De Robin Williams à Lauren Bacall : revue mortuaire


De Robin Williams à Lauren Bacall : revue mortuaire

johnny winter bacall

Un hiver précoce s’est abattu sur la France. Les socialistes de pouvoir cherchent désespérément des formules adaptées aux « corrections des variations saisonnières ». Ils font avec leurs bras des gestes désespérés, qu’ils voudraient qu’on prît pour des exercices d’assouplissement. François Hollande, l’homme qui n’aimait pas les riches et voyait dans la finance son principal ennemi, poursuit sa course d’escargot à traces les champs. M. Valls, premier ministre en réserve de la République, puise vainement dans la réserve d’éléments de langage, que lui fournit son armée de communicants : il a beau dire et se pousser du col, l’économie française sent le Sapin…

Bref, puisqu’un dieu maussade paraît gouverner nos intempéries, tournons-nous vers l’Amérique du spectacle, afin d’y trouver un peu de consolation. Las, les mauvaises nouvelles qui nous en parviennent tombent comme les soldats à Gravelotte ! Que d’eau ici, et que de morts là-bas ! Eh bien, puisqu’il pleut, allons au cimetière américain !

L’Albinos et le dépressif

Le 16 juillet, on retrouvait le corps sans vie, dans une chambre d’hôtel, à Zürich, d’une vraie légende du blues-rock, Johnny Winter. Plus blanc que blanc -il était albinos – il jouait admirablement de sa guitare en « slide », il ne déparait nullement au côté de Muddy Waters et de BB King, qu’il admirait. Nous n’oublierons pas son interprétation de Jumpin’Jack Flash.

Un chagrin universel accable nos contemporains après la disparition de Robin Williams (qu’on ne confondra pas avec Robbie Williams, lequel se fit connaître comme membre d’un boy’s band anglais aussi calamiteux que les autres, et poursuit une carrière de « popeux » apparemment rentable, après avoir prétendu s’incarner dans une métamorphose de crooner indigne d’une animation de supermarché). Robin Williams, souffrant d’une sévère dépression, se serait suicidé par pendaison. Le retentissement que connaît sa disparition s’explique peut-être par l’effrayant contraste entre l’affiche officielle, où l’on voit la face hilare d’un comique vibrionnant, et le masque figé, bouffi de chagrin et d’angoisse, d’un homme ordinaire. Il connut la gloire, au cinéma, dans des films d’habiles fabricants tels que Peter Weir (Le Cercle des poètes disparus), Chris Colombus (Madame Doubtfire), Barry Lewinson (Good Morning Vietnam), Steven Spielberg (Hook ou la revanche du capitaine Crochet) et quelques autres. Il eut la chance de croiser la route de Terry Gilliam pour Les Aventures du baron de Münchhausen, copie intéressante mais bien loin d’égaler la version originale, proprement éblouissante, de Josef von Báky, Les Aventures fantastiques du baron de Münchhausen. Georges Roy Hill lui donna le rôle principal dans une adaptation réussie du livre de John irving, Le Monde selon Garp. Hollywood affecte une mine contrite, et l’on voit les gentils membres de la grande famille du cinéma tirer leurs mouchoirs devant les caméras…

Marilyn, vouée à l’effroi

Sally Hardestly est une jolie blonde. Avec ses camarades, filles et garçons, elle s’installe dans une charmante maison ancienne, à l’écart, cernée de lilas et de verdure. Sally ignore tout du sort funeste que leur a réservé Tob Hoopper, metteur en scène de Massacre à la tronçonneuse. Ce dernier n’aime rien tant qu’anéantir des grappes entières de jeunes gens effarés par les moyens les plus sanglants et au terme d’une péripétie de pure terreur. Seule Sally échappera au Tronçonneur des lilas : Hooper a-t-il délibérément choisi d’épargner les blondes ? Le rôle de Sally est joué par Marilyn Burns, qui se spécialisera dans les emplois de victime livrée à la folie meurtrière de psychopathes excités par les cris suraigus de ses proies féminines, très doués dans le maniement criminel de la faux, du hachoir et du croc de boucher. Tout cela dans une campagne hostile, humide et sale, envahie de brume, d’où surgit la représentation de l’effroi, tel ce saurien énorme nourri de chair humaine par son plaisant propriétaire (Le Crocodile de la mort). Marilyn Burns a croisé la route de la plus terrible des tueuses en série, et, à ce jour, demeurée impunie : la Grande faucheuse. Elle est morte à Houston, chez elle, le 5 août.

Le petit Mickey mari volage

Le 6 avril dernier, s’éteignait un comédien considérable, dans une relative indifférence des français, pourtant cinéphiles reconnus. Avant de révéler son identité, cette petite digression : le magasine People, en 2013, voyait en Gwyneth Paltrow “la plus belle femme du monde” ! Est-il raisonnable de placer sur la tête de Mlle Paltrow la couronne du sacre de Brigitte Bardot ou d’Ava Gardner ? Changer une endive molle en braise incandescente relève de la magie ou de la chirurgie « pathétique ».

