« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…
Ida Pfeiffer est une femme du monde, une vraie : la première à avoir sillonné le vaste globe en solitaire. Cette brave bourgeoise autrichienne née à Vienne en 1797 a d’abord mené une vie rangée. Mais cette épouse aimante et mère attentive de deux enfants a fini par dire le mot de Cambronne à son mari et claquer la porte du domicile conjugal avec sa progéniture sous le bras. Elle a assumé seule l’éducation de ses fils et attendu patiemment qu’ils soient lancés dans la société pour abandonner son existence de ménagère. Puis avec ses maigres économies elle a entrepris d’assouvir un désir fantasmé depuis l’enfance, voyager.
Cette femme petite et robuste âgée de 45 ans se lance donc, en 1842, dans un périple en Terre sainte. Sans guide, elle traverse la Turquie, la Palestine et l’Égypte. « Et voyez, j’en suis revenue », écrit-elle dans Voyage d’une Viennoise dans la Terre sainte (1844). Ida Pfeiffer ne veut pas seulement voir le monde, elle veut témoigner de ce qu’elle a vu. À chaque voyage sa publication. Après les chaleurs du Proche-Orient elle prend la direction du nord : Suède, Norvège et Laponie la mènent jusqu’en Islande. Les salons viennois frissonnent à la lecture du Voyage au nord de la Scandinavie et en Islande dans le cours de l’année 1845. Elle qui refuse d’être appelée « touriste » (l’acception est alors noble et flatteuse) envisage avec une modestie déconcertante un tour du monde digne des plus grands explorateurs.
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Mme Pfeiffer quitte Vienne le 1er mai 1846. La suite donne le tournis. Embarquée sur un navire danois à Hambourg, elle accoste à Rio avant de franchir le cap Horn pour découvrir le Chili. De là, elle fait voile vers la Chine en prenant soin de s’arrêter à Tahiti. Canton n’est pour elle qu’une escale : l’Inde la démange. Mais le luxe et les mœurs britanniques de Ceylan, Madras et Calcutta la déçoivent. Qu’à cela ne tienne. D’un coup de bateau à vapeur elle remonte le Gange jusqu’aux beautés de Bénarès et de Delhi. Et c’est dans une charrette à bœufs qu’elle arrive à Bombay. Là, une simple mer la sépare du golfe Persique. Elle la franchit. Après Bagdad et Mossoul, Tauris, deuxième ville de Perse, la rapproche de la Russie. Une visite s’impose – et pourquoi pas un détour par la Sibérie. Elle rejoint ensuite Odessa pour gagner la Grèce. Retour à Vienne fin 1848. Voyage d’une femme autour du monde est publié (en allemand) en 1850.
La clarté de son récit et la profusion de détails qu’elle relève parmi mille anecdotes – mœurs, artisanats, paysages, climats, etc. – lui valent la reconnaissance des grands scientifiques de son temps, au premier rang desquels Alexandre de Humboldt, le doyen des savants européens. Le gouvernement autrichien la récompense par une bourse suffisamment importante pour financer un nouveau tour du monde en 1851. Elle retourne à Java en passant cette fois par l’Afrique du Sud. Après Bornéo, elle côtoie des cannibales à Sumatra, arrive en Californie et arpente le Pérou. Mon second tour du monde est publié en 1856, année où la Société de géographie française lui décerne une médaille d’honneur. Les compagnies maritimes la font désormais voyager gracieusement.
Malgré les mises en garde, l’insatiable Ida Pfeiffer embarque pour Madagascar. Épidémies et instabilité politique abrègent l’expédition et le retour de la dame en Europe est lui-même rocambolesque. Elle en tire tout de même un Voyage à Madagascar avant de mourir dans son lit, à Vienne, en octobre 1858.
Voyage d’une femme autour du monde, Ida Pfeiffer, Librairie Hachette et Cie, 1880.

