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Le gender et ses gendarmettes


Le gender et ses gendarmettes

femen fashion week

 J’ai toujours eu une sainte horreur du féminisme. Les bourgeoises libérées à la Cookie Dingler, qui sont contentes de « savoir changer une roue », et les éditorialistes faussement rebelles de Elle m’ont toujours semblé au mieux des idiotes utiles, au pire des emmerdeuses. Attention, cela ne signifie pas que je resterais volontiers à la cuisine un jour d’élection, ou que j’accepterais de servir bien gentiment un whiskey à mon mari quand il rentre du boulot, comme dans Ma sorcière bien-aimée. Non, je suis bien contente que nous, les femmes, ayons gagné le droit d’avoir une vie un peu plus stimulante. Des esprits tordus argueront qu’avoir échangé le biberon-ménage-cuisine contre le métroboulot- dodo, c’était pas bien malin, et ils n’auront pas entièrement tort. En attendant, je suis ravie de ne pas être une sous-citoyenne. Je pensais simplement qu’après avoir conquis l’égalité qui nous était due, on allait passer à autre chose.

Las, depuis une vingtaine d’années, la féministe nouvelle est arrivée.[access capability= »lire_inedits »] Et elle n’est pas contente. La féministe radicale (ou gender feminist) n’en finit pas d’annoncer en grande pompe hystérique sur les plateaux de télé que tout est encore à faire et l’ennemi encore à défaire. C’est que la lectrice d’Andréa Dworkin et de Judith Butler ne se contente pas, comme ses aînées, de l’égalité des droits, du divorce et de l’avortement. Non, elle entend lutter contre une puissance mondialisée et millénaire : l’hétéro-patriarcat. Après la mort de Dieu et de la morale, elle veut encore la mort de l’homme. Héritière de la french theory, elle a compris une chose : si c’est construit, faut déconstruire. Pour ces amazones paranoïaques, le mal n’a qu’un visage : il est mâle, blanc et, horresco referens, hétérosexuel (en 2013, quel anachronisme !). Quant à la galanterie, la grivoiserie, la drague et autres subtilités qui président aux rapports entre les deux sexes, ce ne sont que des « structures de domination symboliques » et des « stéréotypes sexistes » qu’il convient d’éradiquer.

À Sciences Po, où je poursuis depuis quelques années des études de dilettantisme subventionné, j’ai la chance de pouvoir observer de près les délires du féminisme post-beauvoirien, incarnés par le collectif féministe « G.A.R.C.E.S » (Groupement d’action et de réflexion contre l’environnement sexiste), dont les militantes s’autodéfinissent comme « hystériques, mal-baisées, émasculatrices ». Leur page Facebook est un régal que je conseille pour les jours de cafard. On y trouve des vidéos montrant les techniques de masturbation féminine (pour être indépendante à tous les niveaux), une invitation à un « pic-nic festif pour la réouverture du centre IVG de Tenon » (on ne manque jamais une occasion de se réjouir) ou encore l’organisation d’un die-in LGBT autour de la statue de Jeanne d’Arc pour manifester contre la montée du FN (aux cris de « Jeanne d’Arc était transpédégouine, elle n’aurait jamais voté Marine ! »)[1. On trouve même sur le très sérieux blog « jeputrefielepatriarcat.com » l’expression délicieuse « PdV » (pénis dans vagin) pour désigner l’acte sexuel]. N’écoutant que mon courage, j’assiste à une de leurs réunions hebdomadaires. Une dizaine de militantes étaient rassemblées dans une salle obscure du 27 rue Saint-Guillaume. Les looks vont de la classique garçonne en piercing et blouson de cuir à la minette introvertie, en passant par l’« indignée » espagnole et la Québécoise qui a fait le « printemps érable ». Zut, avec ma robe, je vais me faire repérer, mais non, d’autres arrivent, sapées en mademoiselles. Il est toléré de s’habiller en fille, c’est déjà ça. Assises en cercle comme dans une réunion des alcooliques anonymes, elles prennent la parole à tour de rôle suivant l’ordre dans lequel elles ont levé la main : pas de programme, pas de chef, pas de hiérarchie, ici on est « autogéré ». L’association, m’explique-t-on, est née en 2010 pendant les manifs contre la réforme des retraites. Certaines militantes, s’avisant de ce que seuls les hommes s’exprimaient durant les AG, ont instauré des réunions non mixtes, histoire de libérer la parole des femmes « opprimées par la logique patriarcale ». Une militante renchérit, en rougissant : « C’est pas vrai qu’on est timides, tu vois, c’est les mecs qui nous oppressent.»