Dans un monde guidée par la raison, Gwyneth eut été une comédienne pour séries télévisées. Elle y eut incarné les valeurs de l’épouse yankee : une envahissante sentimentalité, une méchanceté de garce névrosée, une belle solidité émotionnelle en public, fort utile dans les pires moments, tel celui qui consiste à lâcher un rot sans se départir d’un sourire ingénu. On imagine Ava Gardner considérant Gwineth Paltrow : « Sers-moi un scotch, tu auras un autographe, Tristounette ! ».

Le 6 avril, donc, mourait un homme, qui avait bien connue Ava Lavinia Gardner, née en Caroline du nord, en 1922. Il fut son premier mari. En Amérique, il jouissait encore, à 93 ans, d’une belle popularité. Il s’appelait Mickey Rooney. Vieillard jovial à face ronde, très expressive, il ressemblait à un diablotin. Or, à l’âge de 14 ans, avec son air de gamin effronté, sa physionomie très fraîche, ses yeux rieurs ou aisément inquiets, il fut remarqué par Max Reinhardt en personne, qui lui donna le rôle de Puck, dans Midsummer night’s dream, d’après William Shakespeare, d’abord au théâtre, puis au cinéma, dans le film éponyme dont Reinhardt signa la mise en scène avec William Dieterle. On peut voir dans sa distribution générale un parfait résumé de la sociologie hollywoodienne, à cette époque.

La famille Warner, russe d’origine, avait fuit les pogroms. Jack Warner et ses frères, à la fin des années vingt, menaient une vie prospère de producteurs de cinéma. Max Reinhardt, juif et autrichien de naissance, avait préféré mettre un océan entre les Nazis et lui. Il bredouillait alors un anglais incompréhensible. Dieterle, allemand, n’était pas juif, mais n’avait aucune sympathie pour Hitler. Olivia de Havilland incarnait la belle allure de l’aristocratie anglaise. James Cagney, dont la famille venait d’Irlande, ne connaissait pas seulement le nom de William Shakespeare : sa prestation dans Midsummer night’s dream (rôle de Nick Bottom) fut unanimement saluée par la critique. Condensé d’énergie, trapu, petit, puissant, excellent chanteur, danseur virevoltant, Cagney s’apparente à Mickey Rooney par le jeu d’acteur. Il l’augmente d’accès d’une rage inquiétante, qui lui mérita sa réputation de dur de l’écran « noir ».

Mais alors, Ava Gardner et son petit Mickey ? Rooney mesurait 1 m 57, mais, lorsqu’il rencontra Gardner, en1941, il était la plus grande vedette  de la MGM. Maman Gardner veillant jalousement sur la virginité de sa fille, il fallait absolument passer par le mariage pour avoir droit à ses faveurs. Ils convolèrent en justes noces en janvier 1942. Le croira-t-on ? Ava Gardner, la plus belle créature du monde, se fit femme au foyer, gentille, attendrie, patiente, tandis que son mari courait la gueuse ! Ils divorcèrent un an plus tard. Mickey épousa au total huit femmes, soit une de mieux que Barbe bleue.

Toute personne soucieuse de sa réputation doit avoir vu au moins dix fois Babes in arms (Place au rythme), avec Judy Garland et Mickey « Jumping » Rooney, mis en scène par Busby Berkeley, metteur en scène supérieurement doué pour le grand divertissement, qui imposa son style brillant, parfaitement accordé au genre de la comédie musicale.

Le petit Marcel témoin de moralité

Enfin, puisque nous tenons le cordon du poêle[1. Le poêle, ici, désignait naguère la pièce de tissu noir, qui couvrait le cercueil pendant la cérémonie funèbre. Les proches tenaient les cordons reliés à ce tissu.], n’oublions pas Lauren Bacall, qui a tiré sa révérence le 12 août. Elle a tourné avec les plus grands metteurs en scène, et même avec Bernard-Henri Lévy, dans Le Jour et la nuit, qui ne laissa un souvenir ému qu’à son réalisateur et à ses producteurs ; quant à ses rares spectateurs, ils pouffent encore ! On a tout dit sur la belle Bacall, alors, il nous plaît de céder la parole à l’incomparable Marcel Dalio, qui fut le témoin de la « love affair » naissante entre elle et Humphrey Bogart. Remarquée par la femme de Howard Hawks sur des photographies de mode, Lauren Bacall tenait le premier rôle féminin dans Le Port de l’angoisse, du grand Hawks. Marcel Dalio, réfugié à Hollywood, fait partie du tournage. Bacall le prie souvent de dîner avec elle, ce qui le flatte bien sûr. Mais leur rendez-vous n’est jamais tête à tête. Bogart est toujours le troisième convive. Dalio comprend très vite la raison de sa présence : il est la caution morale de ce couple « irrégulier » : « Bien entendu, après le dîner, il nous ramenait ; et moi, j’étais toujours celui qu’on déposait le premier ! Bogart, marié à l’époque, ne se serait pas remis d’un scandale. Être vu seul avec Bacall, c’était courir le risque qu’un maître d’hôtel, un barman ou un concierge […], informateurs habituels des journaux […] donnent l’alerte. »[2. Marcel Dalio, Mes Années folles, Ramsay poche cinéma.].

Il y a toujours un français pour être le témoin de la grande ou de la petite histoire…

*Photo : KCC/ZJE/WENN.COM/SIPAIPAUSA. 31302419_000006.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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