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Dessine-moi un président normal


Si le « grand débat » de l’entre-deux-tours n’invitait pas dans l’ensemble à la franche rigolade, les fans des Monty Python et autres amateurs de quiproquos absurdes ont eu au moins un bon moment : alors que François Hollande venait de reconnaître qu’il ne saurait y avoir de « président normal », Nicolas Sarkozy lui répliqua du tac au tac, cinglant comme il sait l’être, qu’il ne pouvait pas dire qu’il serait un président normal et que, s’il avait un peu plus d’expérience, il saurait bien qu’il ne peut y avoir de président normal. En résumé, cela donnait ce dialogue où ne manquait que le professeur Tournesol :

– Je ne serai pas un président normal !
– Vous vous trompez ! Vous ne serez pas un président normal !

Nous voilà bien avancés. Par-delà le caractère un tantinet surréaliste de l’échange, il n’est donc pas sans intérêt de revenir un instant sur cette formule piégée mais indéfiniment reprise par la presse − et de se demander si le nouvel élu sera, ou non, un « président normal ».[access capability= »lire_inedits »] Avant de jouer au devin, on doit toutefois constater le caractère extrêmement flou, incertain et discutable, de cette notion de « normalité » − tout particulièrement lorsqu’elle s’applique au chef de l’État. Être « normal », en effet, consiste à se conformer à la norme commune. Mais la norme commune de quoi ? Des autres hommes, des citoyens ordinaires, de ceux que l’on appelle les « gouvernés » ? Ou bien, des autres présidents de la Ve République ? Car la normalité − c’est le moins que l’on puisse dire, on s’en doute − n’a pas le même sens dans un cas et dans l’autre.

« Normal » comme un citoyen ?

Le rêve du « président-citoyen » qui, pour tout le reste, serait semblable aux autres, bref, du « président normal », fut longtemps caressé par une gauche traditionnellement mal à l’aise avec la dimension monarchique inhérente à la Ve République.
L’une des manifestations les plus significatives de cette orientation porte sur la question, ô combien controversée, de la responsabilité pénale du Président de la République. En 1999, en effet, le Conseil constitutionnel, cédant assez malencontreusement aux pressions de l’Élysée, déclara que le Président ne pouvait être poursuivi pendant son mandat devant des juridictions pénales ordinaires − menace qui, à l’époque, pendait dangereusement au nez du président Chirac. Cette position, qui conférait au chef de l’État une quasi-immunité pénale, y compris pour les actes antérieurs à son élection ou étrangers à ses fonctions, fut aussitôt attaquée par la gauche qui déposa à ce propos, le 29 mai 2001, une proposition de loi constitutionnelle. Une proposition d’autant plus intéressante qu’elle avait pour auteurs François Hollande et Jean-Marc Ayrault, et qu’elle affirmait « nécessaire » que le chef de l’État relève des tribunaux de droit commun pour les actes sans lien avec l’exercice de ses fonctions, afin qu’il devienne « un véritable président-citoyen, soumis aux lois de la République, comme chacun de nos concitoyens ». Une proposition que l’on a d’ailleurs de bonnes chances de voir resurgir au cours des prochains mois, comme le candidat Hollande s’y est engagé lors du débat du 2 mai.
Dans le sens de cette normalisation à tout-va, on assure que le nouveau président, merveille des merveilles, utilisera le train lorsque c’est possible, plutôt que les avions du GLAM et les jets, privés ou publics dont son prédécesseur fut si friand.

Mais sans doute faut-il relativiser la portée de ces annonces : le général de Gaulle, monarque républicain par excellence, préférait également les chemins de fer (ou sa bonne vieille DS), et se trouvait lui aussi soumis, en vertu de l’article 68 de la Constitution, à la compétence des juridictions ordinaires pour tous les actes détachables de ses fonctions : jamais il n’eut l’idée saugrenue de réclamer à cet égard une transformation de son statut pénal, comme s’en félicitait d’ailleurs son ancien garde des sceaux, Jean Foyer. Et c’est ainsi que la révision constitutionnelle destinée à instituer un « président normal » consistera simplement à revenir à ce qui était l’usage incontesté à l’époque du Général, au plus fort de la monarchie républicaine.
Et pour le reste ? François Hollande, président, ressemblera-t-il effectivement à monsieur tout-le-monde ? Le Français moyen parvenu à l’Élysée ? On peut en douter, en raison, d’abord, de la nature des fonctions qui seront les siennes : comme le notait plaisamment Christian Millau en juin 2011, « il n’y a que le gentil François Hollande pour croire innocemment qu’un président de la République peut être un homme comme les autres. Un monsieur − ou une madame − qui dort à l’Élysée et peut d’un geste, à son petit déjeuner, déclencher le feu nucléaire ou, à tout le moins, virer son premier ministre, a peu de chances d’être jamais normal. » Mais par-delà la rhétorique obligée, et la volonté de se distinguer de « l’homme pressé » de l’Élysée, Hollande y croyait-il vraiment ? Était-il si innocent que cela ? Et si oui, le restera-t-il longtemps ? Dans le dernier volume de ses Carnets secrets, Michèle Cotta, observatrice sagace des us et coutumes de la Ve République, note en 1997 que le futur président est « parfaitement sans illusions » . Le gentil rêveur cache un pragmatique consommé, qui sait que l’habit fait le moine, et que l’on ne revêt pas impunément la tunique de Nessus de la présidence.

