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Métis, si je veux !


Métis, si je veux !

Au début, c’était enivrant. Cela devient saoulant. « Qu’ils sont ravissants vos fils ! Métis, non ? Ah ! Les métis, c’est (sic) toujours très beau… » Aujourd’hui c’est une voisine, charmante comme tout, Nouvel Obs sous le bras, qui me sert le compliment.
Et m’exaspère.

Je n’ai pourtant rien contre le métissage. Certes, l’injonction culturelle du métissage à tous prix m’agace (comme du reste toute forme de « pensée gramophone »), mais d’elle je ne me préoccupe guère : contrairement aux idéologies totalitaires, il suffit de l’ignorer pour s’en libérer. Et puis, ne suis-je pas, moi aussi, à la fois fils et père du métissage ? Non, la gêne que j’éprouve aujourd’hui encore dans le hall de mon immeuble ne provient pas de la louange, mais de ce qu’elle sous-entend. Et qui me semble remarquablement préoccupant.

Le racisme est devenu un tabou contemporain. Tant mieux. Mais ce qui semble avoir échappé à notre vigilance, c’est la persistance d’un discours qui, pour être formellement sympathique, n’autorise pas moins la pérennité, la mutation et donc, à terme, le retour d’un racisme pur et dur.

Car si l’expression raciste de nature agressive est prohibée, la louange raciste, elle, ne l’est pas. Les Noirs sont plus sympathiques, les Nordiques mieux bâtis, les Asiatiques plus sensuels, et ad libitum : autant de jugements caricaturaux, qui sont communément propagés et admis dans la mesure où ils ne sont pas proférés dans un but méprisant… mais laudateur. Ils n’en demeurent pas moins d’essence parfaitement raciste. Mes enfants sont beaux… comme tous les Métis. Ben Johnson court vite… comme tous les Noirs. Mlle Gong Li est gracieuse… comme toutes les Jaunes. Zidane ne plaisante pas avec l’honneur de la famille… comme tous les Arabes [1. Zinédine Zidane n’est pas Arabe mais Kabyle ? Qu’importe. Pendant toute l’épopée bleue (1998-2006), il fut sommé d’incarner l’Arabe d’une équipe nationale black-blanc-beur, qui n’en compta jamais un seul. Dommage, car l’Arabe, dit-on, est fin dribbleur…].

On ne trouvera là nulle matière à procès. Ni injure, ni dénigrement. Que des compliments. Mais qui enferment. Qui caricaturent. Et soutiennent qu’un être humain n’est plus le produit de son histoire, de ses choix personnels, de son univers historique et de son héritage culturel : il est avant tout et plus que tout l’illustration d’un principe génétique. Les Métis sont beaux, comme les Noirs dansent bien et les Asiatiques cousent vite. Loin de toute vocifération hitlérienne, on en arrive ainsi, de nouveau, à ramener l’individu à ses caractéristiques zoologiques.

L’homme ? Un animal comme les autres

Pourtant, si toutes les vaches ont des cornes, tous les Noirs n’ont pas la voix de Barry White ; si tous les oiseaux volent, tous les Asiatiques ne sont pas soigneux ; si toutes les poules sont ovipares, tous les Métis ne sont pas gâtés par la nature ; si tous les poissons ont des écailles, tous les Juifs ne sont pas doués pour faire de l’argent, de la philosophie ou de la physique quantique.

Et c’est heureux : la non-reproduction de caractéristiques d’espèce est précisément ce qui fonde la dignité et la liberté de l’homme. Cette conception de l’homme est hélas minée par un néo-racisme débonnaire et flatteur, qui à la haine préfère l’ADN, et nous ramène sans cesse au règne animal : pour la chasse ? Un teckel. Pour l’entrée du magasin ? Un black ! Pour le défilé de Deauville ? Un lévrier. Pour le standard et l’accueil ? Une Noich… Pour la chambre du petit ? Un hamster. Dans les buts ? Un rebeu. Pour Mamy ? Un chat angora. Et pour la Direction Générale ? Un blanc, la bonne blague !

Où l’on constate que la division raciale de l’éloge appelle déjà la division raciale du travail – c’est-à-dire qu’elle détermine l’utilité sociale.
Question : quel avenir prépare-t-on à certains de nos enfants, encouragés à travailler leurs abdos parce que Noirs, dans une société où seuls la matière grise est recherchée et où la force est désormais fournie par des robots tendanciellement gratuits ? Le chômage, la déréliction, l’amertume. Cool.
Qu’on y songe donc : derrière d’innocents compliments (« Oh ! Comme ils sont beaux… ») se profile une régression idéologique majeure. Il ne tient qu’à nous de l’enrayer. Avec un peu de pédagogie, sinon d’humour…

C’est pourquoi, aux admirateurs de mes enfants, j’ai décidé de livrer, une fois pour toutes, le secret de leur beauté. Mes fils ne sont pas beaux parce qu’ils sont métis. Ni parce que leur mère est superbe (et, accessoirement, leur père pas mal). Mes fils sont beaux parce qu’ils ont du talent et de la volonté, mes fils sont beaux parce qu’ils ont décidé d’être beaux.

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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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