Faut-il expulser les riches?


Faut-il expulser les riches?

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Ils n’en ont pas parlé ! Dans le climat plutôt déplaisant, pour ne pas dire franchement pourri, qui planait ces dernières semaines, il y avait peut-être une raison de se réjouir. Dans le tourbillon des affaires, voilà plusieurs semaines qu’on ne parle pas d’immigration, d’intégration, d’islam, et de toutes ces questions qui fâchent. Il faut avouer que ça fait du bien. Peut-être en conclura-t-on qu’il n’y a aucun problème, sinon dans la tête de quelques publicistes réacs toujours prêts à flatter les bas instincts du peuple. Cette fois, seuls les policiers de la DCRI ont pris le risque de remuer les passions mauvaises en ressortant opportunément, à trois jours du second tour des municipales, une affaire de terrorisme jihadiste à Mandelieu vieille de cinq semaines.

À vrai dire, même le FN semble avoir décidé de mettre la pédale douce sur ces sombres affaires identitaires. À entendre Marine Le Pen sur les plateaux de télévision au soir du premier tour, on avait l’impression qu’elle dirigeait un autre Front de gauche, peut-être un peu moins libertaire et un peu plus patriote que l’original. Telle un Mélenchon en jupons, elle n’avait à la bouche que le chômage et la désespérance sociale, sans oublier les turpitudes de Bruxelles et du grand capital – en somme du grand classique de gauche de la gauche. Quelques jours plus tard, commentant sur France Inter les bons scores de son parti à Marseille-Nord et à Forbach, quartiers où vivent nombre d’électeurs d’origine immigrée, elle s’est félicitée que ceux-ci aient les mêmes problèmes que les autres Français et qu’ils en aient marre d’être utilisés par les socialistes, plongeant les journalistes qui l’interrogeaient dans une perplexité comique.

Le Front national serait-il un parti normal ?, semblaient-ils se demander, vaguement effrayés par cette audacieuse supposition. Le plus amusant, en effet, est que tous ceux qui nous accusaient hier, au mieux de nous faire embobiner par ses beaux discours, au pire de banaliser volontairement ses idées sales, ânonnant contre toute évidence que la fille est la copie exacte de son père, croient aujourd’hui Florian Philippot sur parole quand il affirme que le FN d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui d’hier.  Plus étonnant encore, une grande partie du gouvernement et de la gauche politique semble être parvenue à la même conclusion. Najat Vallaud-Belkacem et Harlem Désir ont bien tenté de pousser la chansonnette antifasciste, le cœur n’y était pas. Pas de semaine anti- Le Pen, donc, ni le moindre point Godwin. Il ne doit rester que Laurent Joffrin et Olivier Py pour se la jouer « No pasaran ! » Furieux contre les Avignonnais qui avaient mal voté, plaçant le candidat FN en tête avec 29,63 % des voix et 27 bulletins d’avance sur la socialiste, le directeur du festival d’Avignon a menacé de plier bagage si d’aventure le Front passait – ce qui paraissait déjà hautement improbable au moment où il le disait. Pas de théâtre pour les ploucs – ce doit être la nouvelle version de l’élitisme pour tous que Jean Vilar appelait de ses vœux.  Certes, comme l’a noté l’excellent Guillaume Erner dans Libération, le frontisme municipal a donné lieu à une palanquée de reportages évoquant Mon curé chez les nudistes. Mais les politiques, eux, ont répété sur tous les tons qu’il fallait écouter les électeurs du Front national. Et si possible leur causer meilleur, c’est-à-dire chômage et crise. Convaincue que « le FN grimpe du fait de la désespérance économique et sociale et non de l’insécurité ou de l’immigration », Cécile Duflot a demandé un coup de barre à gauche.  Que nos gouvernants se décident à écouter des électeurs qu’ils préféraient jusque-là dénoncer est une bonne nouvelle. Encore faudrait-il être sûr qu’ils les entendent bien. Si l’on comprend, la laïcité n’est plus menacée, les revendications communautaires se sont tues et l’intégration marche à merveille. Bref, tout va pour le mieux dans la meilleure des France, où toutes les cultures et toutes les différences vivent en bonne intelligence. Et puisque les fameuses bonnes questions auxquelles on reprochait au Front d’apporter de mauvaises réponses ne font plus question du tout, inutile de chercher les bonnes réponses – les réponses républicaines. On aimerait croire que ce dont on ne parle pas n’existe pas.

Mais en politique, les miracles sont rares et on peut craindre que les inquiétudes aujourd’hui refoulées fassent demain un retour fracassant. À moins qu’on assiste vraiment à la grande réconciliation de la France d’en-bas, banlieues et zones périurbaines communiant dans la détestation d’élites démonétisées. On conviendra que « Tous pourris ! » ou « À bas les riches ! », c’est un peu plus distingué – c’est-à-dire bien moins abominable –, que « Marre des Arabes ! » ou « Juifs dehors ! ». Reste que la haine de classe n’annonce pas forcément la paix civile.

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Causeur 12 - avril 2014


*Photo : BAZIZ CHIBANE/SIPA. 00589226_000003.

Avril 2014 #12

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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