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Lettre à Elisabeth et à sa bande


Lettre à Elisabeth et à sa bande

Après une assez longue absence, je suis revenu à ce Causeur où j’ai naguère épisodiquement publié. Je dois le dire, puisque cette missive s’adresse à des amis du franc-parler, cette reprise de contact me laisse dubitatif et même inquiet sur les échanges que peut produire ce genre de salon. Peut-être en effet est-ce le genre qui est en cause, à savoir la presse internet. Marianne2 me semble radoter et l’épisodique lecture de Vendredi m’a déçu. Tout cela, du moins presque tout, est terriblement attendu, attendu comme ce qui est « entre soi ». En quittant le papier ce n’est pas l’azur infini qui s’est ouvert, c’est dans le plaisir de la complicité qu’on s’est enfermé.

Dans Causeur on trouve certes de l’inédit et du stimulant comme les mésaventures algériennes de Pascal Boniface ou l’interview d’Emmanuel Todd. Mais trop souvent, on est dans la reprise, critique et décalée mais reprise, d’un flux médiatique à quoi on est déjà trop exposé. La connerie installée m’ennuie définitivement, à la voir épinglée je n’éprouve ni plaisir ni soulagement. Certes vous le faites avec plus de brio et d’insolence que d’autres, mais la provoc et l’insolence sont des remèdes bien éventés, valeurs de référence désormais pour le journalisme le plus moutonnier se vante. Dénoncer ? Désosser ? La question est plutôt de savoir pourquoi « cela » est installé. C’est comme ceux qui épient et houspillent un Sarko supposé seul responsable de la panade commune. Pourquoi la bonne conscience niaise est-elle le destin du langage public dans nos (post ?) démocraties ? Je n’ai pas de réponse, mais je pense que la polémique n’a d’intérêt que si elle ouvre des horizons, et pour cela qu’elle s’émancipe de son point de départ, qu’elle le laisse derrière elle.

Sur Gaza malheureusement, Causeur a fourni des exemples de cette contre-connerie devenant le symétrique de ce à quoi elle s’en prend. A Gaza, les journalistes occidentaux sont naïfs, paresseux, manipulés, tenus en laisse… donc (la conséquence est admirablement gribouillesque) Israël doit être loué de nous épargner une info pareillement viciée. Si, comme le dit avec raison Jérôme Leroy, le pouvoir amoureux de lui-même produit de l’anarchie, la critique libertaire, installée dans son unilatéralisme, peut de son côté produire un conformisme cynique. A vrai dire, je vois là deux formes de la désespérance où nous baignons. Ce ne sont pas seulement les perspectives, comme on dit, qui manquent, c’est le réel qui paraît s’échapper, se défaire dans l’incohérence. Le réel, je n’ai d’ailleurs pas très envie de lui courir après, la méthode cartésienne me paraît plus de saison (non seulement à cause de la froidure ambiante) : rentrer dans son poêle et chercher la cohérence d’abord en soi.

Pour en revenir à Gaza et aux inconvénients de se polariser sur l’adversaire, j’ai été, je reste, choqué par la démystification unilatérale de Gil Mihaely. Bel effort certes pour démonter les idées reçues et montrer la complicité tacite contre le Hamas de nombre d’autorités arabes. Mais, d’abord, ce n’est pas très neuf (je veux dire le fait de la complicité anti-palestinienne) et cela n’a pas fait avancer la solution du problème, au contraire. Surtout, le silence fait sur la politique israélienne est une manière de disculpation a priori de celle-ci : pas la peine d’en débattre, ce sont eux, les autres, avec leurs pathologies, qui sont tout le problème. Pourtant au Moyen Orient comme ailleurs la politique se fait à plusieurs, c’est un entremêlement où les ennemis sont inévitablement, pour une part, ce que nous avons fait d’eux. C’est pourquoi nous sommes responsables de nos ennemis.



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Essayiste, théologien, président des amitiés judéo-chrétiennes, Paul Thibaud a dirigé la revue Esprit.

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