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Le téléphone pleure


Le téléphone est un outil très utile. Il permet de faire des canulars – dont le potentiel comique est illimité (nous ne saurions trop conseiller à ceux qui les ignoreraient d’écouter ceux de Francis Blanche…), il nous permet de conter fleurette à distance à celle que l’on aime, il permet aux policiers brutaux de faire parler les plus récalcitrants (en exécutant un grand geste de haut en bas), il est utile de manière générale aux inspecteurs du fisc, aux grands-mères de province, aux escrocs qui souhaitent nous vendre des vérandas le samedi matin et même aux plus hautes personnalités du pays qui ont un téléphone rouge – permettant de parler directement avec Ronald Reagan ou Leonid Brejnev. Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : ils n’ont pas appelé leur groupe de rock « démonte-pneu » ou « plaque d’égout » !

Jadis les téléphones étaient partout ! Téléphoner dans un troquet était parfaitement possible, mais exigeait de demander au barman des « jetons de téléphone ». C’est un rituel qui s’est perdu. Les cabines fleurissaient partout. On les nourrissait avec des pièces de monnaie, ou des télécartes© – mais si, souvenez-vous de cet accessoire indispensable de l’homme des années 90, fonctionnant   grâce à une carte à puce (cette gloire technologique française, à l’instar de la potée auvergnate). Tout ceci est bien loin. Un déchirant article d’Ouest-France nous apprenait, le week-end dernier, que le  démantèlement du réseau des cabines téléphoniques est en marche. Ringardisées par les téléphones portables, ces cabines – qui nous permettent encore de nous abriter utilement de la pluie – vont donc peu à peu disparaître du paysage urbain. Le journal du grand Ouest proposait le portrait des débonnaires « déboulonneurs » de cabines bretonnes, travaillant pour un sous-traitant privé de France Telecom (la vénérable entreprise, certainement honteuse, ne veut même pas réaliser les basses œuvres elle-même…).  « Leur tableau de chasse : 222 cabines arrachées depuis la mi-avril. Explication : ‘Des travaux des mairies gênés par les cabines, et elles ne sont plus rentables’ (précise un « déboulonneur ».) Une cabine n’est utilisée qu’une minute par mois en moyenne, les entretenir ne vaut plus le coup . » Déchirant. Le reportage fait aussi état de la nostalgie des passants, qui aimeraient qu’on laisse ces vestiges d’autrefois en paix, qu’on sache apprécier le charme désuet et un peu absurde de leur inutilité. Peine perdue. La fin de l’histoire est téléphonée…

Le coupable, l’infâme qui a eu la peau des cabines téléphoniques d’antan on ne le connaît que trop bien… c’est le radiotéléphone portatif, à qui l’époque voue un culte sans borne. On apprend dans les pages de Nice Matin que l’Eglise catholique bénît à présent les téléphones portables – équipement placés naturellement sous la haute protection de l’archange Gabriel, saint patron des transmissions : « Téléphones portables et tablettes étaient les bienvenus, hier, dans la maison du Seigneur. À Nice, le médiatique père Gil Florini a, en effet, béni ces objets.» Des tables de la loi aux tablettes tactiles… « Et si, au-delà du buzz médiatique, cette bénédiction des téléphones sonnait l’heure d’une réflexion. Interrogeait notre rapport aux nouvelles technologies ? » se demande gravement le journal régional, qui précise que l’événement a été diffusé en mondovision : « La bénédiction des portables a été retransmise en direct sur le site Internet de la paroisse »…  Après les tweets en latin du regretté pape Benoît XVI – jusqu’où ira l’Église catholique sur la voie du progrès ? -, comme disait une célèbre philosophe cathodique dont le nom m’échappe : « Non, mais allô quoi… »

 



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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