Jean-Marie Le Pen, la politique du père


Jean-Marie Le Pen, la politique du père

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Il serait intéressant, pour un romancier, de raconter ce qui vient de se passer au Front du point de vue de Jean-Marie Le Pen lui-même, en le choisissant comme narrateur. Cela permettrait sans doute d’élucider ou au moins d’approcher la psychologie de celui qui aura au bout du compte parachevé le triomphe de sa fille en voulant la détruire. Cette stratégie paradoxale était-elle consciente ou pas ? Toujours est-il que, vu de l’extérieur, Jean-Marie Le Pen a incarné, en très peu de temps, trois versions, pour le moins contradictoires, de la figure paternelle.

La première correspond à l’entretien donné à Rivarol, qui concentre tout ce qui peut gêner la fille dans sa stratégie de respectabilisation : c’est celle de Saturne qui dévore ses enfants pour qu’ils ne le renversent pas. « Il agissait ainsi dans la crainte qu’un autre des glorieux enfants du ciel ne possédât parmi les dieux l’autorité souveraine », nous dit Hésiode dans la Théogonie. Il y a ensuite l’attitude victimaire déployée sur les plateaux télé où le vieux chef se dit trahi par ses enfants alors qu’il leur a tout donné. Nous sommes là dans un Le Pen shakespearien qui endosse le costume du Roi Lear : « Rien n’a pu ravaler une créature à une telle abjection, si ce n’est l’ingratitude de ses filles. Est-ce donc la mode que les pères reniés obtiennent si peu de pitié de leur propre chair ? » Pour finir, il y a l’effacement volontaire, que l’on attribuera soit au fait que Le Pen ait admis sa défaite, soit à son souci de l’intérêt supérieur du parti, ainsi qu’il l’a déclaré : « Je ne ferai rien qui puisse compromettre la fragile espérance de survie de la France que représente le Front national avec ses forces et ses faiblesses. » Là, nous sommes dans Le Père Goriot, qui a tout donné à ses filles devenues de grandes dames et meurt dans un galetas misérable où il a le temps de leur déclarer : « Venez, venez vous plaindre ici ! Mon cœur est grand, il peut tout recevoir. Oui, vous aurez beau le percer, les lambeaux feront encore des cœurs de père. »

Avant même le psychodrame entre le père et la fille résolu trinitairement et dialectiquement par la petite-fille, le FN, entre ses scissions, ses numéros 2 disparus les uns après les autres, et ses conflits familiaux, a toujours irrésistiblement fait penser aux Atrides. On a peut-être tendance à sous-estimer l’importance de cette dimension, à la fois mythologique et romanesque, dans la séduction qu’exerce le Front sur une proportion croissante des électeurs en mal de grands récits, depuis que la vie politique est devenue une affaire de tristes gestionnaires interchangeables.

*Photo : wikicommons.



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