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En défense de saint Julien le riche


En défense de saint Julien le riche

Dans le martyrologe actuel des victimes de l’acharnement politico-judiciaire de la France sarkozyste, notre compassion est invitée à se manifester envers deux Julien : saint Julien le pauvre (Coupat), embastillé depuis plus de six mois par les juges antiterroristes, et saint Julien le riche (Dray), poursuivi par les limiers de Tracfin, la brigade anti-blanchiment du ministère des Finances.

Le premier ne manque pas de supporters, y compris dans ce salon, de pétitionnaires en sa faveur, de rédacteurs de tribunes publiées par les grands journaux. On est bien content pour lui, même si on estime que le sabotage de lignes TGV, crime dont il est accusé, mérite une sanction appropriée si l’on arrive à établir sa culpabilité. Sa sortie du trou faciliterait, de plus, l’utilisation du destop polémique pour renvoyer les théories tarnaciennes au rebut des idées stupides engendrées dans les orgies intellectuelles de la petite bourgeoisie postmoderne et post n’importe quoi.

En revanche, très peu nombreux, à compter sur les doigts d’une seule main d’un menuisier maladroit, sont ceux qui se sont levés publiquement pour dénoncer les misères faites au député de l’Essonne Julien Dray. Au mois de décembre dernier, la France entière a appris, dans les journaux, que l’ancien porte-parole de Ségolène Royal avait eu des comportements financiers peu compatibles avec la transparence et l’honnêteté que l’on est en droit d’attendre des élus de la nation: mouvements d’argent vers son compte personnel en provenance d’associations amies, comme les parrains (sic) de SOS-Racisme ou la FIDL, une organisation lycéenne proche du PS. Etaient également étalées dans la presse, relevés de cartes de crédit à l’appui, les dépenses de luxe effectuées par Julien Dray pour des montres et des stylos d’une valeur représentant, pour certaines pièces, plusieurs années de SMIC. Nul ne s’est offusqué, à l’époque, que ces informations aient été jetées en pâture à la presse, non pas à la suite d’une mise en examen par un juge d’instruction – ce qui est déjà une atteinte grave à la présomption d’innocence devenue, hélas, monnaie courante –, mais sur la base de la seule enquête préliminaire décidée par le Parquet de Paris à la suite du signalement des faits suspectés par Tracfin.

La totalité du rapport (à l’exception de la page de garde où sont nommés les « informateurs ») se retrouve sur le site internet du quotidien L’Est Républicain. Le signal est donné : tout organe de presse qui se respecte entend ajouter sa petite pierre à la lapidation de Julien. On le soupçonne de corruption, d’avoir reçu des chèques suspects d’entrepreneurs de sa circonscription, ou encore d’en avoir fait endosser d’autres pour son compte à un schmattologue[1. On ne dit pas « Je vends des fripes sur les marchés », mais « Je suis docteur en schmattologie ». (Pour ceux qui n’auraient pas poussé assez loin leurs études de yiddish, schmattes signifie tissu et par extension, la fringue. EL] éminent exerçant sur les marchés de Provence.

Au PS, c’est « tous aux abris ! », à la notable exception de Jean-Paul Huchon, président de la Région Ile-de-France, dont Dray est un des vice-présidents. Cette désertion des camarades rend d’autant plus savoureuse la déclaration du pitbull de l’UMP, Frédéric Lefebvre, qui prend position en pleine tourmente, à la veille de Noël 2008, en déclarant : « La présomption d’innocence, ça compte. Il n’est pas très agréable de voir ce déchaînement aujourd’hui sur Julien Dray alors même que personne ne connaît la réalité et que des juges font leur travail. Je m’abstiendrai de tout commentaire négatif à un moment où ce parlementaire que je connais bien est en train de vivre des moments difficiles. La justice dira s’il a des choses à se reprocher ou non. En tout cas pour moi, tant que la justice ne s’est pas prononcée, Julien Dray est innocent. »

Pendant six mois, Dray, qui n’a même pas eu l’occasion de s’expliquer devant les juges, puisqu’il n’est pas mis en examen, choisit de faire profil bas, de ne plus intervenir dans le débat politique national, de se consacrer discrètement à ses mandats de député et de vice-président de région. Que pouvait-il faire d’autre ? Le temps judiciaire et le temps médiatique étant ce qu’ils sont, faits de cette lenteur dont la prétendue sagesse peut vous tuer à petit feu pour le premier, et d’emballements collectifs brefs et violents pour le second, la stratégie hibernante de l’ours est la moins dommageable pour celui qui se trouve coincé entre les deux. Le printemps venu, et avec lui une condamnation de L’Est Républicain pour avoir publié in extenso le rapport Tracfin, Dray est repassé à l’offensive dans un entretien au Parisien. Après avoir rejeté toutes les accusations portées contre lui il conclut : « J’ai retrouvé toute la radicalité de mes vingt ans et je vais me battre ! » Méfie-toi, Juju, tu risques de te retrouver dans la même cellule que Coupat !



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