Dictature verte… ou terrorisme économique ?


Dictature verte… ou terrorisme économique ?

mais ogm environnement

Vive le nucléaire ! Vive le gaz de schiste ! Vive le maïs OGM ! Haro sur le principe de précaution ! Pour débrider la croissance, n’hésitons pas à alléger le fardeau de normes, de règles et de taxes qui pèsent sur l’économie productive, l’entreprise et l’innovation. Et remettons le monde sur ses pieds ; c’est l’homme qui compte, pas la nature !

Je ne sais pas si Luc Rosenzweig serait d’accord avec ce résumé, certes synthétique, d’un article paru dans ces colonnes – assez conforme, me semble-t-il, au point de vue majoritaire de la rédaction. Voilà du moins ce que le lecteur de Causeur que je suis, tantôt amusé, tantôt agacé, en a lu. Dans des circonstances bien particulières, puisque je me trouvais dans un de ces nombreux pays d’Afrique qui font appel à l’expertise de la France et, surtout, à son indépendance – ou à ce qu’il en reste – pour résister à la pression incroyable des marchands d’OGM. Particulières aussi car, à quelques semaines près, j’étais passé au travers du cauchemar de Harbin, ville de 6 millions d’habitants, dans le nord de la Chine, dans laquelle, en décembre 2013, ni avion, ni train, ni transports scolaires, ni aucun véhicule n’ont circulé pendant plus de quinze jours, la ville étant ensevelie dans un brouillard toxique qui paralysait toute vie et a causé un nombre à ce jour inconnu – secret d’État ! – mais élevé de victimes d’accidents respiratoires. Or, non seulement on sait désormais que les mois de janvier puis de février auront été les plus doux enregistrés depuis longtemps, mais les épisodes pluvieux et venteux sur la Bretagne et la Grande-Bretagne notamment, suggèrent une fois encore la réalité du dérèglement climatique – et notre impuissance totale face à ce que l’armée américaine considère désormais comme la première menace géostratégique de ce début du XXIe siècle.[access capability= »lire_inedits »]

Autant le dire : oui, l’alibi écologique est invoqué pour tout et son contraire. Oui, la sensibilité environnementale est souvent instrumentalisée au bénéfice d’intérêts géopolitiques, commerciaux ou d’influence, qui n’ont rien d’écologiques. Oui, la complexité et l’imprévisibilité des normes coûtent cher aux entrepreneurs et aux investisseurs. Oui encore, l’amateur de feux de cheminée que je suis peste contre la ridicule interdiction du feu de bois à Paris – Oui à ma cheminée, non aux centrales thermiques ! Mais la prétendue « dictature verte » ne me semble exister nulle part, sinon dans les rêves de ceux qui, après en avoir fini avec les frontières et les nations, après avoir mis fin à ces déterminations d’un autre âge que sont la race, le sexe et l’âge, entendent en finir avec la nature. Bienvenue dans le monde de l’homme nouveau, de l’homme devenu son plus beau produit, de l’homme devenu son propre créateur ! Bienvenue dans un monde qui n’est pas pour moi !

Cependant, si je ne vois guère trace de la « dictature verte », la dictature de la croissance, de la dette et de la mobilisation des ressources, elle, est partout ; or, qu’est-ce qu’un monde réduit à son utilité ?

Passons rapidement sur les débats soulevés par nos choix énergétiques – Luc Rosenzweig veut-il un forage de gaz de schiste dans son jardin ? Comment la France échappera-t-elle à une pression internationale croissante au sujet de son pari nucléaire, alors que les nouvelles de Fukushima illustrent chaque mois ou chaque semaine que le Japon ne maîtrise pas la situation, et que la France ne sait pas comment, ni à quel prix, mener à bien le démantèlement d’une centrale[1]? Comment, par ailleurs, peut-on légitimer le modèle économique des OGM, qui repose sur un hold-up sur le vivant, interdit toute recherche indépendante sur ses effets sur la santé humaine, détruit la biodiversité à toute allure et pourrait mettre un jour en danger la sécurité alimentaire de l’humanité, qui repose sur la diversité des variétés locales des espèces, gage de leur survie ?

Ne nous trompons pas de combat ! Le vrai débat porte sur l’extension du domaine de la règle. Et il est vrai qu’elles prolifèrent, ces règles et ces normes, il est vrai qu’il est envahissant, ce droit de l’environnement, comme le sont le Code du travail et toutes ces tentatives d’encadrer le réel par des textes, des articles et des nomenclatures. Mais le choix est simple : préférez-vous l’extension du domaine de la règle, ou celle du domaine de la lutte ? Autrement dit, dans des sociétés qui n’ont plus aucune définition en substance, les relations qui étaient tenues par des appartenances, des ordres et une identité, ne peuvent plus être fondées que sur la règle ou sur la force, seule la démocratie opérant théoriquement la séparation entre l’une et l’autre – le recul du principe majoritaire dans nos « hyper-démocraties » allant de pair avec le poids croissant de la force que les « autorités indépendantes », et autres experts auto-désignés de la « République des comités » servent si bien.

