FN : Mon fils, ce salaud


FN : Mon fils, ce salaud

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Dans le Doubs, l’UMP regarde ses pompes cirées[1. Plus encore que le joyeux bordel du bureau national de l’UMP, la saillie de son candidat Charles Demouge contre les petits blancs dans une circonscription où le FN est à 30% me laisse coi. De quoi donner raison à Sarkozy qui l’a si justement traité de c…], le PS victorieux fait profil bas et le FN sable le mousseux. Il s’en est fallu de très peu pour que Sophie Montel rafle la mise dans la circonscription abandonnée par Pierre Moscovici. Pourtant, la candidate frontiste partait avec un gros boulet à ses pieds à la suite de Le Pen père : des déclarations pas très malignes sur l’inégalité des races, dignes des pires darwiniens du XIXe siècle. Mais malgré le regain de participation au second tour, que les instituts de sondage attribuent un peu trop facilement au sursaut antifasciste, son adversaire socialiste ne l’a devancée que d’un cheveu.

Ce n’est pas faute d’avoir instruit le bon peuple des dangers du fascisme immense et bleu Marine. Tenez, il y a encore quelques jours, comme je faisais un sort à une montagne de crêpes, mon doigt s’est négligemment posé sur la touche 2 de la télécommande : abracadabra, le visage de David Pujadas apparaît pour annoncer un sujet chaud-bouillant : « Père de gauche, fils au FN »

Le décor planté, Walter Broccoli (non, ce n’est pas le nom d’un personnage du Groland) voit sa biographie déroulée devant nos yeux. L’ancien délégué Force ouvrière de Florange souffre dans sa chair la plus rouge du ralliement inattendu de son fils au Front national. C’est bien simple, lorsqu’il a découvert la présence de son rejeton indigne sur la liste FN aux municipales de Thionville il y a bientôt un an, Walter n’en a pas cru ses mirettes. Parole de prolo, « mon fils, il s’est jamais intéressé à la politique ». Ce que la reporter ne dit pas, c’est que « cet homme viscéralement à gauche » a un temps été pressenti pour porter l’étiquette… UMP aux élections municipales de Thionville, si j’en crois les informations de Libé, qui ne passe pas pour une officine pro-FN. Ne lui jetons pas la pierre, devenu réformiste après avoir raccroché les gants, Walter ramène la social-démocratie à ce qu’elle est : un compromis entre UMP et PS qui devrait ignorer les querelles byzantines entre ces deux branches du centre. N’y a-t-il pas plusieurs maisons dans la demeure du Seigneur? Soit, mais le syndicaliste a beau jeu de traiter de jaune son ancien collègue Edouard Martin, ex-CDFT gouailleur reconverti en servile eurodéputé PS…

Ces acrobaties ne sont pas pour décontenancer la journaliste Maryse Burgot. L’envoyée spéciale dans la France périphérique poursuit son enquête en terrain miné : « Comment expliquez-vous que votre fils, que vous avez élevé, se tourne aujourd’hui vers le Front national ? », demande-t-elle fort pertinemment au sieur Broccoli.

La réponse fuse : « la colère, la rage, la haine, la HAINE, la HAINE contre la société d’aujourd’hui, la HAINE contre les politiciens, le dégoût des politiciens » (de ceux qui changent d’étiquette comme de chemise ?). Jusqu’ici, rien de nouveau sous les nuages de Thionville : la brume sentimentale aurait provoqué la dérive du fils prodigue, lequel ne « comprend pas qu’il se retrouve à 480 euros par mois bien qu’il ait un BTS en informatique et qu’il y en ait d’autres qui touchent des salaires abusifs dans le gouvernement, dans nos élus (sic) ». Exclusion, frustration, ressentiment, haine des élites… Mais je ne suis plus tout à fait sûr de suivre : on parle frontiste ou djihadiste ?

Au temps pour moi, j’ai eu un moment d’égarement ; l’absence de tout discours compassionnel me confirme que l’on nage dans les eaux troubles du FN, loin des banlieues où l’on trouvera toujours des circonstances sociales atténuantes aux Kouachi et autres Coulibaly.

Mais que s’est-il donc passé pour en arriver là ? « Walter Broccoli a élevé son fils dans la tradition des luttes ouvrières (…) aujourd’hui 30% des ouvriers de Florange votent Front national », nous dit la voix off récitant le catéchisme habituel, une mélodie larmoyante en fond sonore. Persuadée que l’adhésion aux idées frontistes relève de la pathologie sociale ou de l’épidémiologie, Maryse Burgot n’envisage pas un seul instant l’hypothèse folle selon laquelle le fils Broccoli aurait agi en son âme et conscience, qu’on approuve ou non son choix. D’ailleurs, y avait-il plus éloigné de son éducation ouvriériste que les programmes respectifs de l’UMP et du PS ? S’il est encore trop tôt pour ériger une stèle mosellane aux promesses trahies de Marine Le Pen, m’est avis que l’heure viendra dans quelques années…

En attendant, le père Broccoli n’a que ses yeux pour pleurer : « Peut-être qu’un jour il se réveillera et il comprendra (…) parce que moi j’aime mon fils et il le sait »,glisse Walter des sanglots dans la voix… avant d’annoncer qu’il refuse de reparler à son fils tant qu’il n’aura pas renié le FN. L’amour paternel a ses limites…

Tout bon reportage anti-frontiste devant se conclure par une déclaration de foi antiraciste, on n’y coupera pas. Pour le coup, le cocktail « touche pas à mon pote »/ « nous sommes tous des étrangers » se révèle aussi digeste qu’une tomate-mozza avalée en bordure de l’A4 : « pour moi, c’est insupportable que mon nom soit rattaché au Front national. On ne peut pas comprendre ces gens-là qui zont (sic) la haine contre les étrangers alors que moi je suis un étranger ici  (…) on me traitait de macaroni ».

En guise de conclusion, Maryse Burgot remet la balle au centre. « Le fils nous glisse au téléphone que c’est son père qui l’a rejeté et pas le contraire », a-t-elle l’honnêteté de reconnaître. Cette petite histoire a priori insignifiante en dit bien évidemment très long sur l’implantation du vote frontiste en terre ouvrière. Mais les petits plaisantins dans mon genre retiendront surtout que cette commedia dell’arte redonne des couleurs à un mythe usé de l’antifascisme : comme nous l’a enseigné Brecht, c’est bien du ventre encore fécond de la social-démocratie qu’est sortie la bête immonde…



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