Félix a trente ans


Félix a trente ans

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On écrit son premier roman, disait en substance Bernard Frank, comme on se suicide: pour dire que quelque chose n’allait pas très bien mais qu’on en n’était pas responsable. C’est cette belle formule de l’auteur d’Un siècle débordé qui nous est venu en lisant le premier roman d’Eric Metzger, La nuit des trente (L’Arpenteur). Le titre aurait pu nous faire penser à quelque drame historique, quelque tragédie antique. Ce n’est pas le cas ici. Les « trente » en question sont les trente ans de Félix, le personnage principal de cette errance nocturne et parisienne. On moque beaucoup le trentenaire parisien comme l’archétype du bobo, on en oublierait presque, à force, son humanité. Sortir de la caricature sociologique pour davantage renvoyer à un malaise générationnel, sans jamais sombrer dans la démonstration ou la plainte est la grande force de Metzger. En 1950, La nuit des Trente aurait pu s’appeler L’humeur vagabonde de Blondin et dans les années 80, Trente ans et des poussières de Jay Mc Inerney. En 2015, c’est autre chose: à la mélancolie française du hussard ou à l’angoisse chic et rentrée du yuppie new-yorkais en plein krach boursier, Metzger a substitué une espèce d’attitude d’évitement, une volonté de rester à la surface des choses qu’il ne faudra pas confondre avec la superficialité. L’écriture blanche, mais jamais froide de l’auteur veut simplement coller au plus près de son personnage sans jamais chercher au-delà, moitié par pudeur, moitié par peur de trouver ce qu’il y aurait à trouver.

La nuit des trente commence à la fin d’une journée de travail, en open space évidemment. Félix est journaliste. On ne saura pas pour quel titre mais quelle importance puisqu’on sait, comme nous le suggère le roman, que tous les trentenaires parisiens sont soit journalistes, soit concepteurs-graphistes, soit assistants parlementaires. Le lecteur comprend incidemment que Félix n’a dû dire à personne que c’était le jour de ses trente ans puisque c’est comme d’habitude qu’un de ses collègues néobarbus l’invite à boire un verre avec quelques autres. Felix aime la vodka avec un glaçon, sa boisson fétiche, « toujours ce spasme, comme un toc. » Dans ce troquet de l’avenue de Villers sous le ciel rose du printemps, Félix n’en profitera pas pour annoncer son entrée en trentaine. Ce n’est pas qu’il est un garçon secret, c’est qu’il ne voit pas trop comment en parler, sinon à lui-même. Il se rappelle que Balzac avait déjà publié Les Chouans et Fitzgerald Gatsby le magnifique à cet âge là. Que Félix soit un garçon littéraire qui rêve de devenir écrivain ne fait aucun doute même si là non plus, il ne dit rien, même à lui-même. Evidemment, ces jeunes gens sans enfants ou célibataires vont poursuivre la fête ailleurs, dans un autre bar qui ressemblera au premier, dans le XVIIIème. Félix se déplace en scooter et c’est « Nigga in Paris » qui passent dans ses écouteurs.

« Boulevards des Batignolles, Place de Cichy, boulevard de Clichy, puis de petites rues un peu obscures. Du monde devant les bars qu’il croise. » Félix est de son temps, il ne va pas le nier. D’ailleurs Félix ne nie rien, ce n’est pas son genre. Ce qui semble lui tenir lieu de colonne vertébrale, dans son vagabondage alcoolisé, c’est le souvenir d’un amour perdu, d’un amour comme on n’en connait qu’à l’adolescence et un certain attachement à la grammaire. Il lui sera donc beaucoup pardonné, à cet Ulysse d’une nuit printanière qui traverse Paris de part en part pour retrouver une jeune fille aperçue au début de l’Odyssée. Il  croisera pour se faire des buveurs, des danseurs et d’autres buveurs, plus vieux, qui semblent sortir des Lumières du zinc du grand Robert Giraud. Félix va aussi prendre un peu de MDMA mais on sent bien que ce n’est pas dans ses habitudes et laisser son scooter pour fuir un contrôle de police. Bref, il fait un peu n’importe quoi, mais finalement sans trop d’excès.

Qu’il retrouve ou non la jeune fille, finalement, n’est pas le plus important et on laissera le lecteur le découvrir comme on lui laissera découvrir les toutes dernières pages, véritable retournement qui nous donne, enfin, la clé qui permettra de comprendre qui est Félix.

Ce qu’il faut savoir ici, avant tout, c’est que La nuit des trente d’Eric Metzger est une réussite, brève, délicate, parfois drôle et qui laisse au lecteur, aurait dit Sagan à qui on peut aussi penser ici,  un certain sourire.
La nuit des trente d’Eric Metzger (L’Arpenteur)

La nuit des trente

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*Photo : GHNASSIA ANTHONY/SIP. 00693273_000027.



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