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Le génie du béhachélisme


Le génie du béhachélisme
Bernard-Henri Lévy existe : Jean-Baptiste Botul l'a rencontré.
BHL existe : BDK l'a rencontré.

Toute la ville a parlé de l’amusante affaire de mœurs philosophiques impliquant Bernard-Henri et Jean-Baptiste, son collègue en philosophie fictive. De fait, il est audacieux de s’appuyer sur les travaux d’un penseur imaginaire pour renvoyer Kant au néant. Mais à la réflexion, cette pignolade en dit plus sur l’époque que sur le seul intéressé.

Après le Carré blanc sur fond blanc et le bidet que nous fit en ricanant Duchamp, après le socialisme à visage humain et la Providence du marché, que ne saurions-nous avaler ? En d’autres temps peut-être, des penseurs moins considérables eussent pâti d’une telle bourde. Pas Bernard-Henri, et pas aujourd’hui !

Mais reprenons au début, comme disent les flics après vingt heures de garde à vue. Le 3 février donc, ce Narcisse épanoui publie simultanément chez lui (Grasset) un double miroir « réfléchissant ». Pièces d’identité compile en 1300 pages seulement les dernières fulgurances de BHL depuis trois ans. De la guerre en philosophie s’en veut le mode d’emploi. Dans ce « Manifeste pour âges obscurs » (les nôtres), l’auteur nous livre les clés de sa Weltanschaaung : la pensée, savez-vous, est un combat !

Parfois même, dans ce combat, il faut savoir affronter la réalité ! Ainsi de cette « hilarante affaire Botul », comme il dira : « Ce qui est drôle, dans cette histoire, c’est qu’on en ait fait toute une affaire ! » Jean-Baptiste Botul n’a jamais existé, et alors ? Contrairement à ce qu’en disait l’autre, l’essence précède l’existence ; or Botul a raison ; donc Botul a vocation à exister !

Le plus étonnant, pour un Persan, c’est qu’après cette ânerie revendiquée la promo de notre « guerrier philosophe » va continuer comme devant. Quotidiens, hebdos, télés et radios poursuivent même crescendo leur concert symphonique de louanges[1. Aux notables exceptions près d’Aude Lancelin, qui avait levé le lièvre dans l’Obs, de Robert Maggiori dans Libé, et bien sûr de Frédéric Botul-Pagès dans le Canard.]. Tout juste « l’affaire » fait-elle, ici ou là, l’objet d’une parenthèse ou d’une question complice… En l’occurrence, les seuls à s’être dévoués pour faire le travail que les critiques ne veulent plus faire, c’est le duo Zemmour-Naulleau dans l’émission de Ruquier[2. « On n ‘est pas couché », samedi 13 février 2010]. Bien sûr, ni l’un ni l’autre ne parviendront à coincer ce penseur volatil(e). Au moins, entretemps, aura-t-on pu comprendre pourquoi…

Naulleau attaque sur l’imposture, dont l’incident Botul n’est que la petite partie émergée : « Un culot sidérant au service d’un vide sidéral. » La formule est jolie, certes, mais elle ne fera même pas ciller l’intéressé. C’est donc Zemmour qui va se coltiner l’essentiel du boulot : pointer quelques-unes des contradictions internes qui fondent la pensée BHL. Cette « gauche mondialiste » qu’il incarne si bien, par exemple : en vouant aux gémonies les frontières, n’a-t-elle pas fourni aux capitaux et aux mafias le cadre idéologique rêvé pour envahir le terrain ?

Et que dire de sa « détestation universelle du souverainisme », qui rappelle à Levy les pires heures de Pétain et du Darfour ? Eh bien, par exemple, qu’il y fait deux exceptions notables : pour sa chère Bosnie, cette « fausse nation », et surtout pour les Etats-Unis, ce vrai empire. « En fait, du marxisme-léninisme à l’étasunisme, vous et votre ami Glucksmann êtes toujours en quête d’un Empire et d’un maître ! »

Et puis, last but but not least, il y a ce « Génie du judaïsme » auquel BHL consacre quand même 250 pages au milieu de ses Pièces d’identité. De quoi s’agit-il donc ? L’auteur se proclame « juif d’affirmation » et n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser ces « juifs d’assimilation » qui, d’Edmond Fleg à Raymond Aron, ont cru bon de « renoncer à leur identité[3. Respectivement auteurs, quand même, de Pourquoi je suis juif et de De Gaulle, Israël et les Juifs…] ». La faute à la Révolution française qui, concernant les juifs, a prétendu « reconnaître tous les droits à l’individu, aucun à la communauté.

Et la laïcité, dans tout ça ? Mais BHL en est le plus ardent défenseur, qui prône une « séparation absolue entre les convictions privées et l’espace public ». Simplement, le judaïsme c’est le contraire d’une conviction privée ! Un « trésor intellectuel universel » : « Le Talmud a quelque chose à nous dire sur le monde d’aujourd’hui. » Les amateurs de Bible, d’Evangiles et de Coran apprécieront…

Précisément, comme le fait observer Zemmour, il y a aujourd’hui en France une autre religion qui refuse aussi la séparation public-privé : c’est « l’islam d’affirmation ». « Tariq Ramadan n’est pas votre pire ennemi, c’est votre meilleur disciple ! » Mais « le judaïsme n’est pas réductible à la religion ? » – « L’islam non plus ! De toute façon, la religion ça a toujours été de la politique… » Et puis, si vous voulez tout savoir, « judaïsme et islam sont des Codes civils, ils ont même inventé la théocratie ! En tant que tels, ils risquent l’un et l’autre de se fracasser contre la République ! »

Bien sûr ce prophète de malheur[4. Comme les vrais dans la Bible.] parle à un édredon : BHL écoute à peine, répond à côté, et s’en ira content sous les applaudissements. Mais Zemmour n’en a cure, il a fait le job : pointer l’irresponsabilité consubstantielle au béhachélisme.

« Ils ont les mains propres, mais ils n’ont pas de mains », répétait-on volontiers au siècle dernier. Au XXIe, comme on n’arrête pas le progrès, c’est monté au cerveau… Prenez notre penseur mondain : à force d’empiler trente-trois ans durant incohérences et palinodies, il s’est enfermé tout seul dans un système « philosophique » aussi parfaitement inopérant qu’inattaquable. 

La réalité n’a aucune prise sur BHL, et inversement ! C’est même pour ça qu’il peut impunément contourner les plus flagrantes évidences. Jean-Baptiste existe, Bernard-Henri l’a rencontré page 122…

Mars 2010 · N° 21

Article extrait du Magazine Causeur



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