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Kouchner, comme un symptôme


Kouchner, comme un symptôme

Le docteur Kouchner est un symptôme : celui de la maladie mortelle qui frappe ceux que François Ricard a appelés la génération lyrique[1. La génération lyrique, essai sur la vie et l’œuvre des premiers nés du baby boom de François Ricard (Climats, 2001).]. Elle est arrivée aujourd’hui à un moment historique, celui d’une Crise inédite, où elle se retrouve à bout de souffle, épuisée par ses propres contradictions, minée par ses reniements, et ne pouvant même plus faire illusion grâce aux médias qui furent pourtant longtemps son principal instrument de domination idéologique, la chaire pixélisée d’où elle déversait sa moraline culpabilisante sur tout un peuple.

Qui a entre 25 et 45 ans aujourd’hui aura pour toujours dans les oreilles les vaticinations histrioniques, les indignations surjouées, le pathos systématique du docteur Kouchner mais aussi des « philosophes » Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, du député vert tendance économie de marché Dany Cohn-Bendit ou du cinéaste bushiste Romain Goupil. Et nous ne citons là que les têtes d’affiches d’un casting qui est depuis si longtemps celui de notre paysage intellectuel depuis tellement longtemps qu’on en a oublié le temps où la politique avait encore le primat sur l’économique, où l’humanitaire n’était pas l’alibi pharmaceutique d’une mondialisation néolibérale affolée par le manque de matières premières, comme en Irak par exemple et, enfin, le temps où l’on pouvait entendre autre chose que des propos sur l’inéluctabilité de l’ordre des choses, rappelant furieusement le fameux acronyme de Margaret Thatcher, au moment où elle allait sauvagement martyriser son pays au nom des intérêts supérieurs de la finance : TINA, There is not alternative.

Que Bernard Kouchner se retrouve dans cette situation délicate n’étonnera finalement que ceux qui refusent de voir que Mai 68, le Mai 68 des gauchistes, a été l’occasion historique pour le capitalisme d’instrumentaliser les revendications libertaires de l’époque, afin de faire sauter les vieux verrous de la cogestion gaullo-communiste et de la common decency afférente.

Ainsi naquit la tyrannie libérale-libertaire qui domine si visiblement notre époque, autorise le Pacs, prône la parité et le devoir de mémoire, récolte des sacs de riz pour la Somalie, mais refuse de voir que 39% des Français commencent à se rationner sur les soins ou que les travailleurs pauvres sont chaque jour plus nombreux. Le sociétal pour oublier le social. Ce qui explique que 40 ans après, entre une droite qui a perdu ses inhibitions morales et une gauche convertie à l’économie de marché, la différence soit si faible que l’ »ouverture » devienne la règle. En qu’un ancien étudiant en médecine, journaliste à Clarté, le mensuel des étudiants communistes en 67, soit devenu le ministre des Affaires étrangères du président le plus atlantiste qui soit.

Prenez les slogans de 68, vous verrez que Bernard Kouchner et ses camarades générationnels, tous plus ou moins devenus néo-conservateurs, affairistes et ultra-libéraux, les ont appliqués à la lettre. « Il est interdit d’interdire » ? C’est exactement ce que prône le Medef de l’ex-mao Kessler qui veut napalmer ce qu’il reste de code du travail. « Le pouvoir est au bout du fusil ? » Ces anti-impérialistes d’hier sont devenus les va-t-en-guerre les plus furieux de ces dernières années et puisqu’il s’agit ici plus particulièrement de Kouchner, qui ne se souvient pas de sa mémorable sortie radiophonique sur la guerre comme seule moyen de ramener l’Iran à la raison ? « Ne dites pas monsieur le professeur mais crève salope » ? Regardez ce qu’est devenue, dans les zones dites sensibles, une école dont toutes les défenses immunitaires sont tombées pour cause de pédagogisme. « La culture est l’inversion de la vie » ? La pauvre Princesse de Clèves, giflée à trois reprises par Sarkozy, commence à comprendre son malheur.

La tyrannie libérale-libertaire, dont Bernard Kouchner est un si visible hiérarque, a pourtant été décelée très tôt.

Dès 1973, alors que les cendres de la Gauche Prolétarienne étaient encore tièdes, paraissait de Michel Clouscard, Néofascisme et idéologie du désir[2. Réédité par Delga en 2005.], sous-titré « Mai 68 : la contre-révolution libérale libertaire ». Treize ans plus tard, en 1986, dans la célèbre Lettre de ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Guy Hocquenghem[3. Réédité par Agone en 2008.] analysait la nouvelle idéologie de ses anciens compagnons de lutte : amour de l’argent, désir narcissique de l’éternelle jeunesse et surtout confiscation de toute espérance révolutionnaire pour la génération suivante, sur le mode « Vous révolter ne sert à rien, on a déjà testé pour vous ». On pourrait ajouter également la Chronique d’une liquidation politique, de l’auteur de romans noirs Frédéric Fajardie[4. Table Ronde, 1993.], ancien de la GP, qui en 1993 pousse un véritable cri de désespoir en se rendant compte que c’est la gauche au pouvoir qui a mené à son terme l’hybridation entre le capitalisme et le discours gauchiste. Ce n’est plus l’alliance du sabre et du goupillon mais celle du CAC 40 et du pétard, ou comme chez Kouchner, du consulting et du caritatif. Faire une sécu pour les Gabonais, c’est bien, le faire pour de l’argent, c’est encore mieux. Les vieilles pulsions tiers-mondistes n’excluent pas l’esprit d’entreprise et charité bien ordonnée pour les nègres commence par soi-même.

« On vit croître d’abord la passion de l’argent ; puis celle de la domination, et ce fut la cause de tout ce qui se fit de mal. L’avidité ruina la bonne foi, la probité, toutes les vertus qu’on désapprit pour les remplacer par l’orgueil, la cruauté, l’impiété, la vénalité. »

Portrait de la génération lyrique et de Kouchner ? Non, tableau de l’atmosphère politique dans La Conjuration de Catilina de Salluste.

Salluste qui, au passage, raconte aussi comment meurt une République.



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