8 mars: la femme contre la mère?


8 mars: la femme contre la mère?
Photo: Pixabay.
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« Vous avez eu un enfant pendant vos études. Nous ne sommes donc pas certains que vous ayez une réelle motivation pour votre carrière ». Remplacez « études » par « stage », « période d’essai », « premier emploi », « moment difficile pour la boîte » ou « mission ».  Nul ne doute de la fréquence de ce type de réaction, qui se vérifie aussi par son inverse : combien de femmes s’obligent à patienter pour devenir mère uniquement pour des raisons professionnelles, combien pleurent ensuite d’avoir trop attendu ? Sous la défroque des revendications pro-choix illustrées par les tatouages de si bon goût de la dernière campagne de communication du ministère de Mme Touraine, il semble que l’étau se resserre. La libération sexuelle nous l’avait promis : notre corps, enfin, nous appartient. Il faut croire cependant à entendre ces ayatollahs de la vie sans entraves qu’il n’y a qu’une seule façon d’être autonome. Et tandis que ce fameux choix n’acquiert de valeur substantielle que dans le refus de maternité, devenir mère semble a contrario nous rendre encore bien souvent suspecte de soumission.

Insistant sur la sexualité de la femme, le féminisme traditionnel a occulté que, plus que l’homme, nous vivons une relation intime entre sexualité et maternité. Que l’ambivalence entre la mère et l’amante exclue la pertinence des petits calculs égalitaristes, tel le partage arithmétique du congé parental de la loi Vallaud-Belkacem de 2014. Plus encore, nous refusons de supprimer cette ambivalence ; il nous faut vivre avec elle au risque d’être mutilée à jamais. Ni seulement mère, ni seulement femme, nous vivons cet entre-deux difficile et délicieux de jouer les équilibristes avec nos désirs. Il est pourtant indéniable que la position du funambule est en contradiction intrinsèque avec les nouvelles normes sociales. Pensez à votre carrière, mais surtout, pas d’enfant avant 40 ans. C’est Facebook qui l’a dit. Dans cette rhétorique du choix crucial, carrière ou enfant, perfection dans les deux, aucune place pour cette ambivalence constitutive.

Il y a encore quelques décennies, la vie de l’homme ordinaire était un arrachement permanent à sa famille au profit de son usine ou de son entreprise. Cette situation ressemble à s’y méprendre au prototype du modèle proposé actuellement aux femmes. Visiblement, la révolution féministe n’a pas dépassée l’année zéro. Si l’ambition féminine est pleinement légitime et fondamentalement nécessaire à la société, la révolution féministe, en prise avec ses propres contradictions s’est dissoute dans le corpus de valeur de la société capitaliste. Elle pousse aujourd’hui les jeunes femmes à devenir des hommes comme les autres, vouées à donner leurs vies à l’entreprise. À qui a profité le crime ?

De la guerre des sexes à une guerre du sexe

Le plus inquiétant est en effet la manière dont ce nouveau modèle est aujourd’hui totalement intériorisé. Avec l’évolution médicale et technique, la généralisation de la contraception aidant, secondée par la rustine de l’IVG, nous sommes entrées malgré nous dans le conflit de la femme contre la mère. De la guerre des sexes, nous sommes passés à une guerre du sexe. Séparez vagin et ovaires, femme et mère, et surtout, encensez la première, niez la seconde. Mieux : dénigrez là, d’autant plus si elle a choisi de se consacrer à 100% à l’éducation de ses enfants. Les médias et autres supports grands publics en feront une institution, image indémodable que cette mère de famille, mal fagotée, aux petits désirs forcément bas et matérialistes, criant derrière d’insupportables gamins, trompée par son mari si possible, ayant perdu sa dignité et sa féminité avec sa dernière grossesse. Elle réagit alors inévitablement au chaos de son existence en féministe accomplie : reprenant le pouvoir, elle quitte son mari, ses enfants et reprends sa carrière. Une femme, une vraie. A moins qu’il ne s’agisse d’un drame et qu’impuissante, elle permette d’illustrer ce nouvel interdit social. A ce jeu, vous souffle le nouveau diktat, c’est non satisfait, non remboursé.

Et c’est sans doute ici que le bât blesse. Qui, dans notre société de consommation, est prêt à choisir une vie donnée ? Qui, aujourd’hui, est prêt à donner, gratuitement, ses meilleures années, ses années de jeunesse ? Antithèse d’une norme sociale productiviste, la mère au foyer, que ce soit pour quelques semaines, quelques mois ou quelques années, est ce poil à gratter de notre société de consommation. Inactive selon les canons de Pôle emploi, inutile voire paresseuse pour le sens commun, en « vacances » pour l’employeur, cible idéale de l’univers publicitaire, pied de nez au monde enchanteur où tout se vend, et tout se négocie. On tolère que les femmes aient des enfants, mais pas avant 35 ans, jamais à temps plein, tout en espérant secrètement que l’arrivée de l’utérus artificiel règle définitivement cette épineuse question. Que voulez vous, ma bonne dame, les 9 mois de grossesse sont contraignants pour la vie de l’entreprise et ne rapporte guère d’argent. En tout état de cause, il faut d’abord « vivre », vous assène-t-on ! Carrière, voyages, fêtes, une maison, deux CDI, deux voitures et un chien, ne pas se fixer trop vite, ne pas s’embêter trop tôt. Une petite vie remplie agréablement de biens périssables. Consommer, en un mot. La domination patriarcale fantasmée se mue en une bien plus subtile domination par le marché, réelle car pleinement intégrée par les individus dans les grands choix de leur existence. Produire pour consommer ou consommer pour produire, là semble résider la nouvelle question existentielle que notre temps ait adoptée.



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