Et l’on touche ici à un autre point : si Hollande a peu de chances d’être un « président normal », ce n’est pas seulement à cause de la fonction qu’il sera amené à exercer, mais aussi en raison de sa propre personnalité − qui, malgré les apparences, n’est pas vraiment celle du Français moyen. En parcourant les Carnets secrets de Michèle Cotta, on comprend en effet à quel point Hollande ne se ressemble pas. Il a beau avoir la tête du « Oui -Oui » des Guignols, du « Flamby » brocardé jadis par Montebourg, de la « Fraise des bois » dépeinte par Laurent Fabius, la réalité est tout autre. Ses dehors bonhommes, son apparente naïveté cachent, assure Michèle Cotta, une habileté redoutable : « Trop rapide, trop intelligent, trop ironique », constate-t-elle en 2002, au point de lui en faire le reproche: « Il faut que les auditeurs ou les téléspectateurs le suivent, non qu’il galope devant eux. » Pour être élu, Hollande a dû apprendre la leçon, se tempérer. Mais cela ne change rien à ce qu’il est au fond. Pas vraiment le type normal.

« Normal » comme un président ?

Précisons : François Hollande, devenu président, ne sera pas « normal » au sens où il pourrait ressembler en tout, ou presque, à un citoyen ordinaire − abolissant, dans un grand geste républicain, toute distinction entre gouvernant et gouvernés, comme l’ont toujours rêvé les disciples de Rousseau. En revanche, quoi qu’en pensent les partisans d’une VIe République, il est probable qu’il ressemble à cet égard à ceux qui l’ont précédé à l’Élysée, et qu’il apparaisse ainsi parfaitement normal au regard des principes et des pratiques de la Ve République.
Là encore, bien entendu, on pourrait s’interroger à perte de vue sur ce qui constitue la norme, et donc la normalité. Si l’on exclut le cas de la cohabitation, radicalement contraire à l’esprit de la Ve République, on pourrait considérer que, par-delà les variations liées aux circonstances et aux personnes, la « norme » correspond assez bien à l’idée que développe de Gaulle dès 1946, dans son célèbre discours de Bayeux : « C’est […] du chef de l’État, placé au-dessus des partis, […] que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement. À lui la mission de nommer les ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du gouvernement. […] A lui l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. À lui, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France. »
Or, sur le contenu de la fonction présidentielle, que déclare François Hollande ?
En premier lieu, qu’il se situera au-dessus des partis : « Moi, Président de la République, je ne serai pas chef de la majorité. Je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée. Moi, Président de la République, je ne participerai pas à des collectes de fonds pour mon propre parti, dans un hôtel parisien. »

En second lieu, qu’il se réservera les décisions fondamentales, « les grandes orientations, les grandes impulsions », sans se mêler de la politique quotidienne, qui relève du gouvernement : bref, qu’il ne sera pas « président de tout, chef de tout et, en définitive, responsable de rien ». À ce titre, par exemple, il annonce qu’il fera un « acte de décentralisation », qu’il engagera de « grands débats » et introduira la proportionnelle pour les élections législatives de 2017 − mais, en revanche, qu’il renoncera à « nommer les directeurs des chaînes de télévision publiques »…
Que, par ailleurs, il assure vouloir faire en sorte que son « comportement soit à chaque instant exemplaire ». Cela va sans dire… les Français n’avaient envie d’élire à leur tête ni un Strauss-Kahn ni un Bernard Tapie. Mais là encore, rien de nouveau sous le soleil : depuis le général de Gaulle, le président doit s’efforcer de respecter scrupuleusement les règles morales ou, du moins, de le faire croire.
En somme, s’il s’en tient au programme qu’il a exposé aux Français le 2 mai, François Hollande a effectivement toutes chances d’être un président normal. Autrement dit, et c’est tant mieux, un homme parfaitement anormal.[/access]

Mai 2012 . N°47

Article extrait du Magazine Causeur



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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