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Franchise médicale


Franchise médicale

Roselyne Bachelot a raison : la franchise médicale est une nécessité. Il faut certainement remonter à Hippocrate de Cos pour trouver une résolution aussi utile à la Science et à l’Homme. Bachelot et Hippo : même combat ! C’est ce que l’on lira dans les livres d’histoire du XXVIIe ou du XXVIIIe siècles.

Prenez l’exemple de Willy, mon mari : il est hypocondriaque. Il n’a jamais de rhume, mais un éternuement est chez lui le signe avant-coureur d’un cancer des voies respiratoires. Il ne souffre jamais de maux de tête, tout juste éprouve-t-il les symptômes d’une tumeur maligne qui, tôt ou tard, finira par l’emporter – et tout cela parce que j’utilise un téléphone portable dont les sales ondes lui pourrissent son petit crâne écologique.

Chez Willy, une simple écorchure au petit doigt n’appelle pas le sparadrap, mais le tétanos et la mort imminente dans d’affreuses douleurs. Lorsqu’à l’âge de quarante ans, il a commencé à perdre ses cheveux pour ressembler à Brice Hortefeux, ce n’est pas l’hérédité génétique ni les caractères capillaires de l’ADN que Willy a mis en cause, comme on le fait dans sa famille de chauves depuis quelques siècles : c’est le nuage de Tchernobyl qui a provoqué la dégénérescence précoce de ce qui lui servait de cheveux, en passant au-dessus de sa tête en 1986.

Le 12 septembre 2001, on l’a transporté d’urgence au Katharinehospital de Stuttgart pour une prétendue crise d’asthme causée par l’effrondrement des tours jumelles du World Trade Center : un gros nuage de poussière avait fait le trajet New York – Stuttgart pour venir s’abattre sur les bronches de Willy. Selon lui, la seule chance qu’il ait eue dans son malheur fut de ne pas avoir été contaminé par l’amiante…

Comme tout écolo allemand qui se respecte, Willy est partisan de la doctrine de la montagne qui accouche de la souris : à grandes causes, petits effets.

Le Dr Schweitzer (ne jamais lui demander l’heure) est notre médecin de famille. On dit « médecin de famille », car on le suppose ne pas être homme à se contenter de tuer un patient à la fois quand il peut décimer papa, maman, la bonne et moi en un seul diagnostic. Chaque fois qu’il va mal, Willy va consulter le Dr Schweitzer. Ce dernier conforte alors mon mari dans son hypocondrie avec un enthousiasme non-feint.

Je peux comprendre que la vérité soit difficile à annoncer à un malade lorsque les analyses montrent qu’il n’en a plus pour très longtemps. Beaucoup d’ailleurs tournent autour du pot, font des circonvolutions, essaient de changer de sujet, avec doigté, tact et délicatesse.

– Docteur, c’est bien une appendicite ?
– Tout de suite, les grands mots ! Une appendicite ! Et pourquoi pas une péritonite pendant que vous y êtes ? Vous avez juste un petit cancer du foie… Et ne faites pas l’enfant. Fait pas chaud pour la saison. Vous avez vu, Sarko et Carla ? Quelle histoire ! Si on nous avait dit ça…

Le Dr Schweitzer est d’une humanité si bouleversante qu’il préfère taire la vérité à ses patients plutôt que de rajouter à la douleur physique la détresse morale. « Il vaut mieux, dit-il, un petit mensonge qu’une grande peine. » Dr Schweitzer ment, Dr Schweitzer ment, Dr Schweitzer est allemand.

Le problème est qu’en cinquante ans d’exercice plus ou moins légal de la médecine le brave Dr Schweitzer a pris le pli : il ment toujours et jamais ne dit la vérité. Cela convient parfaitement à mon hypocondriaque de mari : la semaine dernière, Willy, qui a passé son le réveillon à fumer la moitié de la production agricole afghane, avait la migraine. Le Dr Schweitzer n’a pas attendu minuit pour lui prescrire un scanner, un bilan sanguin et une échographie. Pourquoi une échographie ? Les femmes enceintes y sont sujettes. On n’est jamais trop prudent.

Heureusement que Willy n’a pas l’hypocondrie trop ambitieuse : cela ferait longtemps qu’il l’aurait eue, sa chimio.

Vous aurez donc bien compris que Roselyne Bachelot a raison d’instaurer la franchise médicale. Elle fait oeuvre de salubrité publique : quand nos médecins auront un peu plus de franc-parler, nous aurons beaucoup moins de malades imaginaires.

Traduit de l’allemand par l’auteur.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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