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Fink Fiction


Fink Fiction

Extrait de la nouvelle intitulée Fink Fiction, hommage déjanté au philosophe Alain Finkielkraut, tirée des Contes de la télé ordinaire, paru le 27 mars aux éditions Michalon. David Abiker a déjà publié chez le même éditeur Le Musée de l’homme et Le Mur des lamentations, respectivement consacrés à la féminisation de la société et à la victimisation médiatique. Il tient un blog.

(…) Une fois dans le hall d’entrée, Nikos Aliagas s’est rendu immédiatement. Nous l’avons ficelé sans aucune difficulté et rangé dans un placard à balais. Ses yeux semblaient nous dire merci.Je ne sais pas pourquoi mais dans ce rêve je suis eurosceptique. Et donc je dis à Fink :

– À cause de l’Europe, ce maudit Grec a pris ma place. C’était à moi d’animer le radio crochet, pas à cet étranger, hélas, il a demandé deux fois moins de pognon et ils l’ont pris.
– On va te venger, poulet, a répondu Fink.

L’auteur de Nous autres modernes avait les yeux qui brillaient et moi j’étais très excité. On a commencé la visite en tendant l’oreille. On entendait des « Yeeeeahhhhéhangue » dans les couloirs.

– Ils chantent les cons, j’ai dit.

Dans une pièce qui ressemblait à une cuisine Ikéa, on a reconnu deux candidates qui lisaient Psychologie Magazine tout en faisant des vocalises.Fink a posé cette question :

– Pourquoi font-elle innocemment vibrer les cloisons de leur nez au lieu d’utiliser leur ventre, leurs tripes et leur gorge ?
– Mais parce qu’elles sont en apprentissage, Alain, j’ai cru bon de répondre.

Jessica et Connifer, je crois. Elles poussaient des « Yeaaaaaaahéhangue » qui rappelaient ceux d’Ophélie Winter.
Fink a proposé de les maltraiter immédiatement.

– On s’occupe des garçons d’abord, j’ai dit.

Que restait-il de ces jeunes hommes à grandes dents ? Ils avaient déjà viré les plus dégénérés par SMS. Restaient deux ados avec des pieds immenses et des boîtes de céréales dans les poches.

Cette génération a des grands pieds, des gros os, des grosses lèvres, des mentons énormes. Avant de les liquider, Fink a souhaité qu’on s’occupe du gel.

J’ai senti qu’il faisait une fixette sur le gel. Pour lui le gel capillaire est un paradigme déterminant pour comprendre cette jeunesse.Faut dire qu’on supporte plus le gel, Fink et moi. On supporte plus leurs cheveux, leur air ahuri comme s’il fallait à tout prix avoir l’air ahuri. Avant on pensait avec sa tête, eux, ils pensent avec leurs cheveux. Ce qui est bien c’est que dans les rêves personne ne vient dire : « Mais David, en 1983, tu passais une heure par jour à te coiffer sans succès.

« Toujours est-il que dans ce château à la gomme, il y a des dizaines de cantines militaires pleines de gel. Le gel coule dans les veines et les artères des candidats de la StarAc’. C’est archi sûr. Du gel turquoise, du rose, du bleu, du « des années 80 ». L’école de chant la plus réputée de France carbure au gel.

– Mais ils en bouffent ou quoi ?, a gueulé Fink excédé.
J’ai pris un air mauvais.
– Ils vont le chier leur gel, t’aaas voir [1. Tu vas voir.].

J’ai fracassé la porte du studio. Deux jeunes mecs quart-de-finalistes s’entraînaient à la lambada avec des guitares classiques, tout en se jurant que si l’un d’entre eux perdait il n’en voudrait pas à l’autre.

Ni l’un ni l’autre n’avait jamais employé le terme « empathie », mais c’est bien le sentiment que chacun de ces adolescents attardés de vingt-six ans ressentait l’un pour l’autre.

Pour faire court, ils se câlinaient en l’absence des filles. Cette génération passe son temps à se câliner. Ils sont là à se peloter sans arrêt et à faire « Yeeaaaahéhangue », a noté Fink dans le carnet qui ne le quitte plus depuis l’apparition des nouveaux philosophes.

Quand j’ai sifflé la mi-temps, les « Djeuns » ont stoppé net leur chanson douce. J’ai tabassé les deux. Comme dans tous les rêves violents que je fais dans mon lit, il me faut des heures et des heures avant de démonter la tête d’un type.On dirait que je cogne dans la guimauve.

À la fin, j’ai pris la gratte et je l’ai enfoncée sur la coiffure du plus grand. Comme sur la jaquette de London Calling [2. Double album du groupe anglais The Clash.]. On aurait dit aussi Malcom Mc Dowel dans Orange Mécanique, mais en plus gras.

J’ai dit : « Ça, c’est pour avoir massacré Nicoletta la première année. Et ça c’est pour faire semblant de savoir chanter du Téléphone alors que vous n’êtes que des minables. »

Fink a filé un coup de Doc Martins dans l’ampli pour qu’ils soient pas tentés de couiner ou d’appeler leur manager. On a obligé la prof de chant, celle qui a les mêmes lèvres que Michel Sardou, à se bourrer à la bière jusqu’à ce qu’elle arrête de crier.

Ensuite, seulement, nous sommes retournés voir Jessica et Connifer.

Elles essayaient des jeans devant un miroir aux alouettes en rentrant leur ventre. On a fermé la porte de la chambre. On s’est mis à les regarder par en dessous.

– Vas-y, Fink, t’as qu’à commencer…
Et Fink a démarré, il a sorti son cahier et lu des notes qui dataient du milieu des années 1980.
– Bien que j’ai été soixante-huitard comme la plupart des gens de mon âge, ou peut-être précisément pour cette raison, je ne crois pas qu’il faille valoriser automatiquement tout ce qui bouge ni que le mouvement soit à lui-même sa propre justification. Il me semble, à l’inverse, qu’au risque d’être un peu seul, il importe aujourd’hui d’être sobre et de résister à la grande marée lyrique des pseudo-résistants.

Ça n’a pas manqué. Les deux apprenties ont été prises de convulsions comme si elles avaient laissé tomber leur fer à friser dans leur bain. C’était atroce, ça chialait, ça demandait pardon à la Pensée, à la Culture, aux Punks des 70’s et même à la New Wave. L’une s’est tellement secouée qu’un sein est sorti de son body. Ça a failli m’attendrir.

– Tiens, remets donc ça, j’ai dit à Fink en me ravisant.Et il a remis ça le mec.
– À l’inquiétude suscitée par l’hétérogénéité linguistique ou culturelle qui règne dans les écoles et collèges situés hors des quartiers bourgeois on répond en vantant, sur le mode Benetton…

Il a pas pu continuer car une des filles s’est mise à pleurer franchement provoquant le déclenchement d’une alarme. Fink m’a regardé avec son cahier ouvert et son questionnement.

– On devrait peut-être se tirer, j’ai dit.
– Ouais, mais avant on s’occupe du gel.Pas question effectivement, de partir sans détruire les provisions de gel. On a vidé les pots dans les cabinets collectifs et on s’est taillé.

Comme dans tous les songes de qualité, j’avais mis la main sur une liasse de Pascal, des vrais francs, pas des euros. Une liasse bien épaisse, bien dense avec le bandeau vert rayé, le tout dérobé dans la poche intérieure du smoking de Nikos Aliagas. (…)

Contes de la télé ordinaire

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David Abiker est journaliste et essayiste. Retrouvez-le chaque jour sur France Info ou sur son propre <a href="http://davidabiker.typepad.fr/">blog</a>.

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