La France, une chance pour l’islam?


La France, une chance pour l’islam?

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Les 7 et 9 janvier, des terroristes islamistes tuaient des journalistes, des policiers et des juifs. Moins de deux semaines plus tard, de quoi débat la France ? Du mal qu’elle a fait à ses enfants d’immigrés. De ses promesses non tenues. De ses idées rances. Et bien sûr, de son « islamophobie ». Pourtant, on ne sache pas que l’islamophobie ait tué à Paris. Encore qu’à bien y réfléchir, peut-être que si. Si d’aimables jeunes gens sont devenus des meurtriers, il faut bien que nous les ayons maltraités. Relégués. Humiliés. Ghettoïsés. Offensés. Comment allons-nous réparer, telle est la seule question qui vaille.

Si des islamistes tuent, c’est à cause des islamophobes. Dès le soir du 7 janvier, la crème de nos comiques médiatiques s’emploie à répandre cette fable en forme de bande de Moebius. Dans cette joyeuse troupe jamais à court d’inventions, j’avoue un petit faible pour Sylvain Bourmeau et Laurent Joffrin – sans doute ai-je raté un paquet d’âneries. Cependant, c’est à Edwy Plenel que je dois quelques fous rires, salutaires dans ce climat plombé. La France découvre qu’un certain nombre de ses enfants rêvent, plus tard, de faire Kouachi, et le patron de Mediapart larmoie en boucle que rien ne serait arrivé si on n’avait pas laissé Finkielkraut dire qu’il y a un problème avec l’islam. À la veille du 11 janvier, rompant un affreux suspense, il annonce qu’il se rendra bien au défilé citoyen, d’abord en hommage aux victimes, ensuite pour lutter contre le Front national. Delenda est Carthago. Quand ce n’est Finkie, c’est Marine. J’aurais bien aimé le rencontrer dans le défilé, Plenel, avec une pancarte contre le FHaine. Ou un entonnoir sur la tête.
Dans l’atmosphère churchillienne des premiers jours, ces élucubrations hors-sol dont les morceaux choisis tournent sur Internet n’ont guère plus d’importance que des propos de bistrot. On s’étrangle et on oublie. L’important, c’est qu’au sommet de l’État, on tienne enfin un langage clair – ou presque. Après les précautions d’usage – ça n’a rien à voir avec l’islam –, le Premier ministre prononce le mot « islamisme » et appelle au respect de la laïcité, sans stigmatiser. Pour les professionnels de l’effaçologie, le 11 janvier est une déroute. Les Français entendent savoir ce qui se passe dans leur pays et, plus grave encore, défendre quelque chose qui ressemble à un monde commun, voire, horresco referens, à une identité nationale. Et ça tombe bien, ils sont en phase avec l’humeur de leurs gouvernants. La France est en guerre. Nous ne céderons pas. Nous ne tolérerons pas. Nous n’accepterons pas. Le 13 janvier, Manuel Valls prononce un discours qui lui vaut d’être comparé à Clemenceau et ovationné par un Hémicycle unanime : « Droite et gauche confondues, à l’exception des deux députés FN qui n’ont applaudi qu’en de rares moments », précisent heureusement les deux spécialistes du comptage d’applaudissements qui couvrent l’événement pour Mediapart – quand on pense que les pauvrets ont dû entendre La Marseillaise, cet hymne colonial. Et pour parfaire le tableau, le président nous demande d’être « fiers d’être Français ». Et pourquoi pas fiers d’être nauséabonds, tant qu’on y est.
La gauche de la gauche trépigne. Voilà une semaine qu’on nous bourre le crâne avec des reportages tendancieux, et ces supposées révélations sur l’antisémitisme de nos banlieues. Il ne faudrait pas se tromper de victimes. Les premières victimes de tout ça, et du reste aussi, ce sont les musulmans. Retrouvons les fondamentaux. Et combattons le Front national.