La timidité est le fruit d’un conditionnement social. Comme tout le reste. Quoi qu’il arrive, c’est pas de ma faute : tel est le leitmotiv de ces lolitas… Cette régression, brillamment dénoncée par Élisabeth Badinter dans Fausse route, s’appuie sur un dogme : la femme est victime. Et qui dit victime dit coupable… suivez mon regard. Pas d’appartenance qui tienne face à la solidarité des opprimées : « La bourgeoise du 7e arrondissement et la jeune Beurette des banlieues : même combat ! », observe Badinter. « La lutte des classes, c’est carrément dépassé », affirme pour sa part l’une des participantes à ma réunion initiatique. Le nouveau truc, c’est la « convergence des luttes », rebaptisée « intersectionnalité » : tous les dominé-e-s, femmes, pédés, trans, gouines, immigrés, sans papiers et sans-papières (sic) doivent s’unir contre cet ennemi unique. C’est ainsi : on peut être féministe et défendre le droit des femmes de se voiler. À mille lieues d’un féminisme de combat qui prendrait comme modèles la championne olympique ou la femme politique (sauf quand elle subit d’odieux caquetages sexistes), le féminisme victimaire ne connaît que la femme violée, battue, humiliée, alliée objective de l’homosexuel, persécuté comme elle par le mâle « hétérofasciste ». Il faut s’arrêter un instant sur le thème obsessionnel des violences – conjugales ou pas – faites aux femmes. Qu’on ne se méprenne pas : il faut évidemment se réjouir que des femmes violées n’aient plus honte de porter plainte, et que les agresseurs soient durement sanctionnés, peut-être même pas assez. Sauf qu’il s’agit plutôt de montrer que les femmes ne sont en sécurité nulle part. Père, frère, camarade de classe ou prof : tout homme est un violeur en puissance. Badinter montre comment les chiffres astronomiques des agressions sexuelles brandis par certaines associations féministes sont manipulés au service d’une idéologie que l’on pourrait qualifier d’hommophobe. Le blog « Je connais un violeur » a récemment fait le buzz avec cette tonitruante pétition de principe : « L’immense majorité des violeurs est un de nos proches. Ils étaient nos amis, nos partenaires, des membres de notre famille ou de notre entourage. Nous connaissons des violeurs : laissez-nous vous les présenter. » Suivent des chiffres terrifiants et plus de 800 témoignages glaçants et anonymes (donc invérifiables) qui conjuguent le pathos et l’exhibition la plus crue.

Si on ajoute que cette hargne victimaire va de pair avec « l’envie du pénal » diagnostiquée par le docteur Muray – et toujours plus impérieuse, depuis la création du délit de « harcèlement sexuel » en 1992, jusqu’à la volonté de punir le client de prostituées aujourd’hui –, on soupçonne que ce qui indispose nos guerrières, c’est la sexualité tout court, dernier refuge de la différence et de ce qu’on n’ose plus appeler la nature. Aussi faut-il impérativement réduire cette chose entre les jambes qui distingue les hommes des femmes à un simple instrument. L’acte sexuel doit être propre, transparent, démocratique, comme l’explique la consent theory, la théorie du consentement, très en vogue sur les campus américains. « Ce qu’il faut, c’est être propriétaire de son consentement », m’explique une « garce ». Intriguée, je me penche sur le compte-rendu de l’atelier « Consentement et relations sexuelles » organisé à Sciences Po. J’y apprends que la majorité de nos rapports sexuels ne sont pas consentis, dès lors que nous vivons dans un « cadre hétéronormé et héterosexiste » qui contredit nos désirs les plus profonds. Toujours la faute à cette satanée société ! Dans une sexualité apaisée, chaque partenaire demande à « chaque étape » de l’acte sexuel, si l’autre est « OK pour aller plus loin ». Il est aussi recommandé de se livrer, après l’amour, à un « petit debrief ». On suppose que ce charmant rituel remplacera la cigarette d’antan.[/access]

Photo:YAGHOBZADEH RAFAEL/SIPA. 00666100_000004.

Novembre 2013 #7

Article extrait du Magazine Causeur



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Journaliste au Figaro, elle participe au lancement de la revue Limite et intervient régulièrement comme chroniqueuse éditorialiste sur CNews.

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