Que préfère Luc Rosenzweig ? La paix par la norme, ou la guerre par la confrontation directe des intérêts antagonistes ? La loi de 1976 applicable aux installations classées n’a pas d’autre origine ; la pression des industriels qui polluaient l’étang de Berre ou la baie de Seine était telle que les risques d’attentats, perpétrés par des populations locales qui ne supportaient plus l’empoisonnement des eaux et des terres, devenaient réels. La loi a apaisé leurs relations, et les uns comme les autres s’en trouvent bien. Et qu’on ne vienne pas parler de chantage terroriste ! Le terrorisme, c’est celui des entreprises qui polluent, puis font payer le contribuable pour rétablir des équilibres vitaux, enlever les algues vertes, laver les sols ou acheter de l’eau minérale. Qu’en sera-t-il demain si ceux qui veulent que soient levés les seuils d’autorisation préalable à l’élevage des porcs, ou les contrôles administratifs des unités de méthanisation, obtenaient satisfaction ? Qu’en sera-t-il demain si le principe « pollueur-payeur » continue d’épargner des pollueurs au détriment du contribuable d’abord, de la santé publique ensuite ? La seule perspective d’amélioration, c’est que le lien santé-environnement soit inscrit en tête de l’agenda politique. Ce ne sont pas les opposants au productivisme qui menacent la tranquillité collective en faisant valoir leurs droits à un territoire propre et sain, mais ceux qui auront considéré la nature comme une ressource à mobiliser, et les biens collectifs comme un réservoir gratuit où se servir – bref, ceux qui pillent impunément les territoires, au nom de leur intérêt individuel immédiat.

La règle et la norme sont des instruments de la paix civile. Elles le sont. Elles le seront de plus en plus à mesure que notre monde n’est plus seulement fini, mais petit, et compté. Parce qu’elles expriment des préférences collectives qui ne peuvent plus être mises en œuvre par la pression sociale, le conseil des anciens, ou le respect de la tradition ; ce n’est plus le milieu social, c’est la norme qui devrait interdire la « ferme aux mille vaches » et freiner la disparition constante d’exploitations agricoles – et si ce n’est pas la norme, ce sera la rue ! Parce qu’elle, et elle seule, pose des limites à la démesure de l’ambition humaine et de l’utilisation des techniques ; ce n’est pas la réprobation collective, c’est la norme qui rendra un peu moins indignes les conditions de l’élevage industriel et moins irresponsables les manipulations génétiques. Les normes organisent les marchés et même, les font naître ; en l’absence d’appellations contrôlées, de labels et de certification, la dictature du prix laminerait la qualité – quand elle s’insurge contre les normes, la paperasse et le fonctionnaire jacobin, la Bretagne devrait se souvenir que sa seule chance, l’excellence, passe par des normes plus exigeantes, gage de la préférence du client, pas par l’illusion d’une production de masse à bas prix face au Brésil, à l’Ukraine ou la Nouvelle-Zélande ! Parce qu’elles sont facteur d’exigence, donc de progrès, et même, d’excellence compétitive, les normes créent de la différence, donc de la valeur. Combien de champions français des services collectifs, dans l’eau, le traitement des déchets, l’agro-alimentaire, doivent-ils leur compétitivité à l’exigence des règles françaises ? Les normes, enfin, sont des vecteurs d’influence, donc de puissance. L’un des seuls vecteurs de puissance autonome de l’Europe, ce sont les normes qu’elle impose de fait aux grands producteurs mondiaux de biens de consommation, grâce à la taille de son marché intérieur. Il est donc vital que nous conservions notre autonomie dans leur définition.

Il faut le dire ; si la croissance démographique se poursuit, si la course aux ressources s’accélère, si ni les frontières ni les mœurs n’arrêtent plus la convoitise des prédateurs nomades, la norme et la règle sont le seul rempart contre la guerre de tous contre tous. Pour l’eau, pour les terres arables, pour les métaux stratégiques, pour l’énergie, pour l’air, pour le climat même, nous n’en sommes pas si loin. Il y a donc urgence à ce que nous prenions conscience que les biens publics, inappropriables, que sont la sécurité, la confiance, mais aussi un milieu de vie sain et amical à la vie humaine, la beauté des jours et la bonté du temps, la certitude de son identité, apportent des satisfactions durables qu’aucun bien privé, aucun gain financier, ne peuvent offrir. Ce que la croissance détruit vaut souvent plus que ce qu’elle apporte – la seule vraie question, de ce point de vue, est de savoir si la Chine sera morte avant d’être riche. La coopération, au sein d’une communauté, apporte des richesses immatérielles, incommensurables, et durables, que la compétition pour l’accession à des biens privés ne donne pas.

Nous allons devoir reconsidérer la hiérarchie des satisfactions, et redécouvrir le sens oublié de vieux mots de la République : l’unité nationale, la confiance dans un destin commun, la souveraineté, et même, pourquoi pas, l’intérêt général.

Si vous êtes libéral, vous devez accepter que l’avenir passe par plus de normes, de règles et de lois. Elles peuvent se révéler superflues seulement si on pense la société autour d’une foi commune, d’une identité forte, et d’un contrôle social effectif. Comment vous convaincre, cher Luc Rosenzweig et chers amis de Causeur, que toute réflexion sur le « faire-société » passe par un débat sur la nature et le milieu de vie ? Si la nature va mal, comment croire que l’homme lui survivra ? La liquidation actuelle de l’écologie par la technostructure, après le pic d’intelligence collective que fut le Grenelle de l’environnement, n’augure rien de bon pour la société française.  N’en doutons pas, moins il y aura de commun, d’unité nationale, et moins nous saurons dire « nous », plus la règle, la norme et la loi devront jouer le rôle que tenait autrefois l’identité. À défaut, je le répète, la force y pourvoira.[/access]

[1]. Voir l’entretien avec Jean-Paul Chanteguet, in Le Nouvel Économiste, 12 mars 2014.

*Photo: Soleil

Avril 2014 #12

Article extrait du Magazine Causeur



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