Une heure ou deux après l’attentat de Charlie Hebdo, Gil Mihaely, passablement secoué, en était convaincu : cette fois, ce serait la bonne, le réel ne pouvait plus être reporté à une date ultérieure, pour reprendre une formule de Muray. L’histoire sainte d’une France frileuse et raciste, incapable de savourer les beautés du dialogue des cultures, arcboutée à un passé raciste avait vécu. On allait pouvoir nommer les problèmes, ce qui offrait un petit espoir de les régler. J’avoue que j’y ai cru, moi aussi. Le sursaut, la prise de conscience, l’esprit du 11 janvier. La fierté d’être français. Progressivement, on a entendu un peu de friture sur la ligne gouvernementale, un vague brouillage des discours. En haut lieu, la consigne avait dû passer : si tu parles d’antisémitisme, il faut très vite prononcer « islamophobie », il est bon de faire suivre « laïcité » par « respect des croyances » et « valeurs de la République » par « citoyens de seconde zone ». Une cuillère pour papa, une cuillère pour maman.
Heureusement, il y avait Valls, et surtout, la détermination renouvelée et civilisée des Français à faire nation. Contre personne, et même avec qui le voulait bien. Peu importe d’où on venait pour peu qu’on s’accorde sur la destination. Vivre ensemble, oui, mais à notre sauce. Et ceux qui ne l’aiment pas, cette sauce, peuvent s’en mitonner une discrètement, si possible en se dispensant de clamer leur détestation de tout ce que nous aimons. Sauf que près de la moitié de ces Français qui s’étaient levés pour défendre leur liberté de critiquer, de déconner et même d’offenser, trouvaient finalement qu’il fallait être gentil avec le bon Dieu des autres. Enfin, on ne va pas reprocher à un peuple d’être gentil. Quoique.
« Le Premier ministre a employé des mots très forts. Et même très durs. » Le 20 janvier, lorsque j’ai entendu percer dans la voix d’une journaliste de radio standard des accents de triomphe, j’ai immédiatement compris que quelque chose clochait. « Apartheid ! », « apartheid ! », le mot était psalmodié avec enthousiasme, répété avec gourmandise, commenté avec la gravité requise. L’après-Charlie était terminé, avant d’avoir commencé. Le Parti des médias, revigoré, reprenait son antienne préférée : être français, il n’y a vraiment pas de quoi être fier. La gauche du PS ronronnait, les représentants de nos banlieues se rengorgeaient : ils l’avaient bien dit que c’étaient eux, les vraies victimes. Apartheid pride !
Alors on se sent un peu cloche d’avoir pris Séguéla pour Clemenceau. Il faut dire qu’avec moi, le coup de La Marseillaise, ça marche à tous les coups. Finalement, c’était de la com, doublée de douteux calculs politiques. Le plus consternant n’est pas que Valls ait lâché le mot, mais qu’il l’ait fait pour satisfaire l’aile gauche du PS, et plus encore pour câliner les supposées victimes du supposé apartheid. Que certains membres d’un éminent parti de gouvernement exigent, comme prix de leur loyauté, que leur chef se livre au dénigrement public de leur pays, ne semble surprendre personne. Pas plus que le fait que l’on flatte une communauté dans le sens du poil en lui expliquant qu’elle est faite de sous-citoyens. Oh oui, je t’ai fait mal…, c’est bon, non ?
On dira que l’idéologie victimaire est très largement partagée bien au-delà de nos banlieues : des patrons aux pêcheurs, il n’y a pas un groupe ethnique, confessionnel ou socioprofessionnel qui ne réclame sa part de malheur. Mais, en l’occurrence, Valls a sciemment appuyé sur un ressort bien plus destructeur et mensonger à la fois. On pourrait appeler cela la politique des bons ressentiments. Plus que tout le reste, c’est elle qui nous a mis dans le pétrin où nous sommes. Pour des raisons qui relèvent à la fois de la psychiatrie (haine de soi) et de l’histoire (abandon des classes populaires), la gauche, depuis trente ans, s’est employée avec constance à susurrer à la France musulmane qu’on lui devait des excuses, tandis que la France, ontologiquement coupable, était sommée de cesser d’être elle-même pour se faire pardonner. Si vous ne savez pas pourquoi vous nous haïssez, nous nous le savons.

Le spectacle accablant de l’émission « Des paroles et des actes », le 22 janvier, offrit un saisissant instantané des résultats de cette politique. Face à Alain Finkielkraut, la professeur Barbara Lefèvre et le maire de Montfermeil Xavier Lemoine, qui croyaient pouvoir inviter sur le plateau des pans de la réalité qui venait de se dévoiler, les jeunes de banlieue et leurs défenseurs (un imam, un ou deux sociologues et Najat Vallaud-Belkacem) ânonnaient imperturbablement le lamento de la relégation, usant et abusant de la forme passive : nous avons été exclus, on ne nous a pas donné ceci ou cela, nous sommes moins bien traités que ceux-ci ou ceux-là, suivez mon regard. Les paroles d’Alain Finkielkraut les encourageant plutôt à se retrousser les manches furent unanimement dénoncées comme un discours de haine. Il faut dire que ce n’est guère courtois d’envisager que les victimes de l’apartheid pourraient avoir ne serait-ce qu’une microscopique responsabilité dans leur situation. Nacira Guenif, sociologue proche des Indigènes de la République, finit par lâcher le morceau en dénonçant l’injonction d’intégration faite aux « jeunes d’ascendance coloniale ». Et toi, t’es d’origine « croisades » ? Mauvaise pioche. Heureusement Najat Vallaud-Belkacem réconcilia tout le monde avec un aplomb stupéfiant : « Nous sommes au moins tous d’accord sur le fait que le problème, c’est la relégation sociale », décréta-t-elle. On n’a pas entendu le même débat.

