Fête de l’Huma : deux chrétiens parmi tant d’autres


Fête de l’Huma : deux chrétiens parmi tant d’autres

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Aller à la Fête de l’Humanité ? Pour beaucoup de catholiques pratiquants, cela ne leur viendrait pas à l’esprit. Pour d’autres, participer à un tel festival bolchevique serait même la dernière chose à faire. Errer parmi des faucilles et des marteaux flottant dans un ciel rouge pendant que cuisent les merguez et les cuisses de poulet ? Jamais. Les chrétiens, pensent-ils probablement, devraient plutôt se tenir à l’orée des écoles de commerce.

Mais pourtant, chrétien, ce slogan du Front de gauche ne l’est-il pas profondément ?  « l’humain d’abord ».  Autant par son histoire que par son sens, cette expression si chère à la « vraie gauche » n’est pas sortie du dernier meeting de Mélenchon. Chrétienne, elle est indubitablement. Nietzsche détestait le christianisme et le socialisme pour cette même raison : la racine  dégénérée de la faiblesse. Cette façon qu’ils ont tous les deux, christianisme et socialisme,  de résister à une esthétique de la force, en montrant d’abord des noms et des visages à sauver….

Le malentendu superficiel en la personne du Pape François, perçu comme le nouveau leader marxiste mondial, lient à nouveau ensemble christianisme et socialisme. Autant de prétextes pour se rendre à la Fête de l’Huma, en donnant le ton. Nous sommes chrétiens, avons-nous précisé ce week-end. Alors, universel, le socialisme et le christianisme ? Oui, mais pas universaliste.  La preuve,  l’humain existe, et nous l’avons rencontré.

Pour un habitué des rassemblements catholiques, la Fête de l’Huma n’est pas sans rappeler l’ambiance joyeuse et bonne enfant des JMJ. Il y a l’unité spirituelle, la saveur du partage et du don, pratique courante dans ce genre d’endroits,  (la boue dans les chaussures), et enfin, quand les idées et les personnes se rencontrent, le sentiment d’échapper aux impératifs individualistes en vigueur. Tel Jules, jeune maçon, militant communiste en Rhône-Alpes, qui répète presque mot pour mot ce que disent des milliers de chrétiens à leur retour des JMJ : « cet événement est grandiose ! C’est un véritable ressourcement pour moi. Je me sens d’attaque pour toute l’année ensuite ! ». Dans les deux cas, c’est un évènement attendu, façon anti club Med, parce qu’il y a toutes ces exigences mentionnées qui vont à contre-courant de l’époque.

Jules a beaucoup voyagé en Amérique latine. « Là-bas, nous explique-t-il, il y a des prêtres qui défendent les pauvres, les sans-terres. Tous les camarades sont chrétiens. Je suis obligé de reconnaître qu’ils ont une autre approche de la religion que nous, en Europe ». On lui demande s’il apprécie le Pape François. « Je n’aime pas le Vatican en tant qu’institution, mais il me semble que le Pape donne un exemple positif, en prenant soin des plus faibles ». Un de ses camarades venu de Saint-Etienne témoigne : « ma grand-mère ne va plus à la messe depuis 20 ans, car elle était en conflit avec l’Eglise. Aujourd’hui, grâce au Pape François, elle y retourne ! » Un autre ajoute : « je connais un prêtre ouvrier qui a travaillé en Corée du Sud : l’Eglise y défend les exclus et les victimes de la société capitaliste. Cela nous fait réfléchir… »

On s’arrête au stand du PCF des Alpes-de-Haute-Provence, goûter leur huile d’olive « cuvée Jaurès », sur des tartines. Dans la conversation, on tombe d’accord sur la nécessité de garder le dimanche chômé. Que pensent-ils du Pape François ? « Il ne mâche pas ses mots ! Il va vers les pauvres, il ne juge pas, il est dans l’accueil… »

Plus loin, à un stand des Jeunesses communistes tenue par deux jeunes filles, les questions reprennent, un peu spontanément : le Pape François y est  apprécié. Jean-Paul II et Benoît XVI, en revanche, sont détestés. À leur égard, le mot « contraception » revient régulièrement dans les bouches. C’est que les deux jeunes filles insistent sur la liberté et sur le choix, comme par réflexe. Et puis la discussion s’oriente sur le terrain de l’avortement. Une des jeunes filles en a vécu un. « Ce n’est pas quelque chose d’anodin. Le changement de la loi, dire que ce n’est pas une situation de détresse, c’est un mensonge. Il faut permettre à celles qui veulent garder leur enfant de le faire, mais il faut qu’elles puissent décider seules. C’est vrai qu’il peut y avoir des pressions extérieures pour ne pas le garder, mais moi, c’était plutôt l’inverse. »

À la Fête de l’Huma, lorsque vous lancez le mot « chrétien », un autre mot vous est donné comme réponse et comme assentiment : la JOC, la Jeunesse ouvrière chrétienne. Pour beaucoup, ces camarades sont apparemment leur seul lien avec le christianisme. Quand on se présente comme chrétien, la JOC arrive automatiquement dans la discussion. Auréolée d’une réputation de quasi-sainteté, elle est louée partout pour son travail associatif, complémentaire du militantisme des autres. Mais au stand de la JOC, aucun signe distinctif ne rappelle le christianisme. Ils distribuent des feuillets contre l’extrême droite, des T-shirts, des mugs, des bières… Rien de confessionnel. Seules leurs affiches à l’extérieur ont une trace religieuse, car des plaisantins y ont écrit des graffitis : « Jésus aurait voté Jaurès », « Non, il aurait voté Allende ! » En débat, ce week-end au stand de la JOC : « être chrétien et de gauche ». Pour expliquer la présence de chrétien à La Courneuve, le site de l’Huma précise qu’il n’y a pas de contradiction.

Avant d’aller vers la sortie, nous nous arrêtons au stand des Jeunesses communistes. Parmi les pin’s, l’un représente Benoît XVI, un préservatif sur la tête. « C’est rigolo, lâche-t-on en chœur,  mais tu sais camarade, le Pape est très anticapitaliste à sa façon, vous devriez le voir comme un allié, non comme un ennemi ». Le jeune homme qui tient le stand s’excuse aussitôt : « Je ne l’avais pas vu, celui-là, je vais l’enlever tout de suite ! ». Il ajoute : « Le précédent Pape, Benoît, a fait quelque chose qui m’a beaucoup touché : il a démissionné quand il ne sentait plus la force pour mener sa mission. J’ai trouvé ça très humble, et très courageux de sa part. »

Kipling avait raison. L’Est et l’Ouest, en tant que tels, sont irréconciliables, et ne peuvent se rencontrer. Mais de personne à personne, le dialogue et l’annonce sont possibles. De cœur à cœur, il n’y a plus ni Est ni Ouest.

*Photo : Lionel Urman/SIPA. 00692470_000042. 



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