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France-Jordanie : des atomes crochus


France-Jordanie : des atomes crochus

Le Royaume de Jordanie et son roi Abdallah II font irrésistiblement penser à ce mot de Louis-Philippe : « La monarchie est la meilleure des républiques. » Discret, le roi hachémite a conquis une place plus qu’honorable sur la scène moyen-orientale et internationale. Et depuis quelques années, le monarque et son épouse Rania effectuent régulièrement des séjours en France. Le 18 août dernier, la reine de la Jordanie était l’invitée des Sarkozy au Cap-Nègre et neuf jours plus tard, le 27 août, son royal époux était l’hôte d’honneur de la journée d’ouverture de l’université d’été du Medef.

Mais Abdallah II ne s’est pas déplacé uniquement pour fêter la Saint-Patron à Palaiseau avec Parisot, il a profité de sa visite pour parler affaires avec le président de la République. Le dossier de la coopération en matière de nucléaire civil était très officiellement au cœur de cette visite. Un protocole d’accord sur l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire a bel et bien été signé entre les deux pays. Areva semble être intéressé par l’uranium – quelques 130 000 tonnes – que les Jordaniens pourraient extraire de leurs réserves de phosphates. De son côté, la Commission jordanienne de l’énergie atomique envisage l’achat d’un réacteur nucléaire pour la production d’électricité et la désalinisation de l’eau.

Après la Libye, l’Egypte et la Syrie, la Jordanie devient donc l’un des partenaires de la France en matière de nucléaire civil. On dirait que la politique arabe est en train de devenir « la politique Areva ». Certes, la partie arabe est beaucoup plus motivée que la France pour aller de l’avant mais on ne peut nier l’existence d’un intérêt commun. L’Union pour la Méditerranée pourrait bien être propulsée par l’atome.

Le rôle de la Jordanie et de son roi, et même leur pérennité en ce début du XXIe siècle, tiennent du miracle. Fort heureusement pour cette monarchie improbable, le roi Abdallah II semble avoir hérité non seulement du trône de son père Hussein mais surtout de ses exceptionnelles qualités d’homme d’Etat. Après presque une décennie à la tête du royaume hachémite, Abdallah démontre qu’il est le digne fils de son père, et porte haut le nom de son arrière-grand-père, le fondateur du royaume. Interlocuteur écouté du Quai d’Orsay et de l’Elysée, le monarque suit de près la situation dans les pays voisins – l’Irak, la Syrie, Israël, la Palestine et le Liban. Dans cette banlieue dangereuse du monde, l’existence de la Jordanie a été principalement assurée, depuis sa naissance en 1946, par l’intelligence de ses trois rois, Abdallah, Hussein et Abdallah II. La survie de ce petit pays presque dépourvu de ressources est un formidable exploit, quand on songe à sa situation géostratégique au cœur d’un conflit indébrouillable. A quoi il faut ajouter le fait que les « autochtones » (si tant est que ce terme ait un sens dans une région où on a toujours eu la bougeotte) sont minoritaires, la majorité de la population jordanienne étant d’origine palestinienne. Allez fabriquer une nation avec tout ça, à partir d’une entité politique créée de toutes pièces par les Britanniques entre les deux guerres. Ce n’était pas gagné.

Mais comme disait l’autre, ce qui ne tue pas rend plus fort. Forte de ses multiples faiblesses et bien dirigée, le royaume a su trouver un équilibre politique, social et économique impressionnants. Pour donner une idée de l’intégration à la jordanienne, rappelons que la Reine est d’origine palestinienne, de même que Khaled Toukan, le patron de la Commission jordanienne de l’énergie atomique, issu d’une grande famille de notables de Naplouse. Rappelons aussi que l’arrière grand-père de l’actuel roi a été assassiné par un nationaliste palestinien et que son père Hussein n’a pas été très tendres avec eux en 1970-1971.

En conséquence, il est très intéressant et plus encore utile d’écouter Abdallah II, et d’analyser sa politique, surtout sa politique palestinienne. Au Moyen-Orient, personne ne connaît mieux les Palestiniens que les Jordaniens. La récente décision d’Amman de renouer le dialogue avec le Hamas aurait dû faire la « une » des journaux. Car ce changement de cap est un signal.

Les Egyptiens, il est vrai, ont conservé des liens avec Gaza, capitale de la Palestine de l’Ouest, toujours en se prévalant de leur rôle de médiateurs entre Israël et le Hamas. Les Jordaniens vont beaucoup plus loin : ils ont purement et simplement décidé de négocier avec le Hamas une réconciliation qui mettra fin à une décennie de conflit. Or, ils étaient sans doute les plus durs dans la politique du « cordon sanitaire » autour du Hamas. Si eux, experts chevronnés en affaires palestiniennes, jettent l’éponge et renoncent à la logique de l’isolement et du boycott, les jours de cette stratégie sont comptés. La Jordanie va-t-elle appliquer la maxime « If you can’t beat them, join them ! » ? Amman croit au moins à la première partie de l’adage : on ne peut pas les battre.

Après avoir causé énergie renouvelable et cours de bourse avec Nicolas Sarkozy, on peut raisonnablement supposer qu’Abdallah II l’a informé du nouveau cours de sa politique palestinienne : deux Etats pour un peuple. En ouvrant au Hamas les portes d’Amman, le roi sait que, tôt ou tard – et plutôt tôt que tard – l’Autorité palestinienne sera obligée d’accepter un Etat palestinien de fait bicéphale. Reste à savoir le prix que le Hamas a accepté de payer en échange de la levée du boycott, au-delà d’un engagement à ne pas agir contre le régime et de quelques promesses concernant les règles du jeu entre Gaza et Ramallah.

La visite d’Abdallah II à Paris quelques jours avant que Sarkozy ne prenne le chemin de Damas, et sa nouvelle ligne vis-à-vis du Hamas laissent penser que la démarche jordanienne s’inscrit dans une grande manœuvre en cours au Moyen-Orient pour couper l’Iran de ses alliés méditerranéens en Syrie, au Liban et en « Palestine de l’ouest ». Abdallah pourrait obtenir des islamistes gazaouis, dont certains envoient leurs mails depuis Damas et flirtent avec Téhéran, qu’ils ne sabotent pas ces efforts de la diplomatie occidentale dans lesquels Paris joue un rôle actif. Le grand marchandage en cours avec la Syrie appellent d’autres tractations, avec Israël, le Liban et le Hezbollah, et le Hamas. Si le roi de Jordanie est dans le coup, c’est peut-être sérieux.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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