naturelle ne dit que nous devons sacrifier nos emplois pour acheter moins cher des produits issus de délocalisations.[access capability= »lire_inedits »] Aucun principe physique ne conduit à la destruction des acquis sociaux en Europe, alors même que les acquis sociaux pour les classes populaires ne progressent pas d’un iota dans les pays à bas coût de main-d’œuvre. Depuis les années 1970, nos dirigeants successifs, de droite ou prétendument socialistes, ont fait le choix de la mondialisation. Mais ce choix, nous pouvons le défaire.

Comment ? En instaurant du protectionnisme, bien sûr, de façon à produire localement ce qui peut l’être. En sortant de l’euro, cette monnaie unique surévaluée, conçue dans la plus pure logique libérale, et qui nous place sous la tutelle des marchés financiers. En sortant de l’Union européenne qui, directive après directive, impose les dogmes ultralibéraux et interdit aux États de créer du droit qui ne serait pas compatible avec eux. Cette rupture avec l’ordre économique porte un nom : la démondialisation. Pas celle, en plastique, d’Arnaud Montebourg, qui fait semblant de croire qu’un « protectionnisme européen » est possible, mais celle du philosophe altermondialiste Walden Bello, qui a toujours pensé le protectionnisme national comme une mesure progressiste, de gauche, comme un moyen de rompre avec la domination des grandes entreprises et de la finance.

Cette démondialisation de gauche n’a rien à voir avec son pendant de droite. Il ne s’agit pas de restaurer la compétitivité de la France dans une concurrence internationale inchangée. Il ne s’agit pas de renouer avec les Trente Glorieuses et leur productivisme aveugle. Il s’agit d’en finir avec la concurrence et de la remplacer, progressivement, par d’autres relations entre États, fondées sur la coopération.

Ce qui fait toute la complexité de la tâche, mais qui lui confère en même temps une incroyable puissance, c’est le fait que la France se trouve au cœur de la mondialisation. En dépit de tous les discours débilitants sur le déclin français, nous disposons du quatrième réseau de multinationales au monde. Imaginons un instant que nous prenions le contrôle social de ces firmes en expropriant leurs actionnaires. Nous disposerions alors de tous les leviers, à la fois pour changer les choses en profondeur en France (répartir les richesses, le travail, réduire la consommation mais améliorer de façon spectaculaire la qualité de vie…), mais aussi pour transformer nos relations internationales dans un sens progressiste. Impossible ? Non. Seulement impensable, car nous avons perdu l’habitude de penser en dehors du cadre qui nous est imposé.[/access]

 



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Avril 2016 #34

Article extrait du Magazine Causeur



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est l'auteur de "La Gauche radicale et ses tabous", Ed. du Seuil (2014).

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