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La manifestation désolante des Femen à Orsay

Ceci n’est pas une pipe – ni un sein, autant qu’on y est


La manifestation désolante des Femen à Orsay
Image: Compte Twitter / Marguerite Stern.

Sous couvert de nudité, de quoi les Femen sont-elles le nom ?


Lecteur assumé de Sade et de Bataille depuis mon adolescence, voltairien convaincu vomissant interdictions, censures et autres puritanismes religieux ou laïcs, partisan résolu de Charlie et de tout ce qui peut offenser le sacré à partir du moment où celui-ci décide de régenter mon mode de vie, intime et esthétique, iconodule dans l’âme et obsédé sexuel à mes heures (c’est-à-dire tout le temps), tout me portait à applaudir aux performances des Femen en lesquelles je me persuadais jusqu’à présent de voir de solides et charmantes résistantes à l’iconoclasme ambiant, à la burkinisation de notre société, à la haine pure et simple de la différence sexuelle, si typique de notre post-modernité. « Persuadais » car sans pouvoir me l’expliquer, quelque chose me gênait dans ces manifestations de nudité agressive et finalement pas si érogène que ça. Ce qui s’est passé dimanche dernier au Musée d’Orsay m’a permis de l’identifier.

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Mais reprenons.

Soit, donc, Jeanne, une jeune femme, assurément sexy et apparemment délurée, qui se voit exhortée, avant de rentrer dans le musée, à remettre sa veste afin de cacher un décolleté plongeant sur une poitrine généreuse – ce qui était peut-être une erreur d’appréciation de la part de collègues un peu trop regardants (on sait que je suis moi-même agent de salle dans cet établissement depuis près de vingt ans) mais qui en soi n’avait rien de scandaleux, le règlement du musée stipulant qu’on ne peut y entrer n’importe comment (il n’est, par exemple, par permis de s’y promener pieds nus ou de se coucher sur les banquettes pour faire sa sieste et encore moins de pique-niquer devant Le Déjeuner sur l’herbe de Manet – ce n’est pas parce que des personnages picolent dans un tableau qu’on a le droit de picoler dans les salles). L’intéressée obtempéra sans faire d’histoire et celle-ci aurait pu s’arrêter là, ou plutôt ne pas commencer.

Ce n’est plus « couvrez ce sein que je ne saurais voir » mais « découvrons ce sein que vous ne sauriez voir », quoique la suite de la célèbre réplique de Tartuffe corresponde tout à fait au credo de nos cruches…

Sauf que rentrée chez elle et mue par une conscience hélas moins délurée que victimaire et plus pleurnicharde que souveraine, la bombasse ne trouva rien de mieux qu’envoyer une lettre publique à Orsay en laquelle elle expliquait comment on l’avait maltraitée, humiliée, mortifiée et pire que tout « sexualisée » – un terme trop idéologique pour être honnête et que notre amie Sophie Bachat analysa parfaitement dans son article de ce qui n’était que le premier épisode de cette ténébreuse affaire.


Car quelques jours après, voici que les Femen s’en mêlaient, envahissant la nef du musée et, comme à leur habitude, arborant leurs poitrines mitraillettes peinturlurées de slogans soi-disant « émancipateurs » dont le désormais fameux « ceci n’est pas obscène » qui me fit d’abord penser au célèbre tableau de Magritte : « ceci n’est pas une pipe. » Non pas, grands dieux, que les seins, organes maternels et érotiques les plus divins que la nature ait offert aux femmes (et même si on peut leur préférer les fesses, et, pour certains connaisseurs, les pieds, là-dessus, le débat reste ouvert) soient « obscènes » mais pourquoi, foutre ciel, croire et vouloir faire croire que celles et ceux qui les remarquent et souvent les chérissent le soient – « obscènes » ? Pourquoi exhiber avec autant de fureur ce que l’on va ensuite blâmer de regarder ? Cette candeur perverse qui consiste à pousser les hauts cris parce que l’on a remarqué ce que vous affichiez avec fierté et bonheur m’a toujours prodigieusement fasciné. « L’obscénité est dans vos yeux !», vociférèrent ainsi les vierges de fer entre les statues effondrées de tant d’arrogance et sans doute contrites qu’on interdise de les regarder d’un œil gaillard. Car c’était en effet bien de ce cela qu’il s’agissait : suspecter le regard (cet horrible « male gaze », coupable parmi les coupables), jeter l’opprobre sur le désir, faire d’un attrait naturel pour les formes féminines (et que tous les artistes de l’humanité célèbrent depuis la Vénus de Willendorf) une « obscénité ». Serait-ce là la secrète mission de ces femelles peu aimables, non pas libérer le désir mais au contraire le discréditer, l’interdire, le punir ?

