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La guerre, une histoire d’hommes, de vrais


La guerre, une histoire d’hommes, de vrais
photo : US Army
photo : US Army

Janus Metz est le réalisateur danois d’un film proprement hallucinant sorti mercredi dernier : Armadillo, un documentaire d’une heure quarante qui plonge le spectateur dans la guerre en Afghanistan aux côtés d’un bataillon de soldats danois. Difficile de savoir si le film est pour ou contre l’intervention. Il raconte autre chose, les hommes, jeunes plongés dans la violence, l’ennui, l’absurdité d’un pays dont ils ne voient rien, l’envie d’en découdre, les morts et l’excitation pour le combat. Embedded, au sens propre du terme, en 2009 dans la province sud du Helmand, Janus Metz et son équipe ont patrouillé comme les autres, essuyé les tirs des talibans comme ceux dont c’est le boulot. La guerre est livrée à hauteur de rangers et de casques équipés de caméras de vision nocturne. Sans négliger une esthétique assumée du film de guerre, le vrai.
Cette année, il y aura eu, de mon point de vue, deux événements spectaculaires liés à cette guerre : l’interview du Général Mac Chrystal dans Rolling Stone, qui sera démis de ses fonctions pour avoir parlé un peu trop crûment de l’intervention et de l’administration Obama, et Armadillo. Entretien avec Janus Metz.

Pourquoi avoir fait ce film ?
Quand nous avons monté le projet qui a donné Armadillo il y a trois ans, il n’y avait pas de débat sur l’intervention internationale en Afghanistan. Tout le monde se disait que c’était une bonne chose, une chose juste, que le monde occidental aille faire la guerre et traquer les terroristes là-bas. Moi j’avais envie de prendre cette histoire par le petit bout de la lorgnette, par une approche micro-politique des faits. Et puis, comme réalisateur de film, je rêvais de me colleter à la question de la guerre : parce que derrière la guerre il y a la question de l’humanité, de la violence, de la barbarie. C’est aussi l’endroit ou comprendre comment un jeune homme peut perdre son innocence, devenir un homme. J’étais curieux de la guerre…

Comment expliquez-vous qu’on débatte aussi peu de cette guerre dans les pays qui envoient des militaires sur place ?
L’Afghanistan, c’est loin. De nos préoccupations quotidiennes, mais aussi loin de notre paysage mental. C’est un pays perdu. Et puis, les talibans sont un ennemi très arrangeant : ils incarnent l’image parfaite du terroriste, il faut les combattre pour protéger notre sécurité. Cette guerre est juste, un point c’est tout, il n’est pas question de s’interroger sur le bienfondé de notre intervention.
Sur place, les talibans sont d’ailleurs des ennemis très postmodernes. Les combats d’aujourd’hui mettent tout à distance : les équipements, les drones, les caméras et j’en passe déréalisent une partie du combat. Et en face, vous vous retrouvez avec des insurgés invisibles, des combattants fantômes, qui utilisent des techniques de combat non conventionnelles, se cachent au milieu des civils, suivent des stratégies d’insurrection qui déjouent toutes les tactiques habituelles apprises par les soldats. Je le voyais bien dans le camp retranché des Danois, Armadillo : au fur et à la mesure que le temps passait, les hommes devenaient paranoïaques, n’avaient qu’un but se retrouver en face des ennemis pour les tuer.

Justement, ces soldats Danois que vous filmez, ils n’ont l’air de rien comprendre à ce qui se joue autour d’eux…
Tout d’abord, ce sont des soldats ; ils sont là et ne posent pas de questions sur la légitimité de leur mission. Pour la plupart d’entre eux, venir combattre, c’est avant tout suivre un projet personnel. Ils apprennent à devenir des hommes, à appartenir à un groupe. Pour le reste, ils ne voient rien du pays qui de toute façon n’existe pas. Leur camp, Armadillo est un petit Danemark. Ils n’ont aucun lien avec les Afghans, même s’ils sont censés nouer des liens avec eux, et les inciter à collaborer. Pour les gosses sur place, ces soldats sont des aliens. Ils ont beau porter des armes sophistiquées, les mômes se foutent de leur gueule et se demandent ce qu’ils font là. L’incompréhension – malgré la présence d’un interprète Danois et de personnels recrutés sur place – est totale.

Le film a provoqué un énorme débat au Danemark à sa sortie
Il y a un avant et un après Armadillo au Danemark. Avant le film, les militaires dévaluaient toute tentative de discussion sur l’intervention disant, « vous ne savez pas ce que nous avons vécu sur place. » Mais nous avons vécu avec eux, nous avons fait les patrouilles, nous avons pris le temps nécessaire pour travailler. En voyant le film, les gens se sont dits que, du coup, il était peut-être compliqué de vouloir construire la paix sur les morts d’une telle guerre.
Ensuite, les autorités ont bien essayé d’arrêter le film en cours de route, quand nous avons filmé ce qui ressemble à une bavure et qu’une enquête de la police militaire a été diligentée après une opération. Mais le ministère de la Défense s’est rendu compte que le scandale aurait probablement été plus grand s’ils nous avaient interdit de continuer à travailler.
Je n’ai pas voulu faire de film contre la guerre, les militaires qui nous ont fait confiance et que nous avons filmés l’ont bien compris. J’ai vu en étant avec eux ce que c’est que repousser ses limites, l’excitation qu’il y a à approcher la mort.

Dans le fond vous décrivez plus un monde d’hommes, que la guerre stricto sensu…
Oui. Ces hommes sont là pour des raisons personnelles précises. Ils vont construire là-bas, dans les combats, leur identité entre mâles bourrés de testostérone. Ils vont avoir des amis qui vont mourir, d’autres qui vont être blessés. La plupart du temps, ils attendent dans le camp : c’était très important pour nous de montrer ça dans le film, cette vie d’attente, de tension, de déception en attendant les combats. Cette vie entre hommes, sans femmes autres que celles qu’ils regardent ensemble dans les films pornos… Les plus jeunes vont prendre modèle sur les gros durs de l’unité. Construire une masculinité indéfectiblement liée aux combats. Cette violence de la guerre, des balles qui passent près de vous, du sang, il n’y a guère que dans le sexe qu’on puisse la rencontrer. D’ailleurs, tout ramène au sexe : il faut voir comment on parle des armes, comment on les touche, comment elles sont baptisées par les soldats…
Evidemment, après une telle expérience, c’est très difficile pour eux de revenir à la réalité, à la banalité de l’existence. Leurs petites amies sont ennuyeuses, rester à la maison à regarder la télé, quel intérêt ça peut avoir ? La guerre simplifie les choses, c’est blanc ou noir. On tire, ou on meurt. Tout a un sens direct, alors qu’une fois rentré au Danemark, la vie est un poil plus complexe. La plupart des jeunes que nous avons suivis vont repartir sur place l’an prochain, pour une nouvelle mission.

Armadillo est-il un film pour ou contre cette guerre ?
Je ne sais pas ; c’est un film qui explore la zone grise de la guerre et qui raconte les choses depuis le sol. Il n’y a pas de perspective morale dans Armadillo, si ce n’est qu’il montre ce qu’est perdre son innocence.



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est journaliste

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