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California nightmare


California nightmare
Charles Manson en décembre 1970 (Photo : SIPA.AP21720957_000003)
Charles Manson en décembre 1970 (Photo : SIPA.AP21720957_000003)

Simon Liberati a ceci d’intéressant est qu’en lieu et place de se lancer dans ses romans dans une introspection complaisante de sa petite personne, une psy en direct devant tous les passants en somme, il préfère faire véritablement œuvre de littérature. Il évoque ici le crime le plus connu de la « famille » Manson commis en août 1969, le meurtre sauvage de Sharon Tate et de ses amis par des pauvres filles et un raté au nom des délires de leur gourou. Ce massacre marqua véritablement la fin des années 60 et de leurs illusions révélant la réalité derrière les apparences et l’utopie.

Il paraît que certains critiques ont accusé l’auteur de manquer d’empathie envers ses personnages, c’est tout l’inverse. Il s’identifie à chacun d’entre eux, y compris les pires, comprenant la complexité de leur humanité. Il montre aussi qu’un assassin fanatisé n’est pas un monstre en dehors de l’espèce humaine, qu’au contraire il se situe dans la « banalité du mal ». Le pitoyable primate se traînant à la surface de cette boule de glaise qu’est notre maison commune est capable du meilleur, est appelé à la Beauté mais il se laisse souvent aller au pire, à l’abject, se justifiant plus ou moins laborieusement de ses appétits.

Simon Liberati décrit très habilement le processus d’embrigadement des filles et des jeunes gens composant la « famille » de Charles Manson. Celui-ci n’est pas le seul dans son genre, un petit criminel minable ancien proxénète et dealer reconverti dans le sectaire, une affaire beaucoup plus juteuse, mélangeant satanisme, nazisme et utopie hippie dans un curieux mélange. Comme beaucoup de minables il était convaincu que le monde entier lui était redevable à commencer par ses « disciples ». Pour montrer leur allégeance ils devaient tous offrir une somme d’argent conséquente. Manson voulait provoquer « l’Helker Skelter », l’apocalypse. Il avait cru le comprendre en écoutant la fameuse chanson de « l’album blanc » des Beatles persuadé que celle-ci lui était spécialement adressée…


Charles Manson avait pour lui de comprendre instinctivement le fonctionnement des groupes grâce à son passé de taulard particulièrement, d’être un manipulateur hors pair mais pas un antéchrist fascinant ainsi qu’il fût souvent montré dans les médias de l’époque et encore maintenant. Car le spectacle s’empara des meurtres, des imbéciles écrivant toutes les ignominies sur les victimes, faisant des assassins des vedettes monnayant leur témoignage.

Il jouait sur du velours selon l’expression, ses adeptes de par leur conditionnement social étaient tout prêts à le suivre aveuglément, prêts à abandonner leur conscience, leur libre-arbitre. Ils conservent d’ailleurs inconsciemment les habitudes de la petite bourgeoisie dont ils sont tous issues. Les filles demeurent des « girl scouts » dociles, enthousiastes et conformistes, dans une compétition constante entre elles pour obtenir les faveurs de leur messie de pacotille. Les garçons demeurent des « mâles alphas » un peu jaloux du « quarterback », soucieux de leurs « prouesses » sexuelles.

Et ils avaient besoin de cet enfouissement total de leur être au sein d’un « grand tout » beaucoup plus confortable, la réflexion personnelle étant trop fatigante, trop inconfortable à leurs yeux. C’est aussi parce que leurs parents ne leurs transmettaient comme valeurs très étriquées qu’un matérialisme de bas étage, une avidité à posséder des gadgets tous plus inutiles les uns que les autres mais surtout pas d’idéaux ou de culture. L’auteur du livre y perçoit de nombreux prolongements avec notre société contemporaine. Les meurtriers de Sharon Tate ne sont pas très différents des gosses fanatisés par Daech. Ils ressemblent à ces petits occidentaux perdus, égorgeant, pillant, violant en Irak et en Syrie. Et eux également ne sont pas des monstres extraordinaires. Ils sont humains, victimes aussi de la vacuité des aspirations modernes.

En 2016, ce mal, comme le Mal en général, n’est toujours pas compris. Notre monde refuse son existence, ne l’admet pas, le refuse. L’admettre ce serait remettre en question l’individualisme consumériste, le besoin de satisfaire des pulsions n’ayant rien en commun avec l’hédonisme. Le Mal ne se cache pas dans l’ombre d’une caverne ou d’une grotte, il est en plein soleil, le soleil éclatant et le ciel bleu de la Californie dans le cas des tueries ordonnées par Charles Manson. Il se fit au son des « tubes » des Beach Boys, faussement innocents et insouciants. Ceux-ci furent proches de la « famille » du gourou assassin un temps…

Ce livre est un roman noir, et une histoire vraie, comparable dans son intention au De sang froid de Truman Capote. Il est plus dérangeant que l’introspection de privilégiés car montrer la nature humaine dans toute sa crudité a toujours été dérangeant pour ceux préférant le confort intellectuel, les certitudes, le sentimentalisme un peu niais à la mode, les vidéos de gentils petits chatons…

California girls, Simon Liberati, Ed. Grasset, août 2016.

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