« NOTRE DÉCOLLETÉ ON VOUS LE MET BIEN PROFOND,  @MuseeOrsay ! Nos seins ne sont pas obscènes, c’est ton regard qui l’est ! Baisse les yeux ! », comme le tweeta un peu plus tard, et  avec une délicatesse exquise, une certaine Sofia OIO. Baisse les yeux, tiens, tiens, tiens… Nos combattantes de la liberté seraient-elles des saintes nitouches d’un genre particulier ? Des adeptes du bandeau noir ou du carré blanc ? Des néo-victoriennes pornographes dont les tétons ne sont brandis que pour énucléer le regard des hommes (et d’ailleurs celui des autres femmes, celles qui sont fières de plaire aux hommes et savent que le décolleté attise le vouloir-vivre) ? N’étant pas hélas en service ce jour-là, je ne sais si j’aurais baissé les yeux devant la schlague de ces passionarias de l’anti-Eros mais ce qui est sûr, c’est que leur performance me les aura ouverts. En vérité, les Femen ne sont pas du tout celles que l’on croit. Ni émancipatrices, ni libératrices, ni d’ailleurs très libres (on dirait un commando stalinien), leur numéro relève plus de l’expédition punitive que de la danse du ventre. Si elles se dénudent en gueulant, ce n’est pas pour affirmer leur féminité mais pour la nier. Si elles exhibent leurs seins, c’est pour les désérotiser immédiatement – et malheur à celui qui y sera sensible ! Rien de moins draguable qu’une Femen. Rappelez-vous ce qui est arrivé à Philippe Caubère, trainé en justice par une ex-d’entre elles, Solveig Halloin, avec qui il eut le malheur d’avoir une liaison et qui, dix ans plus tard, l’accusait de « viol » – plainte qui n’aura pas de suite et se retournera contre la plaignante, bientôt jugée pour diffamation.

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Loin d’être les affranchies qu’on imagine, les Femen ne sont que de méchantes censeures qui ne dévoilent leur corps que pour mieux voiler les sens, qui ne se foutent à poil que pour signifier au malheureux qui y céderait qu’il n’est qu’un délinquant discriminant. Ce n’est plus « couvrez ce sein que je ne saurais voir » mais « découvrons ce sein que vous ne sauriez voir », quoique la suite de la célèbre réplique de Tartuffe corresponde tout à fait au credo de nos cruches (au sens propre et figuré) : « Par de pareils objets les âmes sont blessées ; Et cela fait venir de coupables [ou d’obscènes] pensées ». Le désir coupable, obscène, criminel – le voilà l’Ave Maria de nos viragos. Car ce sont elles les vraies prudes de cette affaire et non les agents d’accueil qui ont cru bien faire. Ce sont elles les Anastasie qui en veulent à mort à la différence sexuelle et à l’attirance biblique (c’est-à-dire biologique) qu’exerce chaque sexe sur l’autre. Ce sont elles les ennemies de l’humanité désirante, véritables exciseuses qui n’ont cesse de vouloir réduire la femme à l’état de pucelle (comme Jeanne la bien nommée).

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D’ailleurs, il faut reparler de cette Jeanne, voir quel genre d’« enfant du siècle », comme elle se surnomme sur son profil Twitter, elle est exactement – et se rendre compte tout de suite que si elle défend les décolletés (à condition qu’on ne les remarque pas), elle défend aussi le voile islamique, refuse du reste que sa mésaventure ne serve la cause des « islamophobes » et se retient bien d’apporter son soutien à la journaliste Judith Waintraub menacée de mort après avoir ironisé sur le voile islamique d’Imane Boune, que Jeanne en revanche, célèbre de toute sa belle âme de bigote intersectionnelle. La boucle est bouclée : les Femen sont venues défendre à Orsay une jeune femme au décolleté audacieux qui, elle, défend une étudiante entièrement recouverte dans son sac à patates et qui, entre deux recettes salafistes, milite pour le séparatisme et « les huit conditions du voile » dont celle de « ne point ressembler aux vêtements des mécréants » (comme un décolleté voyant par exemple ?)

C’est là tout le paradoxe de cette histoire insensée, quoique typique de notre monde schizo, où la libertaire anti-libertine rejoint la talibane aux fourneaux, où le sexe n’a droit de cité que s’il est désexualisé, déconstruit, déshumanisé de fond en comble, où, sous couvert de nudité, il s’agit bien d’abolir le désir, de brûler les images, de coudre les paupières et de stériliser l’origine du monde. Car il ne faut pas s’y tromper. Le « ceci n’est pas obscène » des Femen qui a fait applaudir quelques visiteurs inconscients était bien un « ceci n’est pas un objet de désir » et bientôt, je l’ai déjà dit ailleurs, ce credo s’appliquera aux œuvres du musée elles-mêmes – car quoi de plus désirable, de plus sexuel, de plus sexué, de plus « obscène », donc, pour cette engeance, que les Baigneuses de Renoir, les Tahitiennes de Gauguin et les femmes de Ramsès dans son harem de Jean Lecomte du Noüy ? Lieu du désir et de la divine obscénité, l’art devient peu à peu le véritable ennemi.



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Pierre Cormary est blogueur (Soleil et croix), éditorialiste et auteur d'un premier livre, Aurora Cornu (éditions Unicité 2022).

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