Irlande: mariage pour tous, tous pour le mariage?


Irlande: mariage pour tous, tous pour le mariage?

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La bière Guinness n’a pas été troublée. Les partisans du mariage gay à Dublin peuvent lever leurs verres en paix : l’Irlande, qui avait déjoué tous les pronostics lors du référendum sur le Traité de Lisbonne de 2008, en opposant un « no » ferme au oui-ouisme de bon ton, ne l’a pas fait pour le référendum légalisant le mariage entre couples de même sexe.

Il faut dire le rouleau compresseur de « l’égalité » avait déjà aplani le terrain. Tous les partis politiques irlandais, des « conservateurs » du Fianna Fail aux nationalistes «rouges» du Sinn Fein, en passant par le libéral Fine Gael actuellement au pouvoir, soutenaient la mesure, relayés par les intellectuels, les artistes, les stars. Les richissimes entreprises tentaculaires américaines qui emploient nombre d’Irlandais, Google, Facebook, Twitter, Uber, ont pesé de tout leur poids en faveur de ce nouveau bond en avant sociétal. Le patron de l’IDA Ireland, une agence mi-publique mi-privée pour le développement industriel en Irlande, Martin Shanahan, avait résumé ce soutien au « oui » : « c’est bon pour le business ».

Cette mobilisation pour étendre toujours plus le libéralisme dans la sphère humaine se vérifie au même moment aux Etats-Unis, où les titans Walmart, Microsoft, Apple, etc. conduisent de véritables frappes de guerre contre les Etats et les institutions qui rechignent au mariage gay. L’Indiana, pour avoir voté une loi protégeant les pâtissiers et photographes chrétiens qui refusent de se prêter aux unions de même sexe, fut pris pour cible par un boycott économique en règle, avant de capituler. On n’ose se demander si ces géants du business prendraient des mesures aussi courageuses  et aussi peu profitables contre les dictatures wahhabites, ou la Chine.

Écrasée par le consensus de l’establishment, saturée par une presse aux abois, qui a inondé le public d’une propagande désarmante, de jeunes Irlandais sympathiques et branchés, se prenant en selfie devant les bureaux de vote, la campagne référendaire n’a guère laissé de place aux opposants. Pourtant, même si les grandes villes et Dublin affichent des scores faramineux en faveur du mariage gay, et que la victoire du « oui » est sans appel, les résultats sont plus serrés dans l’Irlande profonde, où certains comtés sont au coude-à-coude, voire complètement hostiles. Un tel clivage était déjà à l’œuvre lors du Traité de Lisbonne.

Pourtant, ce référendum enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil du catholicisme irlandais, tel qu’il a marqué l’île pendant des siècles. Occupés et réduits à l’état de quasi-servage par les Anglais, les Irlandais n’ont eu jusqu’au XXe siècle que le ciel pour patrie. Leur pays avait embrassé le christianisme aussi pacifiquement que profondément dès le IIIe siècle. Ils opposèrent avec constance une fidélité indéfectible à l’Eglise de Rome, face au protestantisme de la Grande-Bretagne occupante. Un catholicisme populaire, ardent et ancré, qui aida à l’émancipation des Anglais catholiques, en imposant au Parlement britannique de leur accorder des droits civils et politiques, à force de militantisme. Quand l’Etat libre d’Irlande naît enfin, en 1921, après une féroce guerre d’indépendance, l’Eglise catholique est l’institution qui personnifie l’identité nationale, et la seule qui préexiste au gouvernement. La nation irlandaise s’était réfugiée dans les églises, mais le clergé, fort de cette mission historique, a poursuivi son influence sur la société, qui a viré à l’emprise étouffante d’une mère possessive. Le système éducatif fut un monopole clérical, propice aux abus de toutes sortes, qui éclatèrent dans les années 1990, alors que le « miracle économique irlandais », et son cortège consumériste, fournissait le terreau de la sécularisation. Au-delà du scandale des prêtres pédophiles, l’Eglise irlandaise, par son omniprésence sociale, a dégoûté des générations d’Irlandais, qui ont jeté le bébé de la foi avec l’eau saumâtre du cléricalisme. Discréditée, confrontée à une baisse drastique de fidèles et de vocations, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ce qui explique le choix fait par le clergé de ne pas s’impliquer dans le référendum.

Signe que les leçons du passé peuvent être fructueuses, l’Eglise irlandaise a laissé le terrain aux laïcs. La poignée d’opposants au mariage gay s’est retrouvée dans le collectif « Mothers and Fathers Matter », qui a retenu les leçons françaises de la Manif pour tous. Ils ont développé un argumentaire laïque, axé sur la question de la filiation, laissée sans réponse par le référendum. Signes supplémentaires de la « French Touch »: la mise en avant d’homosexuels opposés au mariage gay, et la dénonciation de la GPA. Même si elle arrive tardivement, cette stratégie est appelée à être plus efficace que les traditionnels arguments religieux, y compris aux États-Unis.

Le mariage gay à peine sanctifié par l’onction référendaire, certains commentateurs français s’impatientent: vite, que l’Irlande se débarrasse de ses derniers oripeaux catholiques, en abolissant l’actuelle interdiction de l’avortement ! Ils ignorent que, hors des salons parisiens, mariage gay et avortement ne sont pas liés là où les combats « pro-life » ont encore lieu, aux États-Unis et en Irlande. Là où les Français disent « droit à disposer de sa vie et de son corps », on y fait la distinction entre les enjeux, et on y discute autant de la vie du fœtus que de la mère. Néanmoins, la sécularisation irlandaise est telle qu’une disparition de son exception nationale sur l’avortement semble inéluctable.

En apostasiant très vite ces dernières décennies, l’Irlande brise certes des carcans cléricaux historiques, mais se trouve confrontée à un vide moral que ne viennent combler ni le libéralisme qui a mené l’île à sa perte, ni le nationalisme renaissant du Sinn Fein, dénaturé en politique de proximité.

À l’approche de l’anniversaire de l’insurrection de Pâques 1916, qui a conduit leur pays à l’indépendance, les Irlandais doivent réinventer leur plébiscite de tous les jours. Un christianisme purifié des erreurs du passé, éprouvé à la fournaise de l’humiliation, a une opportunité inouïe de renouer avec sa vocation originelle.

Le mariage gay irlandais a achevé de tuer l’Irlande catholique d’antan. Un réveil de la foi peut naître. Il faudra un jour remercier la société post-moderne d’avoir abattu les idoles, et poussé les Églises à se réformer sans cesse.

*Photo : Peter Morrison/AP/SIPA. AP21739616_000019.



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