Il ne s’agit pas de nier que les jeunes issus de l’immigration connaissent des difficultés particulières. Seulement, pardon d’être brutale, ce n’est pas vraiment le sujet du moment. Les Français découvrent soudainement que la coexistence des cultures n’est pas un dîner de gala et qu’il ne suffit pas de proclamer qu’on aime l’autre pour vivre avec lui. Or, les attentats et leurs suites ont produit un effet de dévoilement : si la majorité des musulmans de France condamne sincèrement la violence et que les fanatiques prêts à prendre les armes sont, espérons-le, une infime minorité, le rejet de la laïcité, le complotisme, l’antisémitisme, le refus d’admettre qu’un texte sacré pour les uns puisse être un objet de moquerie pour les autres – ce que Finkielkraut appelle joliment la « douleur de la liberté » – sont largement répandus chez les musulmans du coin de la rue. Pourquoi a-t-on le droit de se moquer de notre prophète et pas des chambres à gaz, pourquoi l’antisémitisme est-il interdit et pas l’islamophobie, demandent des élèves, auxquels leurs professeurs ne savent pas quoi répondre. Deux poids, deux mesures : pourquoi l’assiette de mon voisin est-elle plus remplie que la, mienne ? Que voilà un débat intéressant.

Alors l’exclusion, je veux bien. Mais il faudrait faire remarquer à certains que, quand ils affirment qu’on n’a pas le droit de dessiner leur prophète ou qu’ils laissent entendre que les attentats, c’est qui vous savez, ce sont eux qui s’excluent de la collectivité. Quand ils pérorent, même pour rigoler, que c’est bien fait pour Charlie, ils s’excluent de la collectivité. Quand ils pourrissent la vie de Mouloud qui ose manger pendant ramadan, ils s’excluent de la collectivité. Or, cette bouillie confusionniste est propagée par des imams bien sous tous rapports – pas par l’islamisme, mais par l’islam. Pas par tout l’islam, certes, mais par une notable proportion de celui-ci. Étouffer toute critique au motif qu’elle serait stigmatisante, ce n’est pas, comme le croit Edwy Plenel, faire œuvre de fraternité mais de mépris. Car c’est supposer que la culture musulmane serait par nature incapable de faire siennes les valeurs libérales de nos sociétés, condamnant ainsi les musulmans de France au repli et au ressentiment. Il serait plus respectueux, en réalité, de parler clair, entre adultes, et de rappeler que l’égalité entre individus ne nous interdit pas d’avoir des préférences culturelles. N’importe quelle citoyenne française jouit des mêmes droits que moi, mais ma minijupe a plus de droits que ta burqa. Dire cela, ce n’est pas insulter les musulmans, mais au contraire les inviter à réaliser la synthèse entre le public et le privé, le laïque et le religieux, l’individu et le groupe, que beaucoup d’autres ont faite avant eux. Qu’on cesse de nous faire croire que l’islam changera la France, ou alors ce sera pour le pire. En revanche, la France est une chance pour l’islam, peut-être la dernière, de voir ses enfants échapper à la fascination djihadiste et à la rancœur remâchée. Non, tu n’es pas un colonisé parce que tu es au chômage. Non, tu n’es pas stigmatisé parce qu’on ose remarquer que les sieurs Merah, Kouachi et Nemmouche sont issus de la même culture que la tienne. Le respect, ce n’est pas de pleurnicher ensemble, mais de parler vrai. Pour faire nation, il faut être deux. Welcome : moi je suis d’accord. Mais on fait ma nation, celle que mes parents ont choisie sans demander qu’on change la peinture pour leur faire plaisir. Et on arrête de se plaindre.

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*Photo : Jacques Brinon/AP/SIPA. AP21678148_000030.

Février 2015 #21

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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